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La géopolitique à hauteur d’homme : Secrètes histoires de François Heisbourg

Francois Heisbourg publie Secrètes Histoires ; un titre assez banal pour un sujet passionnant.

François Heisbourg

François Heisbourg

L’auteur est président de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres et du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP), et conseille la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Depuis la fin des années 1970, François Heisbourg est passé par le ministère des Affaires Etrangères, l’ONU, l’industrie de la défense, puis la recherche et le conseil. Dans son nouvel ouvrage — sous titré La naissance du monde moderne — il se propose de dresser un portrait de l’état du monde des trente dernière années, par le biais des quelques moments où sa vie s’est retrouvée mêlée, de près ou de loin, aux secousses de la géopolitique mondiale. L’exercice peut sembler prétentieux et bancal ; il n’en est rien : l’écriture est ciselée et le contexte et les enjeux sont parfaitement restitués à travers une série de chapitres brefs et denses, qui mêlent faits précis et considérations générales sur la marche du monde moderne. Cette forme, qui se prête particulièrement bien à la géopolitique vulgarisée, est d’ailleurs justifiée par l’auteur : il s’agit de faire apparaitre le « cours de l’histoire récente (…) tel qu’il est en réalité au moment des faits : chaotique, indéterminé, contingent ». Si la compréhension des processus longs est indispensable, les courants de fond sont en dernier lieu relégués à l’arrière-plan par le surgissement des faits : « sur la brève durée qui nous sépare de la guerre froide, matrice du monde moderne, ce sont bien les évènements qui dominent la scène ».

Le putsch de Moscou en aout 1991

Le putsch de Moscou en aout 1991

On se retrouve au coeur de la crise des euromissiles et de la confrontation psychologique Est/Ouest au début des années 1980, à un discours secret prononcé par Helmut Kohl au sommet Bildeberg de 1988, à une réunion avec Margret Thatcher sur le sort de l’Allemagne en 1989 ; on nous parle du programme RYAN, du coup d’Etat d’aout 1991 à Moscou à une époque où le Minitel n’a pas encore remplacé Internet, de l’espionnage entre alliés, de l’attentat de la rue Marboeuf sur fond de conflit syro-irakien, du 11 septembre 2001 et de la naissance de l’hyperterrorisme, du prince Salmane al-Saoud (devenu roi d’Arabie Saoudite en janvier 2015) et son éloge d’Adolf Hitler, de la liquidation du legs nucléaire de l’URSS, du danger du programme nucléaire iranien (véritable et non fantasmé), celui du nucléaire militaire russe qui refait depuis quelques années son apparition stratégique dans les paroles et peut être dans les faits, du programme spatial militaire de la France sous Mitterrand, de l’affaire des missiles Exocet durant la guerre des Malouines, des pays baltes de l’après URSS, des plans secrets d’attaque de l’Europe de l’Ouest par les armées du pacte de Varsovie, de la possibilité jamais écartée de l’usage d’armes nucléaires sur le continent européen…

Un porte-avions américain

Un porte-avions américain

Les tendances lourdes du monde le plus contemporain se dégagent progressivement : hyperterrorisme ; société de surveillance ; risque emploi d’armes nucléaires ; une Europe malade d’elle-même devant faire face à la possibilité de son propre délitement et aux pressions violentes au Sud et à l’Est ; les risques de conflits de plus en plus nombreux en Asie et un Moyen Orient qui a sombré dans le chaos stratégique ; le tout dans un monde multipolaire désordonné, sans règle du jeu commune, de plus en plus illisible à mesure que s’éloigne la « lisibilité » stratégique inhérente à la guerre froide. Contre toute attente, la situation n’est pas désespérée — elle n’est même pas inédite, selon Heisbourg, qui rappelle que l’histoire est une succession de phases de régression et d’amélioration.

Une conclusion ferme et réaliste qui permet à l’auteur de mettre en garde contre la facilité de certains schémas de représentations et de pensée tant pour l’histoire récente que pour celle en train de se faire. Et de rappeler que, sur le plan des relations de pouvoirs, rien n’est joué et tout est toujours possible — « l’histoire n’est pas linéaire, et elle n’est pas finie ». Une conclusion qui est autant une mise en garde qu’une mise en action, sur cette voie médiane qui éviterait deux principaux écueils : celui du retour impossible à un monde que le XXème siècle a bouleversé, et celui d’une foi en un monde nouveau fait de connectivités et de nivellements qui se voudrait « un ensemble indifférencié répondant à une logique unique. »

Secrètes Histoires de François Heisbourg, Stock, Les Essais, 376 pages.

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