Maigret arrive sur France 3, sous les traits de Rowan Atkinson (Mr Bean). Cette nouvelle adaptation méritait bien une enquête…
C’est quoi, Maigret tend un piège ? Dans le Paris de l’après-guerre, voilà six mois qu’un tueur en série terrorise la ville : plusieurs femmes ont été poignardées la nuit, dans le quartier de Montmartre, et la police n’a pas la moindre piste. Alors que la psychose s’empare de la population, le commissaire Jules Maigret (Rowan Atkinson) est chargé de l’enquête, et il subit la pression de ses supérieurs et du gouvernement, qui le somment de résoudre cette affaire. Démuni, incapable de trouver une piste ou un indice susceptible de conduire à l’assassin, Maigret décide de lui tendre un piège…
Le commissaire Maigret est de retour, à l’initiative de la chaîne britannique ITV qui a diffusé deux épisodes fin 2016 en attendant de nouvelles enquêtes annoncées cette année. Le héros créé par l’écrivain belge Georges Simenon est apparu dans 75 romans, publiés entre 1932 et 1971, et il a déjà été incarné à plusieurs reprises sur le petit écran, notamment par Jean Richard, Bruno Cremer ou Michael Gambon (Fortitude). Cette fois, c’est Rowan Atkinson qui endosse le rôle – un défi, de son propre aveu, puisque l’acteur reste marqué aux yeux du public par l’inénarrable personnage de Mr Bean, qui l’a rendu célèbre dans le monde entier.
Et on l’attendait au tournant, entre scepticisme et curiosité. En règle générale, les critiques n’ont pas été tendres avec l’acteur, ciblant une interprétation souvent jugée peu convaincante et le renvoyant immédiatement à son avatar comique. Il faut bien avouer que dans un premier temps, il est difficile de faire abstraction de cette image, que renforcent le physique très particulier d’Atkinson et sa propension à jouer un Jules Maigret bien silencieux, tout en intériorité. Nonobstant ses tentatives pour traduire la frustration et l’impatience du commissaire, tenu en échec par un tueur insaisissable et qui prend un malin plaisir à le défier, Rowan Atkinson est bien moins convaincant que, par exemple, un Bruno Cremer ou un Jean Richard qui habitaient le rôle par leur présence tout en restant dans la subtilité. Et n’évoquons même pas Jean Gabin, magnifique dans le film de 1958 tiré du même roman ! Mais je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans… Cependant, l’acteur britannique ne s’en sort pas si mal en Maigret taciturne et désabusé, et il abandonne facilement les mimiques et gesticulations qui ont fait son succès.
Cette approche paraît cohérente avec l’œuvre littéraire : contrairement à Agatha Christie ou à Conan Doyle, Simenon met en scène un flic « normal », sans les excentricités d’un Poirot ou d’un Sherlock Holmes. Il se focalise moins sur le dénouement et le nom de l’assassin que sur sa personnalité et les ressorts de l’enquête, faisant de son héros un observateur cherchant à sonder les motivations du tueur pour en tirer des conclusions plus générales sur la nature humaine. C’est le cas ici, où tout l’intérêt réside dans le mobile du meurtrier et le contexte qui le pousse à agir. Malheureusement, la série a quelques difficultés à aborder cet aspect tout en insufflant au récit le dynamisme nécessaire pour accrocher le spectateur. L’épisode est lent, et la mise en scène, par moment presque contemplative ; le parti pris est compréhensible mais il en résulte un manque de rythme et on s’ennuie un peu – l’action ne débute véritablement qu’en milieu d’épisode, avec la découverte de la dernière victime…
Malgré tout, le scénario est extrêmement bien ficelé (merci, Monsieur Simenon !) et assez retors pour maintenir le suspense : sous le feu des critiques et la pression de sa hiérarchie, face à la panique qui gagne les Parisiens, Maigret semble désemparé et incapable de réagir pour neutraliser un tueur en série particulièrement intelligent et pervers. D’hypothèses en théories, notre commissaire paraît presque apathique, incapable de mener à bien son investigation en l’absence de preuves, et contraint d’attendre que l’assassin commette une éventuelle erreur. Voilà pourquoi il prend la décision de lui tendre un piège – dont nous tairons la nature. La résolution de l’affaire et la psychologie du meurtrier nous paraissent aujourd’hui un peu convenues, mais ces éléments sont édifiants et bien amenés. Et si l’ensemble manque de tension et de mordant, la photographie (surtout lors des scènes nocturnes) et la reconstitution du Paris des années 1950 (en fait, la série a été tournée à Prague, mais l’illusion est parfaite) concourent à créer une atmosphère délicieusement désuète et pourtant subtilement oppressante.
On a longuement évoqué Rowan Atkinson, tête d’affiche de la série qui attirera sans aucun doute les spectateurs ; il ne faudrait pas oublier les seconds rôles. À commencer par Alexander Campbell, effrayant tueur maniaque entre Jack l’éventreur et Norman Bates, et surtout Lucy Cohu, tout à fait charmante dans le rôle de Madame Maigret. Épouse tendre et complice, elle apporte à son mari la stabilité d’un foyer paisible, oasis de paix et de sérénité après une journée de doute et d’échecs successifs. Evidemment, le portrait est suranné et fera hurler les féministes – mais la série n’a pas prétention à moderniser le contexte des enquêtes imaginées par Simenon… Et au moins, le personnage gagne une importance qu’il était loin d’avoir dans les romans !
Cette version de Maigret manque de rythme et de vigueur, avec un héros qui apparaît souvent plus apathique que circonspect… La lenteur, légitime et calculée, rend par moment l’épisode pesant ; heureusement, le scénario méticuleux de Simenon et l’interprétation convenable de Rowan Atkinson redonnent un certain intérêt à cette adaptation. Elle n’est pas indispensable mais vaut le coup d’œil – ne serait-ce que par curiosité. Et parce qu’elle donne envie de (re)lire le roman !
Maigret tend un piège (ITV)
Diffusion le 19 Février à 20H50 sur France 3 – 1h30 environ