L’annonce ce dimanche des contrôles positifs de l’Américain Tyson Gay et de plusieurs athlètes jamaïcains, dont l’ancien recordman du monde du 100m Asafa Powell, a fait l’effet d’une bombe. Si les concernés plaident la bonne foi, le coup est rude pour le sprint mondial, qui voit une fois de plus son image écornée. Un nouveau scandale qui fait réagir, à quelques semaines des championnats du monde de Moscou.
«Visiblement, j’ai placé ma confiance en quelqu’un et j’ai été déçu ». C’est par ces mots que Tyson Gay, meilleur performeur mondial de l’année sur 100m (9’’75), a lui même révélé dimanche son contrôle positif, lors d’une conférence de presse téléphonique. La substance incriminée, détectée hors compétition le 16 mai dernier, n’est pas encore publiquement connue, mais l’Américain n’est pas surpris : « Je sais parfaitement quand tout cela est arrivé, mais je ne peux pas en parler maintenant. Je dois avant tout m’entretenir avec l’USADA (l’agence américaine d’anti dopage). Je me dois d’être honnête avec eux, sur tout, les gens que j’ai côtoyés, les compléments alimentaires que j’ai pu prendre, les entreprises avec qui je travaille, tout. ». Sa participation aux mondiaux de Moscou n’est bien sûr plus d’actualité. Mais au delà du fait brut, c’est un nouveau couteau dans le dos de l’athlétisme, et plus particulièrement du sprint, qui a déjà connu de nombreuses affaires similaires dans le passé. Aux Jones, Chambers, Gatlin… vient donc s’ajouter le nom de Gay, un athlète qui véhiculait pourtant une bonne image, après avoir participé il y a quelques années à un programme de lutte contre le dopage. A cette occasion, il avait même déclaré : « Je cours propre parce que je crois en l’équité mais aussi parce que sinon, ma mère me tuerait ! ». Si l’échantillon B confirme le verdict, Gay va devoir prouver sa bonne foie, au risque d’une lourde sanction, qu’il affirme d’ailleurs être prêt à accepter : « J’accueillerai n’importe quel type de sanction comme un homme car je suis responsable de ce que j’ai mis dans mon corps ». Reste qu’à 30 ans, la carrière du champion du monde 2007 du 100m est bel et bien en danger.
« Ça fait encore du mal à l’image de l’athlétisme »
A moins d’un mois du début des mondiaux, l’onde de choc est énorme, et les réactions vives. L’athlétisme français, réuni ce week-end à Charléty pour les championnats de France, s’est largement exprimé sur le sujet. A commencer par Jimmy Vicaut, champion de France sur 100m et troisième tricolore de l’histoire à franchir la barre mythique des 10 seconces (9’’95 ce samedi). « C’est con qu’il se dope, et c’est con ce qu’il dit. Je ne pense pas qu’il avait besoin de ça pour courir vite », a-t-il commenté. Pour Christophe Lemaitre, champion d’Europe sur la distance reine, c’est la stupeur qui prédomine : « Ça m’a choqué, je ne m’y attendais pas du tout. On m’aurait dit quelqu’un d’autre, bon… Ça fait encore du mal à l’image de l’athlétisme, c’est un choc. ». Bernard Amsalem, président de la fédération française d’athlétisme, voit lui un double sens dans cette révélation : « C’est une bonne et une mauvaise nouvelle. Une bonne, parce que la lutte contre le dopage progresse, même auprès des tout meilleurs. Une mauvaise, parce que c’est quand même triste qu’un athlète de cette envergure ait avoué sa faute. Ça déconsidère un peu le monde de l’athlétisme. Mais c’est bien, parce que même les plus grands peuvent être coincés par la patrouille ». Mais la réaction la plus forte vient sans doute de Ladji Doucouré. « Il y a des gens qui jouent avec ça et qui perdent, et d’autres non. Moi je galère, mais quand je vais revenir, vous saurez pourquoi je pleure. Certains jouent avec les règles, et d’autres préfèrent gagner leur vie dignement et lutter comme ça. C’est un sport à deux vitesses, il y a des gens qui ne boivent pas que de l’eau et d’autres si. On sait qui mange et qui ne mange pas, comme on dit, selon les rumeurs… C’est comme dans mon quartier, je sais qui va prendre le RER le matin pour galérer et aller travailler, et qui va se lever à 14h et gagne bien sa vie. ». Un discours plein de sens, et qui rappelle combien le français a lutté contre les blessures et le mauvais sort depuis 2005 et son titre de champion du monde sur 110m haies.
Powell positif aussi
Peu après l’annonce de Tyson Gay et les réactions qu’elle a engendré, le quotidien national jamaïcain The Gleaner est venu lancer un autre pavé dans la marre. Le journal rapporte en effet que cinq athlètes jamaïcains ont été contrôlés positifs en juin dernier, lors du championnat national. Parmi eux, l’ex recordman du monde Asafa Powell, et Sherone Simpson, vice championne olympique sur 100m à Pékin en 2008. Powell a lui même validé l’information dans la soirée, via un communiqué : « Je confirme qu’un échantillon que j’ai donné en juin lors des championnats nationaux est revenu avec des résultats défavorables. De l’oxilofrine a été retrouvée et cette substance est considérée par les autorités comme un stimulant interdit ». Mais lui aussi évoque une prise illicite à l’insu de son plein gré : « Je veux dire clairement à ma famille, à mes amis et à tous les fans qui me soutiennent dans le monde que je n’ai jamais pris en connaissance de cause ou volontairement des substances interdites par les règlements. Je ne suis pas et je n’ai jamais été un tricheur ». Même combat pour sa compatriote Sherone Simpson, elle aussi pincée à cause de traces d’oxilofrine, un stimulant, dans ses urines. « En tant qu’athlète, je suis responsable de ce qui entre dans mon organisme. Je n’ai jamais pris de substances prohibées de manière intentionnelle. », a déclaré la sprinteuse, en guise de défense. Pour les trois autres Jamaïcains concernés, a priori un « coureur » et deux « lanceurs ou sauteurs », rien n’est encore certain.
Une aubaine pour les Français ?
Si ces contrôles font mal au monde du sport, ils pourraient pourtant faire le bonheur de certains athlètes. A Moscou, le sprint masculin sera privé de Tyson Gay et d’Asafa Powell donc, mais aussi du champion du monde en titre Yohan Blake, blessé. Une autoroute pour le sextuple champion olympique Usain Bolt, qui ne semble plus avoir aucun concurrent crédible. « La foudre » pourrait même s’ennuyer le mois prochain, tant les titres sur 100m et 200m semblent déjà s’offrir à lui. Derrière en revanche, difficile d’y voir clair car nombreux sont les prétendants possibles au podium. Et si la Jamaïque et les Etats-Unis seront encore bien représentés, les Français Jimmy Vicaut et Christophe Lemaitre peuvent y croire. Avec ses 9’’95 établis ce samedi à Charléty, le premier cité est le cinquième homme le plus rapide de la saison, en retirant les chronos des futurs bannis. De quoi espérer. Le second, s’il est en retrait sur la plus courte distance, peut nourrir de grandes ambitions sur 200m. « Tant mieux, ça ouvre des perspectives. L’objectif c’est une médaille à Moscou, et on verra après. », s’est même réjoui son entraîneur Pierre Carraz. A eux d’en profiter, et de montrer que l’on peut courir vite sans tricher.