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NuitDebout, un O.S.N.I : objet social non identifié

Depuis le 31 mars, plusieurs centaines de manifestants sont installés place de la République. NuitDebout, c’est le nom de ce mouvement citoyen informel. Né d’un fort rejet du projet de loi El Khomri, il gagne désormais en consistance et commence à affiner son identité. 

S’éveillant en réaction du projet de la loi travail, NuitDebout est un O.S.N.I. Informel, horizontal et vespéral, il dépasse à la fois le cadre traditionnel de la mobilisation politique et syndicale, transcende les individus et les générations, mais aussi les luttes et les structures établies, s’épanouissant la nuit pour faire émerger un faisceau d’idées nouvelles. Ces idées et cette mobilisation découlent à la fois d’un mal-être étudiant, d’une exaspération sociale et gouvernementale et d’un besoin cruel d’un renouveau politique à gauche. S’il est difficile de dire ce qu’il peut advenir de NuitDebout, on peut toutefois être certain qu’il dévoile une volonté profonde que quelque chose de grand se produise.

Un des manifestant prenant la parole, au coeur de l'agora citoyenne.

Un des manifestant prend la parole, au coeur de l’agora citoyenne.

Place de la République, jeudi 31 mars. NuitDebout est assis et attend pacifiquement que la nuit tombe. Les dernières lumières du ciel nuageux teintent les visages. Certains fument quand d’autres boivent une bière au son d’une guitare. Au milieu de ces jeunes visages et de l’atmosphère joyeuse, un vaste groupe est assis à l’emplacement du square André Tollet : il se concerte en assemblée générale. Une véritable agora citoyenne se déploie là. L’ambiance est à la délibération collective et à la prise de parole. Les esprits s’activent, sortent de leur sommeil politique. Les manifestants refusent la loi travail mais pas que : ils interrogent les vertus et les vices de la démocratie. La démagogie de l’oligarchie gouvernementale et son incapacité à trouver des solutions adéquates aux maux qui gangrènent la France. Ils décrivent, racontent ou témoignent de ce ras-le-bol insupportable qui démange et indigne les vies du peuple français. Serait-ce la catastrophe qui s’organise ?

«Apportons-leur la catastrophe et merci la loi El Khomri », la tribune de Frédéric Lordon

Ce mois de mars, une forte mobilisation a agité la France entière. Près d’une vingtaine de villes telles que Rennes, Amiens, Nantes, Toulouse ou Paris, ont été le théâtre de manifestations contre la loi travail. Après les grands rendez-vous du 9 et du 31 mars, les rassemblements du 12 mars et les intersyndicales les 17 et 18 mars, l’ultime rencontre s’organise le 31 mars place de la République et appelle à une chose : continuer, mobiliser et s’organiser. Un vent de révolte souffle ce soir sur la place de la République. De l’espoir, de l’envie que quelque chose s’enclenche. S’étant déjà exprimé en marge des manifestations à l’université de Tolbiac, le directeur de recherche au CNRS et membre des « économistes atterrés » Frédéric Lordon appelle, dans un discours, à se mobiliser et à rejoindre #NuitDebout.

L’économiste, structuraliste et farouche opposant au système néolibéral, commence : « mine de rien, il est possible que l’on soit en train de faire quelque chose » avant d’ajouter que jusqu’ici, le pouvoir tolérait uniquement « nos luttes locales, sectorielles, dispersées et revendicatives, pas de bol pour lui, nous changeons les règles du jeu. Nous jouions avec les siennes, désormais nous jouerons avec les nôtres. Le pouvoir voulait nos luttes locales, sectorielles, dispersées et revendicatives, nous les lui annonçons globales, universelles, rassemblées et affirmatives » s’exclame-t-il, alors que la clameur de la foule se fait plus forte. Il remercie chaleureusement Valls, El Khomri et Hollande, il salue la loi travail car « on ne remerciera jamais assez la loi El Khomri pour nous avoir redonné le sens de deux choses qui nous avions oublié depuis trop longtemps : le sens du commun et le sens de l’affirmation ».

https://www.youtube.com/watch?v=bwyyPZkZqTM&feature=youtu.be

Frédéric Lordon estime que ce mouvement est « bien décidé à emprunter une autre voie, la voie qui révoque les cadres, les rôles et les assignations. La voie du désir politique qui pose et qui affirme » avant de conclure qu’il faut apporter à ce gouvernement « la catastrophe », ou en grec, le reversement.

