Alors que l’interdiction de manifestations pro-palestiniennes à Paris, samedi et dimanche, ont tourné à l’émeute, une autre –autorisée par le gouvernement cette fois – devrait se tenir demain dans la capitale. L’occasion de rappeler ce que dit la loi française à ce propos et pourquoi, parfois, les rassemblements dégénèrent.
Les scènes de désolation visibles à Sarcelles (« La petite Jérusalem ») et à Barbès ce week-end ont révolté de nombreuses personnes. Et pour cause : en temps de restriction budgétaire drastique, on évalue les dégâts causés à environ plusieurs milliers d’euros. Sans parler de la dimension, si ce n’est « antisémite » comme le martèle depuis trois jours le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, au moins aussi intolérable qu’intolérante et nationalement néfaste. Mais heureusement, toutes les manifestations ne se terminent pas avec les pavés détachés, le goudron enlevé, les poubelles éventrées et renversées, les voitures calcinées ou les vitrines explosées. Même si les débordements en marge de celles-ci sont étrangement de plus en plus fréquents.
Grèves et manifestations : deux poids, deux mesures
Selon la définition du dictionnaire Larousse, « une manifestation est une action collective, organisée en un lieu donné sur la voie publique, ayant un caractère revendicatif ». Parmi les diverses formes de manifestations, la plus répandue est le défilé (ou « marche »), mais on peut aussi inclure les blocages ou les sit-ins. Enfin, qu’elles soient pacifiques ou non, les manifestations sont des mouvements de masse qui nécessitent l’encadrement d’organismes chargés de faire appliquer la loi. Une loi qui, en France, se définit ainsi (article 431-3 du Code Pénal) : « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de porter atteinte à l’ordre public […] peut être dissipé par la force publique ». Manifester alors que le gouvernement ne l’a pas autorisé –comme ce fut le cas dimanche– est donc considéré comme un délit. Alors que dans d’autres pays, le droit de manifester est constitutionnel, à l’image des États-Unis où il est garanti par le Premier amendement.
Mais dans quelles conditions les autorités françaises peuvent-elles interdire une manifestation ? Depuis 1935, il est obligatoire de la déclarer trois jours à l’avance aux pouvoirs publics (maire ou préfet), qui se réservent le droit d’approuver sa tenue, ou non. Aux motifsqu’il est impossible pour la police de déployer un dispositif capable de maintenir l’ordre, parce qu’un risque important de provocation peut advenir suivant les revendications brandies ou bien si ladite manifestation porte atteinte aux relations internationales de la République. Trois raisons presque toutes invoquées par Bernard Cazeneuve, en fin de semaine dernière, sur BFMTV, pour justifier la prohibition des manifestations pro-palestiniennes de ce week-end :
Néanmoins, il est surprenant de voir que si les manifestations ne sont pas inscrites dans la Constitution française, les grèves –dont la définition est pourtant similaire : « cessation collective du travail par des employés pour manifester un désaccord envers leurs supérieurs hiérarchiques ou patrons »–, elles, le sont depuis 1946. Et que celles-ci entraînent souvent bien plus de désagréments. Les Français en ont encore fait l’amère expérience en juin dernier.
