En désignant, ce mardi 11 août 2020, Kamala Harris comme sa colistière, Joe Biden et son parti rencontrent un vrai regain de popularité. L’occasion est alors de revenir sur ce rôle de colistier. L’investiture récente des bras droits pour la cinquante-neuvième élection présidentielle américaine souligne l’importance électorale de cette nomination, bien loin de son historique mauvaise réputation.
En effet, si le vice-président peut être considéré comme le second de l’exécutif, il ne dispose en réalité d’aucun pouvoir exécutif. Son rôle de second peut être également perçu, au premier abord, comme l’une des personnalités les plus importantes du paysage politique américain.En réalité ce poste est plus que souvent rallié par les citoyens américains eux-mêmes. Nombreuses sont alors les boutades s’amusant de cette fonction très symbolique, si bien que même un des détenteurs de ce poste, Harry Truman, le qualifie d’ « aussi utile que la cinquième tétine d’une vache ». La réputation du vice-président est alors souvent tournée en ridicule, la fonction constitutionnelle de remplacement du président étant jugée bien trop situationnelle. Toutefois, le rôle du vice-président n’est, en effet, pas fixe, sa position tend à évoluer en témoigne l’adoption du XXVe amendement de la Constitution, le 23 février 1967, visant à élargir la fonction de remplacement, celle-ci peut désormais se faire dans de nombreuses situations et non plus seulement en cas de décès ou de démission.
De quoi se rajouter aux moqueries, le vice-président est aussi un individu avec une réputation de bras cassé à l’image du pauvre Dan Quayle, vice-président de George Bush père. Caractérisé par ses gaffes, il est tristement récompensé par un prix lg-Nobel (prix parodiant les Nobel en récompensant les personnalités tournées en ridicule dans l’opinion publique) en 1991. Son nom est aussi utilisé comme plus bas score possible dans la série de jeux vidéo « Civilization ». Harry Truman, encore lui, n’est pas en reste. Si la postérité a un peu redoré son blason, il reste qu’il a été au cœur de nombreuses moqueries de ses contemporains, le « président du hasard », selon la formule de l’historien André Kaspi, reste dans les mémoires pour sa méconnaissance du programme de Roosevelt après la guerre.
On peut néanmoins souligner que ce rôle de pitre sert aussi à mettre en avant le Président et ainsi lui attribuer d’éventuelles erreurs du gouvernement. En réalité, la palette du vice-président dépend surtout du bon-vouloir de son Président, et de ses relations avec celui-ci. Ainsi, si pendant les deux premiers siècles de son existence le poste demeure un rôle honorifique, le premier vice-président John Adams (de 1789 à 1797) n’est même pas posté à Washington, le poste tend à évoluer vers plus de fonctions et de reconnaissance.
Vers un rôle de plus en plus important ?
C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que ce rôle évolue le plus, en 1949 le vice-président obtient son premier rôle officiel lors de son entrée dans le Conseil de sécurité nationale (NSC). La révolution se fait sous la vice-présidence de Richard Nixon (sous les ordres d’Eisenhower lors de ses deux mandats), il préside des réunions lors de son absence au cabinet et réalise des déplacements officiels pour représenter les États-Unis notamment face à Nikita Khrouchtchev en 1959. Mais si ce poste évolue il n’en demeure pas moins limité, le vice-président Lyndon Johnson, bien qu’à la tête du programme spatial (une ébauche de la NASA) est complètement tenu à l’écart des négociations lors de la crise de Cuba en 1962.
Le duo Jimmy Carter-Walter Mondale caractérise la reprise de l’avancée vice-présidentielle, ce dernier est le premier de sa fonction à disposer d’un bureau dans la Maison Blanche, qui plus est dans l’aile ouest soit proche du bureau ovale. Si on exclut la parenthèse Dan Quayle on assiste à une vraie montée en puissance du rôle de vice-président : Al Gore est impliqué au Conseil national de sécurité et se positionne dans les questions extérieures.