NuitDebout, « cristalliser la colère ambiante et faire converger les luttes »

Lundi 4 avril, après un week-end sans broncher place de la République, NuitDebout ne s’est pas endormi, au contraire. Décidé à prolonger le mouvement après le 31 mars, le collectif se réunit en assemblée générale sur la place. Les individus assis prennent la parole tour à tour, témoignent de leurs vécus et de leurs frustrations vis-à-vis d’un gouvernement qui les a délaissés. Les sujets qui semblent épars vont de la condition des personnes handicapées aux droits des LGBT.

Manifestants près sur la place, #PanamaLeaks

Manifestants sur la place, #PanamaLeaks

Manifestants arborant une pancarte : accueillons les réfugiés.

Manifestants arborant une pancarte : accueillons les réfugiés.

Victor, l’un des nombreux médiateurs de l’assemblée, explique que : « l’objectif c’est de cristalliser la colère et le mécontentement ambiant qui sévit depuis plusieurs années, mais aussi de montrer que l’on est capable de recréer du lien social. » En effet, chacun est libre de venir ou de participer aux assemblées générales afin de soumettre des idées au vote à main levée. Pour Victor, le collectif NuitDebout n’a pas pour le moment un objectif précis ou des revendications arrêtées. Il estime que « les gens ont des revendications individuelles,  comme le chômage ou la précarité, mais aussi la gestion de la crise migratoire ou la politique du gouvernement. » Si d’apparences les objets de revendications sont protéiformes, l’étudiant indique que « bien souvent, les revendications de chacun se recoupent et convergent d’elles-mêmes. » Ainsi, outre la loi travail, d’autres thèmes émergent comme la ZAD de Notre-Dames des Landes, les migrants ou le manque d’emplois.

« Un phénomène important qui n’est pas politique mais qui vient souligner la crise du pouvoir et de la gauche »

C’est la définition que donnait le sociologue Michel Wieviorka du mouvement NuitDebout cette semaine sur FranceInfo. Signataire de l’appel pour une primaire à gauche, l’intellectuel considère que progressivement « la parole s’émancipe dans une France qui a été, à gauche, congelée depuis quatre ans ». Le sociologue considère que cette libération de la parole  « existait beaucoup moins il y a deux ou trois ans, quand il était difficile à gauche de trop contester » par peur de « trahir le pouvoir qu’on avait élu ». Un mouvement qui s’inscrit dans une « période de vacuité à gauche, alors que le PS se déstructure et que le chef d’Etat est au plus bas dans les sondages » conclut-t-il.

Un manifestant suspendu au poteau imite la statue.

Un manifestant suspendu au poteau fait face à la statue.

Un mouvement informel donc, qui fédère des logiques de refus et qui proteste contre une gauche qui ne répond définitivement plus à ses aspirations. Un journaliste de PublicSénat demande alors à Victor une interview qu’il refuse. Interrogé sur sa résistance, il explique avoir déjà « accepté plusieurs interviews. Mais les médias traditionnels procèdent parfois à des coupures et déforment les propos, ils gardent la juste la petite connerie. Je ne dis pas qu’ils dénaturent nos propos, simplement que ce n’est pas assez représentatif », souligne-t-il. Questionnée sur sa présence, Agathe la trentaine, est venue parce qu’elle « veux soutenir le mouvement. » Pour elle, fervente opposante au projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, se dit « confortée dans sa démarche de résistance et d’opposition », avant de conclure que « l’important, c’est de se dresser ensemble. » 

Et malgré l’ambiance pacifique et sereine, des cordons de CRS se déploient progressivement jusqu’à encercler une bonne partie de la Place de la République. Ici et là, des individus jouent de la musique, dessinent et chantent. Des aménagements sont dressés, comme une cantine où les prix sont variables à l’appréciation du client ou une pharmacie de fortune, pour les bobos et les malaises. Des structures éphémères, sculptures et autres oeuvres collectives sont imaginées, dans un élan d’espoir, de résistance et de joie.

Femme au cerceau. Elle libère ses mouvements à côté du cordon de CRS qui encercle République.

Femme au cerceau. Elle libère ses mouvements à côté des forces de l’ordre qui encercle la place de la République.

Un stand de hot-dog et kebab installé près de la statue.

Un stand de hot-dog et kebab installé près de la statue.

Une cantine improvisée, non loin de l'assemblée générale.

Une cantine improvisée, non loin de l’assemblée générale.