Le gouvernement partiellement responsable
Fallait-il vraiment interdire les manifestations de ce week-end ? Ou au contraire leur proscription n’a-t-elle fait qu’envenimer les choses ? Pour Bruno Le Maire, clairement, l’interdiction préalable des manifestations pro-palestiniennes ce week-end en Ile-de-France « n’était pas une bonne idée ». En effet, lundi sur Europe 1, le candidat à la présidence de l’UMP a déclaré, péremptoire : « Quand on interdit, encore faut-il se donner les moyens d’interdire […] j’ai dit la semaine dernière que […] la liberté de manifester était un principe constitutionnel et qu’il ne fallait pas y toucher ». Comme de bien entendu, le FN a également réagi en dénonçant « un échec patent » du gouvernement. Le chef de cabinet de Marine Le Pen, Philippe Martel, en a même profité pour se féliciter des bénéfices résultant de ces échauffourées (qui ont fait 17 blessés et conduit à une quarantaine d’interpellations). La preuve par le tweet… :
Toutefois, plus étonnant (quoique de plus en plus flagrant), la majorité du président se désolidarise de lui et le critique (ou)vertement. En témoigne les dires de Razzy Hammadi, Secrétaire national du Parti socialiste aux services publics : « L’interdiction est venue nourrir une certaine radicalité […] et était disproportionnée et infondée au regard des milliers de manifestations qui ont lieu chaque année à Paris ». Ou encore ceux de Marie-Françoise Bechtel, député membre du Mouvement Républicain et Citoyen (parti à tendance gauchiste) : « Interdire une manifestation est un acte rare au regard de la tradition de nos libertés publiques […] C’est en s’alignant sur les demandes les moins justifiées d’un État qui ne cesse de violer le droit international et porte une lourde responsabilité dans l’impasse actuelle que la France risque d’importer le conflit israélo-palestinien ». Une référence au soutien affiché par François Hollande au peuple israélien. Des réactions que le ministre de l’Intérieur a déplorées : « J’ai l’impression que la passion s’empare de tout et qu’il y a peu d’acteurs politiques qui, dans un contexte où la responsabilité doit être première, exprime les choses avec la volonté d’apaiser ».
Pourtant, le mercredi 9 juillet dernier, le président français a lui-même déclenché l’ire d’une partie de la population en exprimant la « solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza ». Une prise de position ambiguë pour Israël dont le chef de l’Etat aurait dû s’abstenir pour ne pas entretenir les tensions sociales déjà palpables. De plus, la valse autorisation/interdiction des manifestations pro-palestiniennes, quelque peu désorientante, risque de ne pas arranger la situation actuelle… ni sa cote d’impopularité.
Les casseurs/squatteurs : fléau ou cadeau
Notre-Dame des Landes, la Manif pour Tous… Si toutes les manifestations ne se terminent pas en scènes de guérilla urbaine et dans les bris de verre –la preuve, celles pro-palestiniennes de ce week-end se sont déroulées sans encombre dans d’autres villes de France – il arrive bien souvent que des casseurs s’invitent à la « fête » pour la faire virer au drame. Black Blocs, Skinheads, hooligans ou anarchistes prêts à en découdre, ils se fichent bien des causes pour lesquelles la manifestation a lieu. La rue est un défouloir et leurs actions ultra-violentes discréditent ceux qui étaient venus exprimer pacifiquement leurs opinions. Une poignée d’esprits échauffés, au casier judiciaire souvent bien rempli, s’est donc incrusté au sein des environ 2000 à 3000 manifestants qui avaient bravés l’interdit du gouvernement ce week-end. Et les casseurs arrêtés samedi et jugés lundi soir l’admettent eux-mêmes, comme le rapporte Metronews : « Moi, j’en n’ai rien à foutre de la Palestine. Peut-être que vous ne le savez pas, mais c’est le Hezbollah qui tue des Kurdes en Syrie et ce sont aussi eux qui défendent les Palestiniens, alors pourquoi je soutiendrai la Palestine ? ». Voilà pourquoi « nous refusons d’être confondus avec les casseurs », s’insurge Taoufiq Tahani, président de France Palestine Solidarité, au micro de LCI.
Néanmoins, il est intriguant de voir que, le phénomène étant connu et reconnu, les organisateurs des manifestations ne mettent pas en place plus de barrages filtrants, évitant ainsi l’introduction de ces fauteurs de troubles dans leurs rangs. Manque de moyens ou de volonté ? Le doute est permis car 2000 manifestants défilant tranquillement, c’est moins médiatique que des images de rue à feu et à sang.