La quintessence du pouvoir vice-présidentiel se personnifie sous les traits de Dick Cheney, qui voit ses pouvoirs élargis suite aux attentats du 11 septembre 2001 afin d’éviter que le pays ne soit paralysé en cas de nouvelles attaques. En plus de cet exécutif bicéphale, de nombreux politologues comme David Rothkopf considèrent Dick Cheney comme le véritable homme fort de l’exécutif. Depuis, le rôle du vice-président reste conditionné à sa relation avec son président mais il demeure tout de même plus important qu’à sa création, en témoigne le rôle de conseiller de Joe Biden à Barack Obama. Ce dernier considère même son vice-président comme un bras droit plus que comme un remplaçant.
Face à la fluctuation de l’importance des vice-présidents, il reste qu’une possibilité du poste est très constante. On parodie parfois la vice-présidence comme un stage doré pour accéder au poste suprême, à l’image de Frank Underwood qui considère ce poste comme une étape obligatoire pour atteindre le Graal, force est de constater la forte porosité d’une fonction à l’autre. Si on met de côté les neuf vice-présidents qui succèdent directement au président, quatre vice-présidents sont élus juste après leur mandat. Les pères fondateurs John Adams et Thomas Jefferson sont élus en 1797 et 1801, Martin Van Buren en 1837 et George H. Bush en 1898. Si Richard Nixon a dû patienter jusque 1969 pour son moment de gloire, de nombreux anciens vice-présidents sortent perdants des élections présidentielles, Al gore en est l’exemple le plus récent en 2000.
Le rôle électoral : le colistier roi
Avec l’essor de la télévision qui s’impose, dans les années 50, comme le média de masse par excellence, la stratégie électorale évolue. Si la sociologie électorale nous prouve que l’image qu’on se fait d’un candidat est plus susceptible de nous influencer que tout le reste alors la guerre électorale est avant tout une guerre d’image. L’objectif du vice-président est alors de représenter ce que le président n’est pas, afin d’attirer une nouvelle base électorale. Ainsi, lors de l’élection de 1960 le candidat Kennedy, catholique et issu d’une famille aisée, déjà ancrée politiquement (son grand-père maternel est maire de Boston) et du Nord-est des États-Unis choisit comme colistier Lyndon B. Johnson, un chrétien ayant grandi dans une ferme du Texas.
De cette façon, le choix des colistiers n’est évidemment pas anodin. La nomination de Kamala Harris comme colistière du Parti démocrate pourrait, en cas de victoire, faire d’elle la première femme, première noire et première personne d’origine asiatique (par sa mère née en Inde). Son histoire, fille de deux immigrés, permet alors d’attirer les voix de la communauté afro-américaine encore plus dans ce contexte de tension et de débats sur le racisme structurel américain. À l’image de ses converses, Kamala Harris met l’accent sur son âge dans une élection où, à 77 et 74 ans, Biden et Trump sont les plus vieux candidats à la présidence de l’histoire américaine. Toutefois, son passage en tant que Procureur générale de Californie est marqué par des emprisonnements d’afro-américains pour des petits délits et à ce titre ne séduit pas les électeurs les plus réformateurs. Reste que sa candidature fonctionne bien sur les démocrates modérés et va sans nul doute toucher l’électorat féminin afro-américain.
Pour cette élection, Donald Trump fait le choix de reconduire Mike Pence comme colistier. Choix lui aussi stratégique tant ce dernier n’est, sur le fond, pas très différent du Président, mais beaucoup plus sur la forme. Se définissant selon le triptyque chrétien, conservateur, républicain, l’ancien gouverneur de l’Indiana possède une personnalité plus calme et taciturne contrastant avec le caractère ignifuge du Président. Ainsi, son tempérament et sa grande popularité dans les milieux évangélistes, un des cœurs électoraux de Trump, en fait un grand allier pour l’élection du candidat républicain.
De cette façon, le poste de Vice-président a su évoluer avec le temps en se détachant progressivement de sa réputation burlesque. Si le rôle n’est pas fixe et est toujours corrélé à la personnalité du colistier et de celle de son Président, il en demeure un atout majeur à ne pas négliger dans sa stratégie électorale.