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On a vu « Certaines n’avaient jamais vu la mer » au Festival d’Avignon

Créé à la Comédie de Valence au Festival Ambivalence(s), le spectacle de Richard Brunel Certaines n’avaient jamais vu la mer est une adaptation du roman The Buddha in the Attic de l’auteure américaine Julie Otsuka. L’histoire racontée est celles des femmes japonaises qui sont venues s’installer aux Etats-Unis au début des années 20. Aspirant à une vie idyllique, elles sont venues par milliers dans le pays de la ruée vers l’or. En effet, elles devaient y retrouver un mari et mener la vie dont elles avaient toujours rêvées. Aux Etats-Unis, elles auraient de l’argent et un mari protecteur et aimant. Elles fonderaient un foyer, élèveraient leurs enfants. Elles seraient plus heureuses qu’au Japon. C’est ce qui leur avait été dit. C’est ce qu’elles avaient cru.

 

1) Le destin des femmes japonaises

Lorsque la pièce s’ouvre, nous sommes dans un bateau en direction des Etats-Unis. Des femmes japonaises traversent l’océan afin de se rendre vers le pays de la ruée vers l’or. On peut sentir leur joie. Cet enthousiasme qu’elles ont à quitter leur pays pour commencer une vie nouvelle. Mais on sent également leurs angoisses, leurs peurs et leurs appréhensions. Car elles quittent leur culture, leur famille, leurs mots. Elles ne parlent pas la langue. Elles ne connaissent la culture des Etats-Unis qu’à travers les images et ce qu’on en dit. Mais sur ce bateau elles s’entraident. Les plus âgées transmettent aux plus jeunes leur expérience, quelques conseils.

Cependant, même si toutes ces femmes ont un destin commun, elles ont toutes une histoire personnelle, singulière. Chaque femme porte en elle un témoignage dont elle nous fait part. Leurs futurs maris leur ont décrit dans leurs lettres l’idéal de vie qu’elles connaitront bientôt. Et c’est sur l’image d’une vie parfaite qu’elles ont construit leur futur. Mais très vite, dès leur arrivé, leurs espérances vont être anéanties. Tout ce à quoi elles aspiraient s’avèrent être détruit car on leur a menti. Les maris qu’elles rencontrent sont soit vingt ans plus âgés que sur les photos qui leur avaient été envoyées. Soit tout bonnement différent. Ce n’était pas eux.

Les maris sont incarnés au plateau par quatre figures masculines muettes représentant différents types sociaux ou familiaux : maris, patrons, enfants. Certains hommes sont bons, protecteurs et respectueux envers leur femme et les différences culturelles qui les séparent. D’autres au contraire sont sans gêne, froids, brutaux. Les actrices au plateau donnent leur voix à différentes femmes japonaises. Huit comédiennes pour incarner une cinquantaine de destins.

 

2) Une scénographie mouvante

La pièce pose la question de l’espace. Ou plutôt des espaces. Le voyage en bateau, les Etats-Unis, les domiciles des femmes japonaises, les domiciles des personnes pour lesquelles elles travaillent, les champs dans lesquelles elles usent leurs forces jusqu’à l’épuisement, les camps. Il y a donc un mouvement perpétue que le traitement cinématographique matérialise. Sur le plateau plusieurs écrans affichent en gros plan le visage d’une femme japonaise. Un visage et en voix off le fragment d’une vie. Ces déplacements continuels sont également traités par des chariots qui traversent l’espace, par la matière abstraite qui recouvre le plateau. Cette matière noire symbolise l’idée de déracinement, la perte de repères lorsque l’on est forcé d’enterrer ses origines afin de mieux se fondre dans la masse. La perte d’identité aussi.

3) L’écho d’une réalité actuelle

Certaines n’avaient jamais vu la mer renvoie également aux problématiques migratoires de notre époque. Aujourd’hui plus que jamais. C’est pour cette résonance avec notre époque que Richard Brunel a entrepris la création de ce spectacle.

L’arrivée des Japonais aux Etats-Unis peut se découper en phases. D’abord la période de la ruée vers l’or qui concerne principalement les hommes. Ensuite celle de 1907 à 1924 lorsque les femmes sont venues s’établir aux Etats-Unis. La communauté japonaise a développé des ghettos urbains. Et leurs enfants, nés aux Etats-Unis, étaient américains. Ils se sentaient pleinement américains. D’ailleurs ils parlaient parfaitement la langue.

Cependant, suite aux attaques de Pear Harbor la communauté japonaise est visée. Le doute s’installe. Les Américains voient les Japonais comme une menace. On les accuse de travailler contre le gouvernement américain, d’espionner. Des listes noires apparaissent et avec elles commencent les déportations vers les camps. Ces nombreuses déportations ont provoqué dans l’esprit de certains Américains une incompréhension, le sentiment d’une injustice. On ne savait pas exactement où ils étaient. Renvoyés dans leur pays d’origine ? Emprisonnés ? Ils avaient disparu. Mais où vont les gens qui disparaissent ?

Nathalie Dessay incarne les voix américaines. Elles fait part de son incompréhension. De ses inquiétudes. De toutes les questions qui demeurent sans réponse. Cependant, ce n’est qu’une voix. Elle ne fait rien. Elle ne montre pas une volonté de se rebeller contre le pouvoir américain afin que cette histoire avec les Japonais ne demeure pas en suspens. Les Etats-Unis ont peu évoqué en effet ce passage dans l’Histoire. Et Nathalie Dessay représente parfaitement l’Américaine (stéréotype) de l’époque.

 

En conclusion

On retiendra la force des images dans ce spectacle, notamment celles qui montrent à travers les gros plans, tout ce qui fait la force et en même temps l’extrême solitude de chaque femme japonaise. La force du jeu des acteurs. Alyzée Soudet est particulièrement émouvante. Et l’intérêt que cette pièce revêt aujourd’hui. Car certaines histoires doivent sortir de l’ombre. Le théâtre est ici au service des femmes japonaises. Il donne à ses multiples destins, à ses différentes histoires individuelles, un corps et une voix. Un porte parole.

 

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