Après le 31 mars, on ne rentre pas : « trouver une cohérence qui transcende les luttes »

Mardi 6 avril, la place de la République est vide. À l’aube, la ferveur et les structures de la veille ont disparu, balayées par des bulldozers. Mais rien qui ne puisse altérer la volonté du mouvement. Présent tous les soirs à partir de 18 heures, la place s’est animée en quelques heures. Les fanfares battent le pavé, les groupes rient, dessinent ou dansent sur la musique qui émaille ça et là. Sur le square André Tollet, NuitDebout renaît de ses cendres. Au milieu de cette ambiance qui tient de la fête populaire, Théo, un étudiant membre de l’UNEF, l’une des principales organisations syndicales étudiantes à l’origine des mobilisations, est venu sans son étiquette syndicaliste. « Après le 31 mars et les différentes mobilisations, le mot d’ordre a été : on ne rentre pas. » Pour lui, la contestation traditionnelle doit être dépassée, ajoutant que « on ne revendique pas, on prend ! »

Prendre la place de la République, pour « donner du sens au mouvement, trouver une cohérence qui transcende les luttes. » Contrairement à hier, la présence des forces de l’ordre est nulle. Il explique que ces dernières sont là pour canaliser la foule en cas d’une menace de troubles à l’ordre public. « Si il y a une minorité, ils vont généralement recevoir l’ordre d’évacuer la place. Mais là, regarde autour de toi : il y a des jeunes, des moins jeunes, des mineurs, des grands et des petits » explique-t-il dans un rire, « le mouvement prend en masse, et le gouvernement sait que cela serait très mauvais politiquement d’ordonner la dispersion du mouvement » ajoute-t-il.

Une fanfare joue au milieu de la place.

Une fanfare joue au milieu de la place.

Puis, des bribes et des éclats de parole proviennent du groupe assis non loin de là. Théo explique que les « assemblées générales ont pour vocation que le peuple se représente lui-même. » L’agora reprend toutes « les modalités de concertation des syndicats étudiants : les mains levées en signe d’accord, les bras croisés en signe de désaccord » décrypte-t-il. NuitDebout se structure en quatre commissions : sécurité, propreté, information et communication, avec chacune ses affectations et ses rôles. Lors d’une assemblée générale, chacun est libre de prendre la parole et de voter. Tout est soumis au vote, propositions, idées, adhésion aux commissions, puis publié sur Facebook, le site de NuitDebout et le site convergence des luttes.

Les mains levées, signe de l'accord de la foule.

Les mains levées, une modalité des syndicats étudiants, en signe d’adhésion de ce qui est dit.

L'assemblée générale adhère à une proposition.

L’assemblée générale adhère à une proposition.

Les réseaux sociaux, nouveaux canaux de mobilisation

Les réseaux sociaux occupent une place très importante dans l’essor du mouvement, et notamment l’application Periscope, qui permet la diffusion vidéo en direct au monde entier et une interaction instantanée avec les abonnées. Pour exemple, le 3 avril, Rémy Buisine, 25 ans, se tient debout. Téléphone à la main, il filme les débats de l’assemblée générale réunie ce dimanche soir en décrivant ce qu’il observe. Le son sature, la scène est enregistrée sans grande qualité de cadrage et pourtant, diffusée en live sur l’application Periscope, elle rassemble plus de 80 000 personnes. Une première en France.

Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.

Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux.

Hugo, la vingtaine est venu parce « qu’il a eu plusieurs retours de potes pour voir de ses propres yeux. » Pour lui, ce qui se déploie sous ses yeux est « beau », espérant que le « mouvement prenne de l’ampleur et que du changement s’opère « au sein des gens ». Pour Florent, il n’y a pas de raisons spécifiques à sa venue, mais il est venu « car ça me touche, parce que je suis français ». Mohamed, la quarantaine, vient pour la première fois. Il explique être méfiant « par rapport à BFMTV, et préfère venir vérifier par lui-même. » Surpris par le mouvement, il tempère « ces gens semblent hors-système et désorientés. » Un constat qui n’est pas partagé par Jacqueline, qui elle est venu avec son petit-fils voir « le renouveau qui s’organise. »

L'accueil du mouvement : un point d'information et de communication.

L’accueil du mouvement : un point d’information et de communication.

Depuis une semaine, le mouvement NuitDebout ne cesse de croître. D’abord installé à Paris, le mouvement citoyen se prolonge dans plusieurs villes de France. Mais il connaît aussi des prolongements en Europe, comme à Bruxelles où mercredi soir, 200 personnes étaient rassemblées place des Barricades. Des prises de parole ont rythmé la soirée et les participants plaidaient notamment pour un nouveau modèle démocratique et social. Dès jeudi soir, à Valence. Et samedi, alors qu’une nouvelle manifestation contre la loi El Khomri est prévue en France, des regroupements sont annoncés en fin de journée à Madrid, Tarragone, Murcie et Saragosse. NuitDebout prend de l’ampleur, et il se pourrait bien que d’ici à deux semaines, le groupe Danakil vienne soutenir le mouvement place de la République.

© Crédits photographiques : Julien Percheron

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