Dans Britannia, l’Histoire s’efface au profit de la légende, avec la guerre entre l’armée romaine et les peuples autochtones comme prétexte à un univers magique et surnaturel.
C’est quoi, Britannia ? En 43, l’armée Romaine emmenée par le général Aulus Plautius (David Morrissey) débarque en Bretagne. A la tête de 200 000 hommes, ce lointain parent de l’Empereur Claude compte bien réussir là où Jules César lui-même a échoué : cruel et sans pitié, il est prêt à ravager l’île, piller les villages, massacrer les habitants et éradiquer leur civilisation pour s’imposer. Après avoir eu une vision de l’attaque, le druide Divis (Nikolaj Lie Kaas) croise la route de la jeune Cait (Eleanor Worthington Cox), seule survivante de son village. Dans le même temps, les tribus rivales de Regnii et de Cantii mettent leurs différends de côté pour défendre leur territoire. Sur cette terre pétrie de légendes, peuplées d’esprits, de forces surnaturelles et de druides liés au monde des morts, la farouche Kerra (Kelly Reilly), la fille du Roi des Cantii, va devenir le fer de lance de la lutte contre la puissante armée romaine.
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Attiré par les gisements de fer et autres ressources naturelles de l’île, Jules César avait déjà tenté en 53 avant J.C. de conquérir la Bretagne (actuelle Grande-Bretagne), mais il avait été tenu en échec par la résistance acharnée des autochtones. En 43 après J.C., sous le règne de Claude, Rome tente une nouvelle invasion : c’est ce qu’explique en substance le prologue de Britannia, la nouvelle série en 9 épisodes coproduite par Amazon et Sky Atlantic, dont l’action se déroule lors de cette nouvelle guerre de conquête.
Long de plus d’une heure, le premier épisode de Britannia est à la fois efficace et confus. Efficace, parce qu’il pose rapidement les bases du récit, présentant les différents personnages et le contexte, et imposant d’emblée son ambiance très particulière (nous allons y revenir); confus, parce que l’abondance des protagonistes et des différentes intrigues rend l’ensemble quelque peu indigeste. Le récit devient toutefois plus fluide au fil des épisodes, l’action se déroulant alors suivant des lignes parallèles mieux équilibrées et mieux articulées, qui finissent par se rejoindre dans l’épisode 6.
Si les multiples personnages manquent de profondeur dans le pilote, où ils sont présentés à grands traits, ils gagnent en complexité par la suite – tout en restant prisonniers des grands stéréotypes et des figures vues dans d’autres séries ou fictions. Les acteurs se défendent pourtant bien, tirant le meilleurs des archétypes avec lesquels ils doivent composer. A commencer par David Morrissey, alias Aulus Plautius, le méchant général romain présent dans tous les péplums, sorte de Gouverneur de The Walking Dead mâtiné de Dark Vador (ça, c’est sûrement parce que l’Empire contre-attaque!). Mackenzie Crook est convaincant dans le rôle du sinistre druide Veran, lointain parent du devin de Vikings, maquillé comme un char volé et adepte de magie noire. La relation entre son collègue Divis, rejeté par ses pairs car possédé par un démon (excellent Nikolaj Lie Kaas) et la jeune Cait en quête de vengeance (et qui semble destinée à de grandes choses…) rappelle furieusement celle d’Arya et la Montagne dans Game of Thrones. Mi-Merida de Rebelle et mi-Lagertha de Vikings, Kerra est sans nul doute un personnage charismatique, figure de proue d’une série qui – c’est à mettre à son actif – fait la part belle aux rôles féminins.
Alliances et trahisons ; manipulations et stratégie politique ; mariages arrangés et rivalités familiales ; scènes de bataille et scènes de sexe ; visions prophétiques et magie ; loups et corbeaux (mais pas de dragon pour l’instant) : comme s’étonner des comparaisons avec Game of Thrones ?! En réalité, Britannia se rapproche davantage de Vikings. Mais un Vikings sous acide.
Ce qui caractérise immédiatement la série, c’est son atmosphère et son ambiance. Ses créateurs, Tom et Jez Butterwoth, se soucient de la rigueur historique comme d’une guigne : ils caricaturent le contexte, montrent un druide punk (Veran) et un druide hippie (Divis), des zombies et des démons, optent pour des costumes très jolis mais anachroniques. Et de fait, Britannia n’est pas une série historique : elle se sert juste de l’époque pour créer un univers fantastique, pétri de légendes, de folklore et de magie.
Flou artistique, gros plans, ralentis, photographie psychédélique et caméra décentrée : de nombreuses scènes sont ainsi filmées à travers les yeux de druides aux visions hallucinés, dopés aux psychotropes pour entrer en transe. Omniprésent jusqu’à l’overdose, frôlant parfois le ridicule (la possession de Divis dans l’épisode 6), le procédé est toujours présent mais plus léger par la suite. Il n’en est pas moins revendiqué, notamment dans le générique improbable aux couleurs criardes, avec la chanson folk Hurdy Gurdy Man de Donovan en guise de thème.
Le choix est surprenant, et d’abord déstabilisant. Il est pourtant peut-être moins incongru qu’il n’y paraît : en un sens, il traduit la manière dont les Romains, extrêmement superstitieux, percevaient la Bretagne. Lisez-donc Tacite ou Dion Cassius, qui décrivent dans leurs textes une terre maudite, peuplée de créatures surnaturelles et de sauvages sanguinaires. C’est sans doute le plus étrange dans Britannia : un historien y perdrait son Latin, mais les Romains, eux, ne manqueraient pas d’y retrouver un peu de cette satanée Bretagne, île terrifiante dominée par des forces occultes. Ils sont fous, ces Romains…
En dépit d’une mise en place désordonnée et des clichés qu’elle exploite à l’envi, Britannia n’est pas dénuée d’intérêt. Encore faut-il adhérer à son atmosphère extravagante, mi-onirique mi-fantastique… Ceux qui espéraient une série historique ne tiendront même pas un épisode ; les autres, adeptes se laisseront sans doute séduire par une série pleine de mystères, de personnages forts et de scènes d’action. On ne pariera pas sur le succès de Britannia : encore confuse et brouillonne, la série possède néanmoins des bases exploitables à mesure des épisodes. Son sort est désormais entre les mains des spectateurs : alea jacta est, comme dirait l’autre.
Britannia (Sky Atlantic / Amazon)
9 épisodes de 45′ environ.
Prochainement sur Amazon Prime Video.