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Le stagiaire et la bourgeoise

Le stagiaire est à la mode, il est le symbole de toute une génération, la génération Y, notre génération. Le stagiaire, c’est ce statut par lequel tout jeune est contraint de passer au cours de son cursus pour entrer dans la vie professionnelle. Formidable épopée de ce jeune plein d’envie qui part conquérir le monde de l’entreprise, et qui est même devenu le Roi de l’open-space. Retour sur la révolution de cette génération de conquérants à la lumière de l’article du Figaro Madame.

Études, stages et chômage, ta devise tu respecteras.

Il était une fois, l’histoire d’un jeune fraîchement diplômé de l’Université. Il a tout suivi jusqu’ici, ses parents lui ont dit de faire des études pour avoir un travail plus tard « C’est important de travailler dur, ça te permettra d’avoir une meilleure situation que nous » lui ont lâché ses parents, quinquagénaires, fraîchement mis à la porte de leurs jobs « de manière volontaire ». Pendant ces études, « la plus belle période de ta vie » selon les « adultes », le jeune aura déjà eu l’occasion de côtoyer l’entreprise, en 3éme. Le prof présente ça comme une belle expérience pour approcher le monde de l’entreprise, mais dés l’arrivée dans l’entreprise, l’histoire d’amour tourne à la romance d’un ado, comme nous l’annonce le Figaro Madame dans son manuel de survie à destination des victimes du stagiaire Roi: « [Il] Suit balourdement son maître de stage à la trace. A la pénible impression qu’une minute équivaut à deux heures. A fréquemment une frite restée coincée dans son appareil dentaire. Écrit des phrases sujet-verbe-complément en guise de notes dans son calepin tout neuf. Boulotte discrètement (ou pas, c’est selon) son DooWap et son Yop à l’heure du goûter. » On le comprend, le futur monstre de l’entreprise tel le monstre de Frankenstein est né.

Né de l'imagination d'un capitaliste fou, le stagiaire, entité à l'apparence humaine et au fonctionnement de robot est devenu une créature incontrôlable

Né de l’imagination d’un capitaliste fou, le stagiaire, individu à l’apparence humaine et au fonctionnement robotique, est devenu une créature incontrôlable

Après une mise en sommeil prolongée et sa crise d’adolescence passée, le monstre revient pour vous jouer un mauvais tour, paré d’un costume sentant encore la naphtaline, il a la confiance du jeune diplômé ou du futur diplômé, lui qui a fait tremblé la DRH en lui jetant CV et lettre de motivation sur son bureau et qui lui reproche de n’avoir pas pris conscience de la chance pour l’entreprise de le recruter.

Le premier jour, il est attendu et déjà redouté, il bouleverse les codes et les habitudes, fini les petites plaisanteries en mode « sous-entendu » entre les collègues, le stagiaire va créer une rupture, une remise en question de tout l’open-space, devant cet individu, tête d’ange et diable au corps, tout lui semble dû. Il pose des questions, ose aborder la question des horaires voire même pire, prétend aux tickets restaurants. Face à cette révolte du petit personnel devenu grand, la résistance s’organise entre les historiques qui voient en ce stagiaire l’ennemi de demain, celui qui va venir planter un coup de poignard dans le dos pour venir prendre la place.

Car c’est bien la question, le stagiaire animé par sa passion du monde de l’entreprise, pourquoi ne passe t-il pas comme nous, les installés, en CDI au lieu de faire l’affront d’affirmer sa différence et de prétendre déjà savoir quand il quittera l’entreprise alors qu’il vient à peine d’y rentrer.

Bienvenue dans la réalité, Madame le Fig.

Très clairement pour nous, ces jeunes de la génération Y, une génération qui avait tout pour elle sur le papier, qui devait avoir le monde de l’emploi à ses pieds avec le départ des baby-boomers, quasiment connaître l’immortalité et la providence de la société de consommation, la réalité est bien loin du compte attendu.

Pour nous, jeunes de la génération Y, nous sommes la génération du chômage, de la mondialisation avec son village global où les multinationales préfèrent délocaliser pour faire travailler la génération Z, les enfants, en Chine et dans d’autres pays où les Droits de l’Homme sont un concept abstrait, « d’occidentaux ». Concurrencé par ses ainés et ses cadets, la génération Y va payer et commence déjà à découvrir son funeste destin.

Toi, Madame le Fig, qui va bien pouvoir payer ta retraite pendant des dizaines d’années alors que tu t’es arrêté de travailler pour profiter des joies de la vie? Ne serait-ce pas ce stagiaire que tu redoutais tant, lui qui a dû enchainer stage après stage pour faire quasiment les mêmes tâches que toi. Alors oui, c’est un salaud ce stagiaire qui a remplacé ton collègue en CDI qui coutait trop cher, mais que veux-tu, c’est la loi du marché, face à lui tu ne peux pas lutter, il bosse pour un quart de ton salaire, sans tes congés, tes primes, ton 13éme mois et ton humour. Il te fait tes photocopies en osant te tirer une tronche d’enterrement et ose retenir les feuilles dans sa main quand tu ne lui a pas dit « merci ». C’est vrai que c’est devenu le roi de l’open-space, lui qui prétendait juste, au départ, être ton serviteur à vil prix, ou même gratuitement.

Le trône du Roi, la photocopieuse et la machine à café

Le trône du Roi, la photocopieuse et la machine à café

Tout à fait Madame le Fig, toi dans ta rédaction dorée qui profite encore des privilèges des journalistes casés face à toute la nouvelle génération de pigistes, que tu méprises sans haine ni violence, vous n’êtes pas du même monde. T’as appris à taper ton texte sur une machine et à le donner à un secrétaire de rédaction, ton pigiste virulent qui te fait face est né avec internet et pour lui, c’est l’ère de la polyvalence, tantôt journaliste, il fait ton boulot sans avoir la carte de presse, obligé parfois même de payer sur les événements dont il assure la couverture,  on lui refuse de prétendre exercer ton métier, ce métier qui a visiblement échappé à la fin des corporations par la persistance d’une Commission Suprême qui va te dire si tu es apte ou non à passer dans la lumière ou si tu dois rester dans le côté obscur de la force des rédactions.

Car il est bien vrai que les gens ignorent bien souvent la réalité des rédactions, surtout en web, mais pourquoi s’en prendre à cette majorité silencieuse qui émerge jour après jour, à cet esclavagisme moderne, qui fait travailler un bac +5 pour à peine 5€ de l’heure? Cette génération Y dont tu as identifié le monstre, elle se bat pour vivre, elle se bat pour un avenir qu’elle espère meilleur que son présent, alors tu peux toujours dire que toi, Madame le Fig, tu as de l’humour, tu ne visais pas tous les stagiaires, ce qui reviendrait à faire un classement entre eux, entre le bon stagiaire et le mauvais, sur quels critères? Tant qu’à faire, quitte à avoir de ma main d’œuvre quasi gratuite et corvéable à merci, autant en faire la sélection et prendre les meilleurs, et en faire, une fois pour toute, les Rois de la Génération Y.

Christophe Crépin,

Directeur de la Rédaction du Premier média jeune de France;

Stagiaire dans la vie professionnelle

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