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L’Edito de Tristan Molineri : Bernard met la presse régionale du sud…au tapis

C’est désormais acté, Nanard is back. L’homme d’affaire controversé a mis la main sur les quotidiens du Groupe Hersant Médias, dont les titres régionaux La Provence et Nice-Matin. Si les modalités de l’acquisition suscitent des interrogations, ce sont surtout les intentions réelles d’un homme réputé « carambouilleur » qui inquiètent.


Peut-on devenir successivement (ou simultanément) chanteur, homme d’affaire, pilote de course, ministre d’un gouvernement socialiste, dirigeant d’un club de football et acteur ? Oui. La solution la plus simple serait, bien sûr, de parvenir à maitriser le don d’ubiquité. Ou alors, il y a toujours la possibilité de s’appeler Bernard Tapie. Jouer sur tous les tableaux, avoir sans cesse des choses à dire et sur n’importe quel sujet, déverser son verbiage coloré dans l’espace public, mais par-dessus tout, séduire. Le bagout, c’est probablement la seule vraie attribution de ce touche-à-tout. La capacité à charmer son public peut constituer la plus puissante des armes lorsqu’elle est bien exploitée. Nanard l’a bien compris, et c’est sa grande gueule qui le conduit aux côtés de Pierre Beregovoy en 1992, alors Premier Ministre de François Mitterrand.

 Tapie, mode d’emploi

 A la fin des années 80, l’homme d’affaires s’est illustré par de nombreuses opérations d’achat et de revente de sociétés en difficultés. ManuFrance, Testut, la Vie Claire… La plupart des entreprises rachetées par l’ancien président de l’OM ont connu la liquidation peu après son passage. Il avait alors pour coutume d’acheter des sociétés placées en règlement judiciaire, de les relancer ou non, et de les revendre plus cher. En 1981, Bernard Tapie acquiert la société Terraillon pour un franc symbolique. Quatre ans plus tard, l’entreprise n’était pas dans une meilleure santé financière, pourtant il la revend à Hibernia Capital Partners pour 33 millions de Francs. Cette magouille, il la répéta maintes et maintes fois. Et construit ainsi sa fortune.

 Tapie, animal politique

 En 1992, alors président de l’Olympique de Marseille, Nanard Grosse-Bouche séduit le chef de l’Etat par son franc-parler et son audace. On parle bien d’un homme qui, alors qu’il n’avait jamais été un professionnel de la politique, a été le seul à oser affronter Jean-Marie Le Pen à l’occasion d’un débat télévisé. Le fondateur du Front National, lui, ne s’attendait pas à être confronter à un tel animal politique. Bernard Tapie attaque, pense et dit tout haut que « si l’on juge que Le Pen est un salaud, alors tous les électeurs du FN sont des salauds ». Le Pen est mouché, Mitterand impressionné. En 1992, il devient ministre de la Ville.

 Puis c’est la débandade : en 1993, il est inculpé pour abus de bien sociaux dans l’affaire Toshiba (qui l’oppose au député et homme d’affaire Georges Tranchant). En tant que ministre de la Ville, il ne peut se permettre d’être embourbé dans une telle querelle judiciaire. La Bouche-du-Rhône doit alors présenter sa démission. En Janvier 1994, il obtient un non-lieu, et fait son grand retour au gouvernement. Mais les socialistes ne lui ont jamais pardonné ses démêlés avec la justice. Bernard, lui, n’était pas au bout de ses peines. L’affaire VA-OM, la faillite de l’Olympique de Marseille, son incarcération, l’affaire du Crédit Lyonnais… Des heures bien sombres lui étaient promises. La traversée du tunnel fût longue. L’histoire raconte qu’il devait déboucher sur la région PACA, fin 2012. Oui, Bernard Tapie est bel et bien de retour aux affaires, pour le malheur de la presse régionale.

 Transaction entérinée, presse régionale enterrée ?

La reprise du Groupe Hersant Média l’homme d’affaire, dont La Provence et Nice-Matin, devrait être homologuée par le tribunal de Commerce de Paris dans le courant du mois de Janvier. Dès lors, une question se pose : peut-on laisser un homme si peu scrupuleux, un homme si « carambouilleur » (selon l’expression employée par Patrick Menucci, député PS dans les Bouches-du-Rhône) s’emparer des deux grands quotidiens sudistes ? Dans une France des connivences, serait-on en passe d’accepter qu’une personnalité si controversée s’empare d’un si grand groupe médiatique ? N’oublions pas que Bernard Tapie est un animal politique. Il dissimule son ambition, mais personne n’est dupe : le rachat du Groupe Hersant, est pour lui, un premier pas vers un retour en politique. A ce titre, quel meilleur moyen d’accéder à la tête de la municipalité de la deuxième ville de France que d’en posséder le premier média ? Les connivences entre la presse et le pouvoir, si caractéristiques de notre pays,  seraient à leur paroxysme.

Mais il est un fait encore plus cocasse, quand on connait les mœurs peu équivoques du nouveau patron de presse. La semaine dernière, Bernard Tapie a annoncé son intention de créer « une charte d’attitude » des journalistes, qui s’assurera qu’ils s’intéressent « aux faits et rien qu’aux faits ». Le nouveau propriétaire du groupe Hersant s’adonne maintenant à des cours de déontologie journalistique. Curieusement, Jean-Noël Guérini, le président PS des Bouches-du-Rhône – également en proie à de sérieux ennuis judiciaires, a salué l’initiative – et l’arrivée – de l’ancien directeur de l’OM. Rassurant.

Bernard Tapie est un homme unique. Il a été rattrapé par la justice à maintes et maintes reprises, et pourtant sa parole fait encore foi. A croire qu’il peut faire ce qu’il veut, l’opinion publique fera toujours carpette devant sa langue bien pendue.

 

Tristan Molineri

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