Début janvier, le réalisateur de La La Land, Damien Chazelle a donné une Masterclass à Paris. Nous étions dans la salle. Morceaux choisis.
Mardi 10 janvier. 18H. Tout juste auréolé de sept Golden Globes, le réalisateur Damien Chazelle poursuit une tournée marathon à travers le monde. Le réalisateur franco-américain est de passage à Paris et par le Cinéma Les Fauvettes où il donne une Masterclass d’une heure animée par le journaliste Jean-Pierre Lavoignat. Dans un timing très serré laissant peu de place à l’improvisation, Damien Chazelle livre quelques confidences sur ses inspirations et sur le travail qui l’a mené jusqu’à La La Land. Le film qui éblouit la grande majorité de ses spectateurs a toutes les chances de rafler un maximum d’Oscars fin février. En attendant la sortie du film sur les écrans français le 25 janvier, Damien Chazelle en prodige qu’il est, séduit et fascine. Extraits.
« Ça nous a pris six ans pour faire le film et pendant six ans on entendait non et on essuyait surtout des refus. C’était un projet très personnel pour moi et je ne savais pas si ça allait se faire, j’ignorais si on allait pouvoir le monter et on a travaillé dessus pendant des années. Dès qu’on a eu l’occasion de le tourner le rêve se concrétisait mais maintenant tout ce qui arrive c’est plus qu’irréel et je peux simplement dire merci. »
« J’avais vraiment très peur avant le Festival de Venise. On a terminé le film seulement quelques semaines avant et jusqu’à la première chaque nuit j’avais des crises d’angoisse. Parce que je savais qu’on allait faire l’ouverture du Festival avec une grande séance et beaucoup de promo. Moi j’aimais bien le film mais on ne savait pas si les critiques et le public allaient répondre présents. C’était vraiment un grand moment pour moi à Venise le premier jour où on a montré le film, le matin à la critique et le soir au public. Ça s’est bien passé et là je me suis senti léger, c’était toute l’angoisse des mois d’avant qui a disparue d’un coup parce que je ne savais pas si les gens allaient aimer le film. »
« Je ne me souviens pas avoir eu envie de faire autre chose que de devenir réalisateur. Quand j’étais tout petit je dessinais beaucoup et je regardais beaucoup de dessins animés, les films de Disney et je pense que je voulais être Walt Disney et après ça a un peu changé, j’ai commencé à regarder d’autres films et mes héros sont devenus Spielberg, Hitchcock et après Truffaut et Godard mais c’était toujours le cinéma, ça a toujours été ma passion et ce que je voulais faire. Je me souviens du premier film que j’ai vu en salles, c’était le Peter Pan de Disney et je me souviens très bien des grandes images sur le grand écran et ça m’a vraiment frappé, mais j’étais déjà passionné de cinéma même avant ça. C’est une passion qui a augmenté chaque année. Ce qui est assez drôle par contre par rapport à La La Land, c’est que je n’aimais pas trop les comédies musicales, je n’aimais pas ce moment où les gens commencent à chanter, je trouvais ça assez pénible. Moi ce que j’adorais c’était les polars, les thrillers, les films d’Hitchcock… Hitchcock c’était vraiment un Dieu pour moi, j’aimais bien les choses assez noires, assez macabres. Et j’ai commencé à lire beaucoup de bouquins sur le cinéma et surtout le livre Hitchcock/ Truffaut ça a été très important pour moi. Je l’ai lu avant de connaitre les films de Truffaut qui pour moi était un journaliste qui posait de bonnes questions. J’étais déjà fasciné par Hitchcock et en même temps, je faisais de petits home video avec la caméra de mon père où je faisais tourner des amis ou ma sœur et c’était toujours elle qui mourrait; c’était des films comme ça que je voulais faire et en même temps j’ai commencé à faire de la musique vers 11 ou 12 ans, d’abord du piano puis de la batterie surtout pendant le lycée de manière assez intense et concentrée. Et les comédies musicales c’est venu plus tard vers 17, 18 ans et c’était les films musicaux français qui m’ont marqués le plus, les films de Jacques Demy, Les Parapluies de Cherbourg, Les Demoiselles de Rochefort… Ma première année à la fac, j’ai eu un colocotaire qui m’a fait découvrir Les Parapluies de Cherbourg et ça m’a frappé vraiment parce qu’avant de le voir je ne savais pas qu’un film musical puisse faire ça, puisse trouver des émotions si profondes et si réalistes et mélancoliques. Je pensais que la comédie musicale c’était la joie et rien d’autre. Comme j’aimais les choses noires et sombres, je pensais que les comédies musicales ce n’était pas pour moi. Ce sont les films de Jacques Demy qui m’ont fait changer d’avis et après j’ai commencé à re-regarder les films de Gene Kelly et de Fred Astaire, comme Singin’ in the rain, Tap Hat, tous les chefs-d’œuvre des années 30,40 et 50 à Hollywood et je suis devenu vraiment obsédé du genre. »
