Le Serpent aux Mille Coupures, le nouveau film d’Eric Valette avec Tomer Sisley sort sur les écrans. On a rencontré le réalisateur et son acteur principal et nous les avons passés à la question.
Tomer Sisley: « Il y avait beaucoup plus de dialogues. On a épuré le plus possible. »
Comment vous-êtes vous retrouvé sur le projet ? Et connaissiez-vous le travail d’Eric Valette ?
Eric (Valette NDLR) m’en avait parlé au moins deux ans avant le tournage et comme j’avais vu Une Affaire d’État et La Proie, je savais à qui j’avais à faire.
Et l’œuvre de DOA vous la connaissiez ?
Absolument pas et je ne la connais toujours pas d’ailleurs. C’était une volonté de ne pas le lire avant parce que ma base de travail à moi c’était le scénario, et le problème si je me retrouve à lire les deux et que je préfère quelque chose qui se trouve dans le livre et que je trouve ça mieux que dans le scénario, comment est-ce que je vais le gérer? J’ai besoin de me mettre des œillères et de me concentrer sur quelque chose. Ça peut être éventuellement un travail de recherche quand il me manque des informations, mais là je n’ai pas eu besoin de le faire parce qu’Eric a répondu à toutes mes questions. Je ne voulais pas me retrouver dans une situation où à un moment donné je préfèrerais peut-être le livre au scénario.
Votre personnage est très mystérieux et plein de zones d’ombre. Comment l’avez-vous composé et quelles pistes avez-vous suivies pour en faire ce qu’il est à l’écran?
C’est assez simple en fait, c’est un tueur, c’est quelqu’un dont le métier est de tuer. Peu importe pour qui il tue, que ce soit pour le gouvernement ou pour un groupuscule terroriste, c’est quelqu’un qu’on a entraîné pour devenir une arme, quelqu’un qui excelle à ça et quand on fait ça on apprend à s’asseoir sur ses émotions. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne les ressent pas. Et pour moi la base de ce personnage c’est ça que je trouvais super bandant c’est que c’est quelqu’un qui, s’il doit séquestrer ou tuer une famille avec femme et enfant pour survivre ou pour répondre à une mission, s’il doit le faire, il le fera. Mais c’est pas parce qu’il le fera que ça ne le fera pas chier de le faire. C’est la différence entre lui et un psychopathe. Et pour moi ça à jouer en tant qu’acteur c’était génial.
En fait il n’a pas d’états d’âme mais il a des sentiments ?
Ouais exactement. Il se trouve que je suis proche de deux, trois personnes qui sont par exemple au GIGN qui ont été amenées dans leur métier à abattre plusieurs fois des êtres humains de sang froid, notamment des gens qui ont fait des prises d’otage, et pour en avoir parlé avec eux, lorsqu’ils mettent leurs œillères pour faire ce qu’ils ont à faire, derrière ils me racontaient tout ce qui se passe dans leur tête, le moment où ils vont craquer même si ce ne sera pas devant les autres, les 3 minutes qu’ils vont prendre pour se reconcentrer, refaire le vide autour d’eux pour pouvoir faire le geste parfait quand il le faut…
Il n’y a pas beaucoup de dialogues et ça contribue à toute la nébuleuse autour de votre personnage ?
Il y en avait beaucoup plus. On a épuré le plus possible. A chaque fois que je pouvais ne pas dire quelque chose, je disais à Eric : « Est-ce que c’est nécessaire de le dire, est-ce qu’on ne peut pas juste le jouer ? »
Vous avez quelques scènes qui oscillent entre la tendresse et l’autorité avec la petite fille. Comment s’est passé votre travail avec elle ?
Très bien. C’est toujours un peu particulier quand on travaille avec une enfant de cet âge-là, c’est toujours difficile d’instaurer un échange de points de vue sur la scène. Moi tout ce que j’avais à faire c’était la laisser jouer et ensuite faire un ping-pong avec elle en fonction de ce qu’elle me renvoyait. Erika Sainte par exemple qui joue la mère de la gamine, bien que nos personnages soient en conflit permanent, hors tournage on s’entendait très bien, on allait boire des coups, on était assez complices. Mais avec la gamine, j’ai gardé mes distances parce que je ne voulais pas qu’on devienne trop familiers, de façon à ce que ça l’aide dans son jeu, alors que dans la vie de tous les jours j’adore faire rire les enfants, c’est mon plus grand kif. En tout cas je voulais qu’elle garde cette méfiance et que ça nourrisse son jeu, qu’elle ne se sente pas trop à l’aise avec moi.
