L’art kitsch, qui a fait son apparition au XXIe siècle est de plus en plus présent sur la scène artistique contemporaine. D’où vient-il, et que représente-t-il exactement ?
Prenons le temps d’observer les nains qui trônent dans nos jardins, ou la maison rose de Barbie que l’on a reçue pour notre sixième anniversaire, et peut-être comprendrons-nous un peu mieux pourquoi le kitsch s’est aussi bien installé, depuis les vingt dernières années, sur la scène artistique contemporaine.
Le terme « kitsch », d’origine allemande, est apparu vers le milieu du XIXe siècle, entre 1860 et 1870, aux environs de Munich. Selon Éva Le Grand, l’étymologie du mot dériverait soit du verbe allemand verkitschen, qui signifie « brader », « vendre en dessous du prix », soit de l’adjectif kitsching, en « toc », pour signifier des rajouts décoratifs allant jusqu’au mauvais goût.
Jeff Koons, entre héritier du pop’art et pionnier de l’art kitsch
Né en 1955 en Pennsylvanie, Jeff Koons est sans conteste l’un des plus importants artistes vivants de la scène contemporaine. Héritier du pop’art, l’iconographie qu’il utilise dans ses œuvres depuis les années 80 est un véritable catalogue de la culture américaine. En 1992, il commença à revendiquer cet art, notamment grâce à l’immense succès de son œuvre intitulée « Puppy », une sculpture monumentale de fleurs de trente mètres de haut représentant un chiot.
Son œuvre la plus célèbre reste Michael Jackson et Bubbles, en céramique, représentant le célèbre chanteur avec son chimpanzé qui fut adjugée à 5,1 millions de dollars. En effet, le succès de Jeff Koons est tel qu’il est aujourd’hui le troisième artiste le mieux côté de la scène artistique actuelle ! Peut-on dès lors considérer que le kitsch, ce système esthétique de communication de masse, théorisée par Abraham Moles, est aujourd’hui en odeur de sainteté ? Le kitsch, que Koons introduit dans ses œuvres et qui atteint aujourd’hui les hautes sphères de l’art, suscite la controverse.Certains critiques y ont vu la marque d’une décadence de l’art, d’un manque d’imagination, d’un art « pour riches » typique des années 1980.
Pierre & Gilles, et la honte du kitsch
Le kitsch, inspire la méfiance, premièrement parce que sa définition demeure relativement imprécise, et parce qu’au-delà du flou, le mot reflète une connotation péjorative le plus souvent associée au « mauvais goût », qui ne s’attire que rarement les éloges des critiques d’art et des galeristes, dont certains refusent même d’exposer les artistes se revendiquant créateurs d’art kitsch. Nous comprenons ainsi que le cas de Jeff Koons est unique, c’est pourquoi il n’est pas intéressant de s’attarder sur le cas de Pierre & Gilles, deux créateurs niant leurs liens avec le mouvement kitsch.
Pierre Commoy, un photographe français né en 1950, et Gilles Blanchard, un peintre français né en 1953, sont deux artistes qui ont commencé à travailler ensemble en 1977. Leur collaboration a donné naissance à des œuvres photographiques peintes qui ont attiré l’éloge à bien des critiques d’art ! Cependant, Pierre & Gilles, sans doute par réflexe de défense et souci d’indépendance, récusent le terme « kitsch » pour qualifier leurs œuvres ; les deux artistes préfèrent alors revendiquer une inspiration dite « populaire ».
Leurs œuvres, en totale rupture avec l’idée académique du « bon goût », sont fortement marquées par l’influence du pop’art. Leurs photographies, qui sont retouchées avec de la peinture, abordent des thèmes de la culture pop, de la culture gay, y compris de la pornographie, ou de la religion. Il n’est donc pas inintéressant de faire un rapprochement avec l’art kitsch. Ajoutons qu’en plus de leur influence assumée de l’art pop, leur exposition intitulée double je, qui s’est tenue à Paris en 2007, offrait un large panorama de leurs trente ans de collaboration à travers un univers inspiré tout droit de l’imagerie orientale et religieuse, et qui fut qualifiée de « kitsch » par les critiques.
On y retrouve des portraits de personnes, tels que des saints, des marins, des chanteurs ou des comédiens, transformés en icônes par le processus artistique de Pierre & Gilles, comme le montre l’œuvre intitulée La Madone au cœur blessé. Les cadres des œuvres, généralement de style baroque, soutiennent notre rapprochement entre leurs créations et l’art kitsch puisque comme nous le dit Éva le Grand : « C’est Frank Wedekind qui, le premier, a établi une équation entre kitsch et modernité en identifiant l’essence même de celle-ci comme spécifiquement kitsch qu’il comprenait comme une forme contemporaine du gothique, du rococo, du baroque ».
En apparence « kitsch », superficielles, et à la frontières entre peinture et photographie, leurs œuvres engagent le spectateur dans une exploration spéculaire, entre mythe et réalité. Ces artistes ont su, malgré eux, magnifier le kitsch et créer un monde onirique fantastique fait d’idéaux, de couleurs et de contes.
En conclusion, on a pu constater que le kitsch puise, dans l’idéologie du pop’art puisqu’il présente les mêmes caractéristiques et les mêmes théories. Si l’on admet dès lors que la scène artistique contemporaine est submergée par l’art kitsch, il est important de préciser que cela peut se faire de manière involontaire ou inconsciente puisque le kitsch demeure dans les esprits un terme qui connote une « forme moderne de mauvais goût » pour reprendre la définition de Jean-Yves Jouannais, critique d’art, et spécialiste incontesté du kitsch en France.