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Leïla Slimani, féminisme et espoir

A l’occasion des Inrocks Festival et de la sortie de son dernier livre Le pays des autres, Leïla Slimani s’est exprimée à la Gaîté Lyrique ce jeudi 5 mars. Elle fait partie de celles qui se sont levées le 28 février dernier. Son livre prend place au cœur de la société marocaine d’après-guerre et nous livre une profonde réflexion sur la place de soi : colons, soldats, paysans et ces femmes, qui vivent dans le pays des hommes. Sa parole sensible et lucide témoigne de ces dominations régnantes d’aujourd’hui. Roman d’une terrible actualité.

Romancière devant l’histoire.

Sa voix calme a su imposer le silence entre les murs de l’auditorium de la Gaîté Lyrique. Quelques regards perdus, ses mots sont d’abord rassurants. Une tranquillité naturelle, des convictions affichées avant de prendre la parole sur un roman attendu.

L’auteur tourne la page des endroits clos et construit son livre au cœur du Maroc, aux origines de Léïla Slimani il y a 38 ans. Un pays à la frontière des cultures ; une nécessité de le rappeler lorsque l’Europe lui tourne le dos depuis vingt ans. Mathilde, jeune alsacienne, et Amine, un marocain combattant dans l’armée française s’installent à Meknès après la Libération, ville de garnison et de colons. Une histoire d’une dizaine d’années, de 1944 à 1956, qui raconte l’émancipation du Maroc, mais pas celle des femmes.

Sérénité et féminisme (crédit Les Napoléons.com)

« Je ne veux pas écrire la grande Histoire » affirme le Prix Goncourt 2016 pour Chanson Douce. Une histoire d’un pays resté longtemps dans l’ombre de celle de l’Algérie ou de la Tunisie. Nous retrouvons une grande fresque de personnages et c’est à travers leurs yeux qu’est vu le Maroc. Une envie d’ampleur et un défi qui dépasse les considérations littéraires. Soufflé des grands romans russes, l’auteur nous livre un récit inspiré et d’une certaine humilité.

Entre ces lignes, une métaphore semble se dessiner. Celle du travail acharné et impossible d’un couple mixte devant la rigidité du sol marocain comme une lutte pour l’indépendance difficile d’un pays et des femmes qui l’habitent.

Paroles de féministe.

« Le Maghreb est aujourd’hui un territoire traversé par des élans de liberté, de révolution, de libération des femmes. » Les règles changent, les rapports de domination sont remis en cause : ample écho à la période #MeToo. Une parole lucide loin des discours d’enfermement. Des mots paisibles dans un débat qui manque terriblement de sérénité. En bref, Leïla Slimani nous prouve la nécessité de l’écrivain aujourd’hui.

Le pays des autres est un roman profondément féministe. Mathilde ne respecte pas la règle du groupe et subit le statut d’ « ultra-colonisé » attaché à la femme durant cette période et dans cette société qui ne connaît que violences et tensions : une femme seule avec ses deux enfants, étrangère aux yeux des autres. Une femme en lutte avec elle-même et l’engloutissement du cadre familial. Discours d’urgence pour le combat des femmes pour celle qui a suivi la révolte d’Adèle Haenel durant la cérémonie des César.

« Le silence, c’est terminé ».

Leïla Slimani, au micro de France Inter

Leïla Slimani fait partie de ces voix qui s’élèvent de nos jours. Une enfant de Simone de Beauvoir comme Virginie Despentes, qui dénonce la maladie de la société causée par une justice non rendue. « L’achèvement du combat féministe sera la fin de l’impunité que bénéficient ces écrivains, ces chefs d’entreprise, ces universitaires, ces entraîneurs, ces hommes. » Tout en signifiant que « les César ne sont qu’un épiphénomène », Leïla Slimani s’intéresse à la femme, à toutes les femmes, en nous soufflant à l’oreille qu’ « aujourd’hui, des choses ne sont plus possibles ».

Repenser les frontières de l’identité.

A travers le prisme d’un couple mixte dans son roman sous-titré « La guerre, la guerre, la guerre », Slimani livre une ode au vivre ensemble, vivre à deux : une nécessaire et constante adaptation à l’histoire de l’autre. Une confusion à apprivoiser et cultiver. « Une définition de l’amour » nous confirme-t-elle. Les frontières de l’intimité, du soi et de l’identité sont rebattues.

Amine n’est pas complètement chez lui. Il a combattu pour un autre pays et revient dans une terre qui n’est plus vraiment la sienne. Mathilde a quitté son Alsace natale. Des étrangers dans « le pays des autres ». Un sentiment d’étouffement s’en dégage : inspiration certaine à l’histoire de son auteur.

Leïla Slimani, Prix Goncourt 2016 (AFP / Joel Saget)

« Étrangère à elle-même » selon ses propres mots, Leïla Slimani est à la frontière de deux cultures, deux histoires. En équilibre, l’auteur écrit de là où elle n’est pas vraiment. Ni complètement marocaine, ni entièrement française. L’identité tient à peu : « Nous sommes ce que l’autre veut que nous soyons » souligne-t-elle. Une vérité qui voudrait se faire entendre.

Une chose est sûre : l’auteur se lance dans une grande entreprise. Peut-être à la recherche de sa grande œuvre. Ce roman est le premier volet d’une trilogie annoncée sur plus de 80 ans. En effet, le second volet prendra place en 1969 sur dix années et le dernier portera sur les années 2010 lors de la crise migratoire et les attentats. Une trilogie qui sera « adaptée au grand écran » nous confirme Leïla Slimani. Preuve que celle qui milite pour le droit à l’avortement et aux relations sexuelles hors mariage au Maroc a encore des choses à nous dire. Nul doute, l’écrivain qu’on ne présente plus fera encore du bruit.

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Journaliste culture, politique et société
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