La série imaginée par Stefano Accorsi dresse une fresque sans concession de l’Italie des années 90, avec l’arrivée au pouvoir de Berlusconi.
C’est quoi, 1992 – 1993 – 1994 ? A la fin de l’année 1991, la justice italienne lance l’opération mains propres, une vaste enquête qui va mettre au jour la corruption généralisée et la collusion entre partis politiques et milieux économiques. C’est un véritable séisme qui laisse l’opinion publique sous le choc. Pris dans la tourmente, six personnes voient leurs destins se croiser : un publicitaire cynique, deux policiers membres du pool chargé des investigations, la fille d’un industriel corrompu, une jeune femme rêvant de devenir animatrice à la télévision et un ex-militaire qui se lance en politique. Ce sont ces personnages que nous allons suivre, au cours des trois ans qui vont changer leur vie et le paysage politique et social de l’Italie.
Les années 1990 ont marqué un tournant dans l’Histoire de l’Italie avec le procès Mains propres. C’est une tempête judiciaire qui s’est abattue sur le monde politique en mettant au jour un niveau incroyable de corruption et de collusion entre les dirigeants au pouvoir et le monde des affaires. Le choc dans l’opinion publique a ouvert la voie à de nouveaux leaders – dont un certain Silvio Berlusconi. C’est au début de cette décennie, de 1992 à 1994, que se consacre la série disponible sur Arte .tv créée par Stefano Accorsi, qui y interprète aussi l’un des rôles principaux.
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Une plongée dans les années Berlusconi
En 28 épisodes, la série nous replonge dans trois années de cette décennie, recréés dans les moindres détails : les vêtements, les décors, les paradigmes de l’époque (dont le sexisme), les références culturelles ou à l’actualité, la bande-son entre pop italienne et rock anglo-saxon. Un cadre soigné dans lequel vont évoluer des personnages fictifs qui n’ont a priori pas grand-chose en commun mais dont les destins vont s’entremêler, impacté par les événements et les personnalités réelles (les politiciens et magistrats de l’époque, et surtout Berlusconi, interprété par un Paolo Pierobon absolument parfait.)
Au centre du récit, Leonardo Notte (Stefano Accorsi) est un publicitaire cynique, qui mène une vie de luxe et de débauche ; il perçoit immédiatement comment tirer profit de la crise que traverse le pays, en réinventant la communication politique. Luca Pastore (Domenico Diele) et Rocco Venturi (Alessandro Roja) sont deux policiers enquêtant sur la corruption. Après le suicide de son père impliqué dans un procès, Bibi Mainaghi (Tea Falco) doit reprendre les rênes de l’entreprise familiale. Veronica Castello (Miriam Leone) est prête à tout pour réaliser son rêve et s’afficher en showgirl sur le petit écran. Enfin, Pietro Bosco (Guido Caprino), vétéran de la guerre d’Irak en rupture sociale, trouve une échappatoire à sa colère et son mal-être en s’engageant en politique auprès de la toute jeune Ligue du Nord d’extrême-droite dont il deviendra l’un des députés.
Un tournant dans l’histoire de l’Italie
La série est aussi ambitieuse que désenchantée. S’ouvrant sur cette vaste opération anti-corruption sensée mettre à bas un système politique défaillant, c’est presque une fresque qui montre l’effondrement de la classe politique traditionnelle… et l’apparition sur les décombres de nouveaux leaders qui ne valent pas mieux. L’un des principaux fils conducteurs, c’est la création et la montée en puissance de ces nouveaux partis. D’un côté, le parti Forza Italia de Silvio Berlusconi fondé par des publicitaires (dont ici Notte), qui abordent la politique en vendant leur candidat et les idées comme un concept marketing ou un show : on fait campagne comme on vendrait les pâtes de Giovanni Rana. De l’autre, la Ligue du Nord, parti régionaliste voire extrémiste qui s’appuie sur un discours populiste, au sein duquel Bosco trouve un exutoire à sa colère et son désenchantement.
La série n’épargne aucun de ses héros – qu’ils soient violents comme Pietro, égocentriques comme Notte ou pathétiques comme Veronica. Et pourtant, même malgré une deuxième saison un peu moins réussie, la trilogie parvient à accrocher le spectateur et à l’emporter dans un récit complexe et dense, maîtrisé de bout en bout. Au fil des trois saisons, on suit nos personnages à mesure qu’ils doivent faire face aux conséquences de leurs actes, avec toujours en toile de fond des faits historiques (les diverses affaires politico-financières, les attentats perpétrés par la Mafia, la chute de la Première république et l’instauration de la Deuxième…) Avec un récit linéaire (hormis quelques flash-back consacrés à Notte) et choral, les trois saisons imaginent le destin de ses héros, en fantasmant sur ce qui a pu se passer en coulisses, dans les couloirs feutrés du parlement ou derrière les portes closes des cabinets ministériels.
1992, 1993 et 1994 : trois ans, trois saisons pour raconter une époque où les Italiens ont nourri l’espoir d’un changement, ont cru au renouvellement de la classe politique en favorisant l’émergence de nouveaux partis au détriment des anciens. Trente ans plus tard, le bilan est effarant : la politique italienne a basculé dans un cirque médiatique avec Forza Italia, dans l’extrémisme populiste avec la Ligue du Nord. Derrière, se profilaient déjà les ombres de Salvini, de Beppe Grillo et de Giorgia Meloni – voire d’autres figures politiques internationales au pouvoir aujourd’hui…
En croisant les destins de personnages fictifs et réels (surtout Berlusconi), la trilogie 1992 – 1993 – 1994 dresse un panorama édifiant de l’Italie, à un moment charnière de son Histoire. Les deux premières saisons racontaient la faillite de la politique italienne et la montée en puissance du Cavaliere ; la troisième le porte au pouvoir avec, au final, un cruel constat d’échec. La série pourrait faire sienne cette citation : « Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, car les événements de ce monde ont en tout temps des liens aux temps qui les ont précédés. » Évoquer Machiavel ? Voilà qui plairait certainement beaucoup à Notte.
1992 – 1993 – 1994
28 épisodes de 55′ environ.
Disponible siur Arte.tv