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« Après Les Parapluies de Cherbourg, j’ai commencé à voir quelque chose que je ne voyais pas avant, j’ai vu un esprit audacieux, c’était des films avant-gardistes et ce que je n’aimais pas avant, le moment où on commence à chanter, je suis devenu fasciné par ce moment dans les films et comment faire la transition, comment trouver l’équilibre entre la réalité et les chansons, la fantaisie et le réalisme, ça m’a totalement fasciné. Les comédies musicales hollywoodiennes étaient des films populaires ce n’était pas des films d’avant-garde, mais il n’empêche qu’on peut y trouver des choses qui sont parfois extrêmes au niveau du formalisme. »
« Je voulais que La La Land soit comme un morceau de musique romantique, un morceau de Michel Legrand ou de Debussy, quelque chose qui fasse que la caméra danse, alors que Whiplash, il fallait être dans la tête de ce batteur, donc tout était vraiment très précis, hyper accentué, intense et claustrophobe. La La Land il fallait faire le contraire. Dans Whiplash, le sujet c’était le prix à payer, le sacrifice et même si on le voit un peu dans La La Land je voulais que ça exprime aussi la joie. C’était parler de la souffrance, de la douleur derrière l’art parce que ça existe mais aussi de la joie. »
« Jacques Demy est vraiment mon modèle. Je trouve par exemple que dans Les Parapluies de Cherbourg où chaque mot est chanté, ça n’a rien à voir avec la réalité mais je trouve que c’est un film hyper réaliste au niveau émotionnel mais aussi dans l’histoire et même dans les images où il y a des couleurs qui sont magiques mais qui n’existent pas vraiment et puis il y a aussi la ville de Cherbourg où le film a vraiment été tourné contrairement aux films hollywoodiens qui eux étaient tournés en studio. »
« La séquence d’ouverture de La La Land c’était important pour moi de la tourner sur une vraie autoroute et pas de la faire avec des effets spéciaux et des ordinateurs, donc on a cherché pendant pas mal de temps un espace pour le faire. Et la ville nous a laissé fermer une bretelle d’autoroute sur un week-end. On a fait beaucoup de répétitions dans des parkings et en studio avec les danseurs mais il a vraiment fallu s’adapter une fois sur l’autoroute avec le soleil qui brûle parce qu’on a tourné un jour de canicule et on n’avait que deux jours pour réussir. Je voulais que ce soit comme si c’était un plan séquence donc je voulais tout faire pour donner la sensation que c’était vrai comme si la caméra était une personne coincée dans une voiture, qui s’échappe et qui commence à danser. Au début il y a des morceaux de chorégraphie qui sont en dehors de l’écran. Pour faire ça j’avais un chef op merveilleux Linus Sandgren et la chorégraphe Mandy Moore et avec eux on a discuté pendant des mois. C’est une scène qui montre bien à la fois le plaisir et la souffrance de mettre en scène. »
« J’ai commencé à écrire le scénario de La La Land fin 2010, début 2011 et j’imaginais déjà à ce moment là Ryan Gosling et Emma Stone, mais c’était plus comme des modèles et je cherchais des gens comme eux parce que je ne pensais pas que c’était réaliste de les avoir. Mais après des années de tâtonnement on a enfin eu le budget après Whiplash et là je les ai rencontrés séparément. Avec Ryan on parlait d’un autre projet (le film sur Neil Armstrong qui devrait être le prochain film de Damien Chazelle, NDLR), mais lui est grand fan des comédies musicales des années 30 et 40 et ça a marché et tant mieux parce qu’il fallait que ce soit eux. »
« Ryan a appris à jouer du piano comme un malade pendant 3 ou 4 mois et même pendant le tournage, il continuait à apprendre et à pratiquer et du coup on n’a même pas eu besoin de le doubler, il n’y a aucune coupe, on ne cache rien, c’est toujours Ryan qui joue. Emma, ses grands yeux me rappellent des actrices du temps du muet. Il y a quelque chose de très classique et de moderne avec Emma Stone. il y a une lumière et la caméra l’adore et ça c’est primordial pour une histoire d’amour. Il fallait que ce soit le cas pour elle et pour Ryan et il fallait non seulement que l’on ressente l’amour entre eux, entre la caméra et eux, entre la ville et eux, entre la musique et eux… Parfois c’est différent d’un acteur à l’autre mais j’ai eu de la chance parce que Emma et Ryan sont non seulement d’excellents acteurs mais ce sont aussi des stars dans la tradition d’Hollywood et c’était évidemment important pour le film. »
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