
La série 37 secondes raconte le combat des familles des victimes du naufrage du Bugaled Breizh, déterminées à découvrir la vérité et obtenir justice.
C’est quoi, 37 secondes ? Le 15 janvier 2004, le chalutier breton Bugaled Breizh émet un appel de détresse avant de chavirer brusquement au large des côtes anglaises. Immédiatement dépêchés sur place, les secours arrivent pourtant trop tard : parmi les cinq marins à bord, deux sont retrouvés noyés, les trois autres portés disparus. L’enquête conclut rapidement à une collision avec un cargo, mais les familles ne croient pas à cette version – d’autant qu’un sous-marin militaire a été signalé dans la zone. Marie Madec (Nina Meurisse), belle-sœur d’un des disparus, est déterminée à découvrir la vérité. A la tête d’un petit groupe de proches des victimes, elle contacte un avocat, maître Costil (Mathieu Demy). Commence alors un long combat judiciaire – et une affaire d’État.
Prix de la meilleure série française au Festival Séries Mania
Un drame maritime entouré de mystère
37 secondes : c’est le titre de la série réalisée par Laure de Butler et produite par Alain Bonnet pour Arte et récompensée du prix de la meilleure série française lors du dernier festival Séries Mania. 37 secondes, c’est la durée ridiculement brève qu’il a suffi au chalutier Bugaled Breizh pour échouer au fond de la Manche, le 15 Janvier 2004. Le naufrage a couté la vie à cinq marins, laissant les familles endeuillées et dans l’incompréhension. Les circonstances du drame demeurent entourées de mystères, malgré une procédure judiciaire longue de plusieurs années, plusieurs hypothèses avancées puis écartées, un dossier classé sans suite en 2014 en France, avant que la justice britannique ne conclut finalement à « un accident de pêche » en 2021. Au grand dam des proches des victimes qui se battent, depuis plus de vingt ans, pour obtenir la vérité.
La série nous raconte ce long combat judiciaire, à travers le personnage fictif de Marie Madec. Belle-sœur d’un des pêcheurs disparus, elle refuse dès le début les explications avancées par les autorités. Pour elle, le naufrage ne peut s’expliquer ni par les conditions météo, ni par la croche du filet de pêche sur un obstacle inconnu, ni par la collision avec un cargo, ni par une erreur de l’équipage. En revanche, il existe une autre explication possible : un choc avec un sous-marin nucléaire qui aurait entraîné le Bugaled dans les fonds. Hypothèse balayée par les autorités, malgré plusieurs témoignages attestant d’un exercice militaire international dans la zone.
Prenant la tête des familles des victimes, Marie (formidable Nina Meurisse, qui montre toute une palette d’émotions) contacte alors l’avocat maître Costil (Mathieu Demy, tout en retenue), qui va se constituer partie civile en leurs noms et contacter le juge chargé de l’instruction. Entre colère et tristesse, détermination et lassitude, Marie va se battre bec et ongles. Contre les versions officielles, les démentis des autorités, les expertises contradictoires de l’Ifremer et du BEA, les incohérences et les errements de l’enquête, les divisions entre les proches et même au sein de son propre couple.
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Personnages fictifs face aux faits réels
Dans ces six épisodes d’une cinquantaine de minutes, les scénaristes ont choisi de mélanger réalité et fiction. D’un côté, une reconstitution méthodique et précise du dossier et de son cheminement judiciaire. Du palais de justice au bureau du juge d’instruction, des conférences de presse du procureur jusqu’au tribunal britannique sollicité par les parties civiles, des interventions de la ministre de la défense à l’Assemblée nationale (Michèle Alliot Marie, à l’époque) au plateaux de télévision où Marie tente de mobiliser l’opinion, des expertises aux reconstitutions : la série décortique toutes les avancées, reculs et stagnations du dossier, souligne les incohérences et contradictions de l’affaire. Un récit parfois un peu austère car technique mais qui souligne toutes les zones d’ombres du dossier.
Dans le même temps, 37 secondes s’appuie sur des personnages fictifs, principalement Marie mais aussi les parents, compagnes, enfants des victimes du naufrage. C’est ce qui permet à la série de trouver un souffle humain, de rendre tangibles les émotions des protagonistes – la colère, la douleur, la confusion, le sentiment de culpabilité, l’acharnement. Dans cette lutte incessante aux airs de combat de David contre Goliath, on s’écarte des faits bruts pour découvrir le tableau d’une petite communauté frappée par la tragédie. Et même si les derniers épisodes forcent un peu sur le pathos, cette part de fiction donne une chair romanesque à l’ossature factuelle, au-delà du strict dossier judiciaire.
Du « simple » naufrage à l’affaire d’état
Le naufrage du Bugaled Breizh n’est pas un « simple » naufrage. Cette affaire a suscité de vives émotions dans la communauté des pêcheurs : outre le drame, l’enquête a soulevé de nombreuses interrogations Si les marins sont habitués aux dangers inhérents à leur métier et aux conditions de navigation difficiles, ce naufrage fulgurant n’a rien d’habituel. Les circonstances de l’accident, les responsabilités qui pouvaient en découler, les interactions potentielles avec des activités militaires ou d’autres navires n’ont cessé d’alimenter les spéculations, laissant les familles dans un deuil impossible et dans un profond sentiment d’injustice face à une enquête qui semble avoir été entravée.

Dans ce contexte, l’affaire du Bugaled est devenue un symbole des luttes pour la reconnaissance des droits des marins et plus largement, pour le droit à la vérité. Judiciairement, l’affaire est considérée comme classée mais les interrogations demeurent. C’est ce qui fait de 37 secondes une série forte et importante. Car les victimes et leurs proches méritent toujours la vérité et la justice.
Mêlant une enquête judiciaire scrupuleusement reconstituée et les parcours de personnages fictifs frappés de plein fouet par le drame, 37 secondes remet en lumière le naufrage du Bugaled Breizh, survenu il y a plus de vingt ans. Les circonstances de l’accident ont été entourées de mystère et l’enquête asphyxiée par des décisions judiciaires, militaires voire politiques. Avec une conclusion frustrante (d’aucuns diraient indigne) pour les familles des victimes qui, vingt ans après le drame, n’ont toujours pas obtenu justice.
37 secondes
6 X 50′ environ
Le 3 Avril sur Arte et sur Arte.tv