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La mascarade du Beau : la rétrospective Cindy Sherman

La Fondation Louis Vuitton consacre pour la première fois en France depuis 2006, une rétrospective de l’ensemble de l’œuvre de Cindy Sherman, du 23 septembre 2020 au 3 janvier 2021. Artiste singulière et solitaire, la photographe offre une réflexion unique sur le Beau et sur la production d’art en général.

La Fondation Louis Vuitton consacre pour la première fois en France depuis 2006, une rétrospective de l’ensemble de l’œuvre de Cindy Sherman, du 23 septembre 2020 au 3 janvier 2021. Cette artiste mondialement reconnue n’a pourtant pas fait l’objet de nombreuses rétrospectives. La dernière exposition consacrée à son œuvre s’est déroulée au MoMA en 2012. La photographe américaine est un véritable caméléon, puisqu’elle concentre son œuvre sur des autoportraits, ou elle incarne une multitude de facettes, de personnages, questionnant le genre, l’identité, avec, à son arc, des techniques créatrices et des inspirations toutes différentes les unes des autres.

Cette exposition est une des plus grandes expositions organisées de la décennie en Europe. Plus de 170 clichés ont été mobilisés, s’étendant de 1975 à 2020, comportant donc des photographies inédites, de séries récentes. La scénographie a été pensée et conçue en collaboration avec Cindy Sherman elle-même.

L’artiste et sa vision

Cindy Sherman est née à Glen Ridge en 1954, et avant de se lancer dans la photographie, elle est peintre, lorsqu’elle entre à l’Université d’Etat de Buffalo en 1972. Cependant, elle ne s’y épanouie pas.

« …il n’y avait rien à dire de plus. Je me contentais de copier méticuleusement d’autres œuvres, et j’ai réalisé qu’il aurait alors suffi d’utiliser un appareil photo et de me consacrer à d’autres idées »

Elle commence alors la photographie avec sa première série de photo en 1977, Untitled A-E. Par la suite, son travail se fait essentiellement par séries. Elle choisit une thématique, une approche particulière, pour l’approfondir par une vision unique.

Cindy Sherman est une artiste solitaire. Elle réalise la globalité de son œuvre, seule. Dans son interview pour le Monde, elle confie qu’elle a essayé d’user de modèle, mais qu’elle n’arrivait pas à obtenir ce qu’elle pouvait obtenir d’elle-même. Ainsi, elle s’invente scénariste, metteuse en scène, costumière, maquilleuse, accessoiriste, éclairagiste, retoucheuse, et modèle. Elle fabrique seule l’image qu’elle souhaite obtenir, du début de sa réflexion à la fin de sa conception. Elle est parfaitement en contrôle de la vision qu’elle souhaite transmettre. Jamais tout à fait elle-même, ou un/une autre, elle se dissimule systématiquement sous une panoplie d’accessoires en tout genre.

Son œuvre

L’exposition est en grande partie chronologique, même si la première salle est un mélange d’une série récente (2016) et d’une de ses premières (1976). Rapidement, le visiteur prend conscience de la transformation dans la conception de son travail. Dans ses premières années, Cindy Sherman réalisait son image seule, avec peu de moyen. Dans une interview du Monde, elle se confie sur l’ampleur de la tâche qu’elle avait à réaliser pour être satisfaite de son travail.

« Avant c’était infiniment plus compliqué. Il fallait trouver des meubles, des rideaux… Tout cela prenait beaucoup de temps. Je fixais des tissus pour faire le fond, ou pour couvrir une chaise et la déguiser… Ce n’était pas plus simple pour la lumière. »

Avec le passage au numérique, son travail s’est métamorphosé. Elle joue de la lumière, des fonds verts, des effets spéciaux. Forcément la réalisation est plus simple, moins lente, plus fiable. Il ne faut plus tout refaire encore et encore des tentatives, si le résultat n’est pas satisfaisant. Mais, le résultat numérique possède moins de naturel, et bizarrement, moins de spontanéité. La série en noir et blancs des Untitled Film Stills réalisée entre 1977 et 1980 saisit 84 personnages féminins et représente à travers des clichés, des archétypes de femmes, de la bourgeoise, à l’étudiante en passant par la femme au foyer délaissé. Elle soulève de nombreuses questions comme sur le rôle et la représentation de la femme dans la société, et sur le modèle de la féminité. Toutefois, ce potentiel ne semble pas être développé entièrement, et sa vision semble être étouffée par la difficulté de la réalisation. Son empreinte, son message, et son identité sont d’autant plus accomplis avec l’intégration du numérique dans le processus de fabrication.

Untitled #584, 2018 (Fondation Louis Vuitton)

Cependant, chaque série de clichés est intéressante en elle-même et permet de mieux comprendre son œuvre et l’artiste. Toutes les collections (Untitled film stills, Rear Screen Projections, Fashion, History Portraits, Disasters, Headshots, Clowns, Society Portraits, Murals, Flappers…) étant présentes, cette rétrospective est complète et permet de découvrir l’artiste en profondeur et de se faire sa propre idée et sa propre interprétation d’un travail parfois un peu difficile à appréhender.

Le travail de Sherman s’apparente au courant de l’art conceptuel, mouvement apparu en Grande Bretagne dans les années 1960. Dans cette conception de l’art, c’est le message d’une œuvre qui est primordial, avant son esthétisme. L’intention n’est pas de faire de l’art quelque chose de beau mais de se concentrer sur le message véhiculé. Ainsi, elle a beaucoup été influencé par Marcel Duchamp, qui considère avec le ready made que tout objet peut se faire art.

Le masque, le fil conducteur de son travail

Le jeu du masque et du travestissement est le fil conducteur de l’œuvre de Cindy Sherman. Mais suivre ce fil rouge n’apporte pas forcément de réponse quant à son travail. Il est difficile de mettre des mots et des explications sur ses œuvres, puisqu’elles ne possèdent pas une seule portée ou une seule interprétation. A ses débuts, elle se concentre sur le maquillage et le travestissement pour se métamorphoser.  Puis elle utilise des prothèses, des masques, des clowns et Photoshop.

Ce n’est pas seulement la question de la femme et de la féminité qui est au centre de ses œuvres, mais celle du Beau comme notion philosophique dans l’Art. Dans chaque œuvre, le Beau est questionné, en le défigurant, le déformant, le rendait laid. Elle se joue de lui, le poussant à l’horreur, au trash, à l’infâme et au monstrueux. Elle proclame également le Beau, comme faux, puisqu’il est constitué d’artifices, du maquillage, des prothèses, une certaine lumière, et une certaine allure. Il n’est pas réel, il est travesti et l’on peut voir ce jeu dans ses œuvres, par un détail, une technique, une pointe d’ironie ou de provocation. Dans la série History Portraits / Old Masters (1988-1990) la photographe américaine parodie l’esthétique des portraits de la Renaissance, en grossissant les traits accoutumés de l’époque à l’aide de prothèse par exemple. Elle dévoile le côté faux et artificiel de l’art et de notre rapport à cet art.

Untitled #206, 1989 (Fondation Louis Vuitton)

Cindy Sherman est insaisissable, comme ses œuvres. Il est impossible de déceler si ses clichés nous donne une représentation ou non de la femme derrière l’appareil. Peut être son compte Instagram éclairera l’observateur curieux. Assez active sur les réseaux sociaux, elle offre une nouvelle forme à son travail, avec des selfies métamorphosant. Versatile, créative et critique, la photographe arrive encore a marquer les esprits

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