Quel est votre rapport au film de genre et quels sont ceux qui vous ont nourris en tant que spectateur ?
C’est large comme appellation le film de genre, mais pour rester dans la thématique du film noir, les films de James Gray notamment La Nuit nous Appartient. Sinon Les Trois Jours du Condor évidemment ou J’ai Rencontré le Diable qui est un chef-d’œuvre absolu.
Le film de genre c’est quelque chose que vous recherchez en tant qu’acteur ?
Non ce n’est pas ça qui m’attire. Ce qui m’attire c’est que le rôle soit différent de ce que j’ai déjà eu à jouer. Par définition, il y a moins de films de genre que de comédies ou de films sociaux, donc il y a de grandes chances que dans un film de genre je trouve un rôle que je n’ai pas encore joué, c’est juste ça. Je ne suis pas plus attiré par ça que par une comédie romantique si elle est réussie.
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Vous avez d’autres projets pour le cinéma ?
J’ai mon projet, un scénario dont j’ai déjà réalisé une séquence pour aller chercher le financement. On va signer là un deal de co-développement avec un producteur et j’ai envie de réaliser maintenant. J’ai très très envie de ça. J’ai envie d’être à la base des projets, un peu comme quand j’étais monté sur scène pour faire du stand-up. Ça venait de mon besoin de faire quelque chose qui me corresponde à 100%. J’ai envie d’être responsable.
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Eric Valette: » j’ai tenu à minimiser beaucoup les plans sanglants et les scènes horrifiques «
Vous connaissiez le travail de DOA avant de découvrir Le Serpent aux Mille Coupures? Comment vous êtes tombé sur le livre?
Je m’intéressais au travail de DOA parce qu’il avait écrit un pavé qui s’appelle Citoyen Clandestin que j’avais lu et que j’aimais beaucoup. A l’arrivée l’adaptation de Citoyen Clandestin ne s’est pas faite ni par moi, ni par la personne qui devait le réaliser qui était Xavier Gens sur un scénario de Stéphane Cabel et finalement le projet ne s’est pas fait pour des raisons internes à Gaumont qui m’échappent totalement, mais j’avais quand même en tête ce roman qui m’avait beaucoup plu et je suivais de près les sorties de DOA. Comme on partageait le même agent à l’époque, j’ai eu Le Serpent aux Mille Coupures très très tôt, dès sa parution, et là j’ai dit « il faut absolument tourner ça » parce que justement c’est un roman beaucoup plus court que le précédent, beaucoup plus simple à adapter et qui criait « Adapte-moi » à chaque page. Du coup avec DOA et avec notre agent, qui est un peu la force motrice du projet, on s’est mis en quête d’une production et finalement assez rapidement on a rencontré Raphaël Rocher de Capture The Flag qui est un peu une des maisons de genre en France puisqu’ils ont produit Antigang, Goal of the Dead 1 & 2, La Horde...
La violence du film est assez graphique. Vous êtes restés fidèle au bouquin?
Je suis très en-dessous. En terme de violence graphique, j’ai tenu à minimiser beaucoup les plans sanglants et les scènes horrifiques parce que quand le spectateur a compris c’est inutile de souligner dix fois les choses. Mais en même temps je les ai affrontées droit, on ne détourne pas le regard, mais quelque part j’ai dans l’idée qu’elles sont plus brutales et plus horrifiques de par le fait que l’on assume la nudité frontale des personnages que par l’horreur graphique. Je pense que ce côté frontal et la nudité font que c’est assez choquant, plus que les tortures elles-mêmes.
Le film est très glauque, très noir. Est-ce que c’est vous qui avez indiqué à Stéphane Debac d’apporter des petites touches d’humour dans son interprétation ou est-ce que c’était écrit comme ça?
