Le conflit en Libye est loin d’être terminé et ses conséquences ne semblent plus se limiter au simple territoire libyen. En effet, dans la nuit du dimanche 10 mai 2015, un cargo turc en provenance d’Espagne a été attaqué à plusieurs reprises depuis les côtes libyennes, au large du port de Tobrouk. Cette attaque, qui a provoqué la mort d’un marin turc mais aussi la colère de la Turquie n’est pas un cas isolé. En effet, en janvier 2015, un pétrolier grec avait été attaqué par un avion de guerre libyen faisant deux morts. En plus de cela, la Libye est devenu un foyer du terrorisme islamique qui reçoit des combattants venant de groupes terroristes basés en Syrie et en Irak. Tout ces événements sont symboliques du délitement total de l’Etat libyen.
Le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi était capturé vivant puis abattu par des membres de la rébellion qui avait débuté au mois de février de la même année. Depuis ce jour, la Libye a sombré dans le chaos. La Libye de Kadhafi n’était évidemment pas un modèle de démocratie ou de respect des droits de l’Homme mais le « guide de la Révolution » avait permis a la Libye de conserver une certaine cohérence malgré son caractère tribal et une histoire mouvementée.
LA FIN DU « SYSTÈME KADHAFI » …
Kadhafi avait réussi à mettre en place un équilibre instable en Libye par un mélange de coercition, de redistribution des richesses du pétrole, de clientélisme mais aussi grâce à des accords et alliances avec la plupart des tribus libyennes. C’est ce l’on appelle le « pacte du Livre Vert ».
Les tribus jouaient un rôle extrêmement important au sein du régime de Kadhafi. En effet, l’appartenance à une tribu pouvait permettre d’atteindre des positions sociales très avantageuses. Effectivement, Kadhafi avait réussi à mettre en place un ascenseur social en fonction de la tribu d’appartenance. L’ancien chef d’Etat libyen avait donc réussi à réguler le système tribal en développant des jeux d’alliances et un réseau de redistribution des richesses pour asseoir son pouvoir. Kadhafi avait donc réussi à mettre en place réseau d’alliance articulé autour de sa propre personne, mais pas un réel Etat. De plus, Kadhafi s’est appuyé sur un appareil répressif très développé et brutal. Cet appareil, composé des branches armées de certaines tribus, a bénéficié des importants capitaux investis de la part du régime, permettant à ce dernier de survivre pendant les quarante-deux années du « règne » de Kadhafi.
Toutefois, l’érosion progressive du centre politique, autoritaire mais redistributeur a mis fin au régime de Kadhafi. Car, si dans les années 1970 et 1980, les progrès ont bénéficié à l’ensemble de la population libyenne en termes d’infrastructures mais aussi d’aides sociales, les deux décennies suivantes ont vu une lente dégradation de ce système de redistribution. Ainsi, la Libye de Kadhafi n’a pas réussi à résister aux variations du prix du pétrole, à la quasi-absence de décollage économique du à une économie trop peu diversifiée, aux embargos et au gaspillage de ressources du à une politique extérieure trop ambitieuse. Enfin, la crise économique de 2008 et la hausse du prix des matières premières lors de la même période ont aggravé la situation.
Tous ces éléments ont entraîné un réveil des tribus. Dès 2008, plusieurs tribus se sont affrontées entre elles, menaçant déjà l’unité de l’Etat libyen. Mais en 2011, avec les révoltes tunisienne et égyptienne, les tribus ont retrouvé leur fonction ancestrale et une partie d’entre elles se sont opposées à Kadhafi. On a donc assisté à une « retribalisation » de la société libyenne.
… UNE BONNE OU UNE MAUVAISE CHOSE ?
Le résultat de cette révolution ne semble toutefois pas être réellement positif pour la Libye. En effet, depuis la chute du leader libyen, le pays a été traversé par de nombreuses vagues de séparatisme. A l’est du pays, dans la région du Cyrénaïque, un mouvement fédéraliste avait vu le jour rapidement après la fin de la révolution. A l’ouest du pays, les tribus berbères ont revendiqué la reconnaissance de leur identité tandis qu’au sud du pays, les Touaregs et les Toubous ont eux aussi eu des velléités indépendantistes.
Une réelle situation de guerre civile s’est installée depuis la fin de la révolution libyenne. En effet, un grand nombre de milices « thuwar » (révolutionnaires) ont profité du vide institutionnel laissé par la chute du régime de Kadhafi. Ces « héros de la révolution libyenne » ont donc pris la place d’une police et d’une armée absentes, et contrôlent les bâtiments et quartiers stratégiques au sein des grandes villes libyennes, mais aussi certains sites pétroliers importants.
Finalement, l’Etat libyen semble avoir laissé place à une lutte qui oppose diverses milices, tribus et deux gouvernements auto-proclamés. Le premier, basé à Tobrouk dans l’est, est le gouvernement dit « officiel » car reconnu par la communauté internationale, et est soutenu par l’armée. Le second est non reconnu par la communauté internationale et est basé à Tripoli, dans l’ouest. Il est notamment soutenu par la coalition de milices islamiste, Fajr Libya.
En définitive, il est clair que Mouammar Kadhafi était un dictateur peu respectueux des droits de l’Homme. Toutefois, la situation actuelle en Libye nous pousse à nous interroger sur les effets de l’intervention occidentale de 2011. En effet, si cette dernière était nécessaire pour éviter de potentiels massacres de populations civiles, on peut légitimement se questionner sur le bien-fondé de la décision d’abattre Kadhafi et de négliger la reconstruction de la société libyenne après la fin de l’intervention militaire. D’autant plus que l’Europe est le première à être touchée par l’effondrement de l’Etat libyen qui est devenu une véritable plaque tournante de l’immigration illégale mais aussi du terrorisme international.