Le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris accueille jusqu’au 17 février sa rétrospective « L’art en guerre, France (1938-1947) ». L’exposition retrace le chemin parcouru par ceux qui ont usé de l’angoisse de la Seconde Guerre Mondiale, pour défendre la création artistique.
L’ART ANGOISSÉ
Si le contexte historique s’inscrit dans une France persécutée et dans l’émergence de la dictature hitlérienne, les artistes n’en restent pas moins ignorants – et encore moins indifférents -. Salvador Dalí, Marcel Duchamp, Joan Miró, Max Ernst ou encore Marc Chagall vont appliquer les prémices du surréalisme dès 1938. Leur technique en peinture est souvent sombre, tourmentée, comme une sorte de lavis juxtaposés qui dessinent l’angoisse de l’époque.
Sous la persécution des juifs, de la double propagande nazie et vichyste, la jeunesse et les médias sont atteints par la vague de terreur qui gagne la France et ses pays limitrophes. « Travail, Famille, Patrie » est la devise annoncée par le maréchal Pétain, qu’on glorifie à l’époque en peinture ou sur des drapeaux tissés dans les manufactures. Une situation politique qui flirte avec un despotisme plus qu’équivoque, et qui pousse les artistes à la censure et l’autocensure de leurs œuvres. Les tableaux des grands maîtres de la Renaissance comme Rubens ou De Vinci sont cachés dans les châteaux de la Loire pour échapper à la destruction, alors qu’Hitler affirme sa volonté de domination et refuse la tradition classique.
Seul éclat de lumière dans l’obscurité artistique de la Seconde Guerre Mondiale, l’exposition « Vingt Jeunes Peintres de la Tradition Française » investit la Galerie Braun de Paris, en 1941. Première manifestation d’une peinture avant-gardiste, elle résiste à l’idéologie antisémite et totalitaire ; les formes figuratives s’estompent dans une abstraction qui rogne les visages, les corps et les natures mortes. Des personnages se distinguent de la masse et donnent une nouvelle impulsion au cubisme comme André Fougeron, et bien évidemment Picasso qui en fera son leitmotiv.
PICASSO RÉSISTE
Après le refus de sa demande de nationalité française, Picasso s’établit dans son atelier Rue des Grands Augustins. Pendant l’occupation nazie, sa création prend la forme d’une résistance, et se consacre au style cubiste. La fragmentation des corps représentés, comme celui du fameux portrait Femme assise dans un fauteuil (1941), rend compte de la destruction de la guerre et de ses ravages ; la rupture dans l’image s’effectue par l’utilisation des couleurs et accompagne l’agressivité de ses traits, qui retranscrivent une période dure et en pleine déconstruction.
La technique artistique de Picasso est mise au service du bon vouloir sémantique, et son talent influencera nombre de ses homologues, notamment son ami Georges Braque.
L’ART LIBÉRÉ
Après la libération de l’Alsace, Joseph Steib peint plusieurs tableaux, humiliant à son tour le régime nazi. Ses œuvres qui intègreront l’exposition « Le Salon des Rêves » sont des caricatures d’Hitler, qui ironisent le portrait du führer et détournent le symbole de la croix gammée. Le Conquérant (1942) et La Dernière Scène (1943) – une parodie de La Cène de De Vinci – sont les plus représentatives, et annoncent déjà un souffle de décompression pour la création artistique.
La libération de la France se fait surtout ressentir au Salon d’Automne en 1944 qui approuve l’élan de modernité de certains peintres comme Picasso. L’abstraction est à l’honneur pendant la période de reconstruction, et les normes imposées par les dirigeants de l’époque ne contraignent plus l’art ; après cinq années d’absence d’œuvres dans les musées, celles-ci sont rapatriées par les PTT en 1946, notamment au Louvre. Une sorte de regain de confiance pour le pays, qui depuis, ne lésine pas sur l’art contemporain et novateur.
Maxime Gasnier