Je pense que c’est légèrement écrit comme ça mais de façon très très importante je pense que Stéphane Debac doit amener 75% de l’humour. Il doit y en avoir 25% sur le papier mais il en amène énormément. C’est quelqu’un avec qui j’adore tourner mais dans La Proie il n’avait pas pu vraiment démontrer ses qualités comiques, mais je savais qu’il avait ça en lui puisqu’il avait fait beaucoup de comédies et j’ai été ravi de pouvoir développer ça avec lui. On s’est amusés à lui faire une coiffure improbable avec des mèches blondes, on s’était librement inspirés de Laurent Delahousse, c’était un peu notre modèle pour le personnage, un Laurent Delahousse du trafic de cocaïne. J’ai l’impression qu’à l’arrivée ce personnage nous fait respirer un petit peu parce qu’il amène aussi le point de vue du spectateur dans le film. Il est probablement le plus lâche mais il est probablement le plus nous.
Est-ce que ce qui vous intéressait notamment c’était de mettre en scène ce personnage très énigmatique du motard dont en fait on ne sait quasiment rien à moins d’avoir lu Citoyen Clandestin, dans lequel il apparaissait déjà?
La personne qui ne lirait que Le Serpent aux Mille Coupures aurait en effet très peu d’infos sur le personnage mais comme le roman fonctionne, je ne me suis pas trop posé la question. Cette base de ce qu’est le héros elle existe, si Tomer veut lire Citoyen Clandestin pour savoir qui est ce personnage, c’est très bien pour lui et moi je vais lui raconter un petit peu mais après il fait sa cuisine en interne, il n’est que L’homme sans nom dans le film. J’aime bien l’idée qu’il y ait une énigme autour de ce personnage et qu’une seule réplique entre Tomer Sisley et Pascal Greggory donne une clé de lecture de ce personnage.
En parlant de Pascal Greggory, comment avez-vous pensé à lui pour incarner ce personnage?
Je cherchais un type avec une certaine élégance entre 55 et 60 ans, qui aille vers sa retraite de gendarme, je voulais un côté vieux shériff comme il y a beaucoup d’archétypes de western dans le film. Quand le comédien qui devait faire le film n’était plus disponible j’ai pensé à lui et comme il s’était déjà montré excellent dans un film d’action (Nid de Guêpes NDLR) et qu’il a du goût pour des projets improbables je me suis dit que je devais pouvoir lui proposer et ça s’est de plus très bien passé entre nous. Je trouve ça très intéressant d’avoir Tomer Sisley et Pascal Greggory dans le même film, quelqu’un qui a une image de films hyper commerciaux et quelqu’un qui a une image de films d’auteurs. C’est bien aussi le mélange des genres et les castings improbables.
Vous avez travaillé sur plusieurs séries. Est-ce que vous pensez qu’il y a plus de libertés à la télévision qu’au cinéma maintenant?
Sur un film comme Le Serpent… il y a la liberté absolue de ton donc c’est formidable d’avoir cette liberté là. Après sur des films qui sont très cadrés et très contrôlés, ça se discute. Tout dépend aussi pour qui on fait les séries, il y a des chaines qui sont très directives, d’autres qui laissent plus de liberté. Canal par exemple sur Braquo laissait une liberté totale même si le projet était très cadré à la base. Mais ceci dit, eux sont très pro-réalisateurs, très auteurs en général. Je pense que les séries ça dépend vraiment de avec qui on les fait.
Quels sont vos projets à venir?
Je travaille sur deux projets: Une comédie noire sociale, une histoire de corruption et de lutte des classes qui est très singulière et très radicale, qu’on va faire aussi pour un petit budget pour pouvoir avoir un ton assez spécifique. Et je travaille sur une série télévisée mais on en est aux prémisses de l’écriture. Ce sont des thrillers horrifiques, mais c’est du vrai fantastique, on n’est pas à la frontière comme certaines séries récentes qui flirtent mais qui ne sont pas complètement dedans. Là on est vraiment dedans.
Propos recueillis par Fred Teper
Un immense merci à Nathalie Iund et Blanche-Aurore Duault