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On a vu pour vous … Aux animaux la guerre, drame choral et polar social

Adaptée du best-seller éponyme, la série Aux animaux la guerre frappe par sa noirceur et son réalisme – en résonance avec l’actualité.  

C’est quoi, Aux animaux la guerre ? Dans les Vosges, Martel (Roschdy Zem) cumule deux emplois pour gagner sa vie, mais cela ne suffit pas à couvrir les dépenses de la maison de retraite de sa mère. Lorsqu’il apprend que l’usine Velocia pour laquelle il travaille est sur le point d’être délocalisée et qu’il risque de se retrouver au chômage, Martel n’a plus rien à perdre. Bruce (Florent Dorizon), bodybuilder qui arrondit ses fins de mois grâce au trafic de drogue,  lui propose un plan : enlever une prostituée pour la revendre à deux caïds du coin. Mais la situation dérape… Et Rita (Olivia Bonamy), inspectrice du travail chargée de mener les négociations pour tenter de sauver quelques emplois, se retrouve emportée dans la tourmente. En arrière-plan, chacun lutte pour garder la tête hors de l’eau et mener une vie décente malgré le déclassement économique et social.

Il y a quelques jours, Nicolas Mathieu s’est vu décerner le Prix Goncourt pour son roman Leurs enfants après eux. Soit la suite de son précédent livre, Aux animaux la guerre, best-seller dont France 3 s’apprête à diffuser l’adaptation en 6 épisodes. L’auteur a lui-même écrit le scénario, avec Alain Tasma (notamment réalisateur de l’excellente A Cran) derrière la caméra. Présentée lors du dernier festival Séries Mania, elle a enthousiasmé le public et la critique.

Rita et Martel, duo inattendu

L’impact de la mondialisation et la désindustrialisation sur une région au cœur de la France (ici, les Vosges) est le point de départ de l’histoire. Entre drame social et polar noir, c’est un récit choral qui entremêle le parcours de personnages en souffrance, livrés à eux-mêmes lorsque l’usine, principal employeur de la région, est sur le point de fermer. On y suit les destins croisés de Rita, une inspectrice du travail pleine d’humanité et prête à aller contre sa hiérarchie pour venir en aide aux employés  ; Martel, syndicaliste qui bascule dans la criminalité pour s’en sortir ; Bruce, colosse sous stéroïdes pas très futé qui vit avec son grand-père dans une ferme isolée ; Patrick, collègue de Martel qui fuit le quotidien en participant à des rallyes  et son fils Jordan, amoureux de Lydie, la sœur de Bruce…  En arrière-plan, c’est toute une communauté qui voit sa vie bouleversée lorsque l’usine locale risque d’être délocalisée.

Bruce, alias l’impressionnant Florent Dorizon

Sans angélisme, la série trace une galerie de personnage nuancés et ambigus, dessine des protagonistes imparfaits, prêts à tout pour s’en sortir et auxquels on s’attache facilement. Le casting est excellent, dominé par Roschdy Zem et Olivia Bonamy, à la fois subtils et intenses dans la peau de deux héros charismatiques qui vont nouer une improbable relation. A leurs côtés, on retrouve le génial Tchéky Karyo dans le rôle d’un mafieux, mais aussi de  jeunes acteurs magnifiques, comme Rod Paradot et surtout Florent Dorizon. Pour sa première expérience à l’écran, le champion d’Europe de culturisme se révèle impressionnant dans la peau de Bruce, brute épaisse hors-norme qui dévoile pourtant d’autres facettes.

Servie par des interprètes irréprochables, Aux animaux la guerre est une série ambitieuse et intelligente, qui rappelle un autre roman adapté en série par son auteur : Les vivants et les morts de Gérard Mordillat. Elle lorgne aussi du côté du cinéma de Ken Loach, où la chronique sociale se dessine à partir de l’humain. Évitant toute  caricature et nous épargnant les lieux communs, la fiction se focalise avant tout sur les états d’âmes de protagonistes écrasés par le poids de la crise économique qui les frappe de plein fouet, ainsi que leurs familles. En multipliant les points de vue, en entremêlant les histoires personnelles et une intrigue criminelle bien menée malgré une fin abrupte, le scénario gagne en épaisseur et touche directement le spectateur. La tension demeure constante, non seulement en raison du polar implacable raconté par la série, mais aussi parce qu’on est happé par le destins de ses personnages, en permanence sur la corde raide. Tous sont prisonniers d’une situation qui les dépasse, précipités dans la spirale du chômage, de l’isolement social et de la misère ; condamnés à la défaite face à un capitalisme agressif avide de profit, une mondialisation brutale où l’individu est accessoire ; poussés par le désespoir à toutes les extrémités.

Aux animaux la guerre, et sa violence sociale

L’histoire reste sombre, l’ambiance oppressante, et le décor n’y est pas étranger. Convenue, la formule est pourtant pertinente : la région du Grand Est fait figure de personnage à part entière. Les Vosges en particulier, avec ses forêts angoissantes, ses paysages enneigés et vides, ses villes décrépies hantées par les chômeurs désœuvrés. Derrière le désespoir du quotidien, quelques lueurs percent pourtant à travers l’obscurité. L’humanité et l’empathie de Rita, la manière dont Martel, Bruce ou Patrick prennent soin de leurs proches, la relation entre Lydie et Jordan : c’est ce qui permet de garder foi en l’être humain. Et de trouver un minimum d’espoir, malgré tout.

Polar social maîtrisé servant de base à un récit choral qui dessine des personnages forts et superbement interprétés, Aux animaux la guerre vous attrape dès les premières scènes pour ne plus vous lâcher. Mais au moment où un président (comme ses prédécesseurs) va au contact des ouvriers pour entendre leur mal-être et leur colère, et que la grogne sociale monte en puissance, la série révèle en outre toute son acuité et sa puissance. Pour paraphraser la fable de La Fontaine qui donne ce titre étrange à l’œuvre de Nicolas Mathieu : la crise faisait aux animaux la guerre ; ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.


Aux animaux la guerre (France 3)
3 X 2 épisodes de 52′ – suivis de documentaires inédits.
Aux animaux la guerre – disponible en format  Poche chez Actes Sud, collection Babel Noir.
Leurs enfants après eux – disponible chez Actes Sud

About author

Traductrice et chroniqueuse, fille spirituelle de Tony Soprano et de Gemma Teller, Fanny Lombard Allegra a développé une addiction quasi-pathologique aux séries. Maîtrisant le maniement du glaive (grâce à Rome), capable de diagnostiquer un lupus (merci Dr House) et de combattre toutes les créatures surnaturelles (vive les frères Winchester), elle n'a toujours rien compris à la fin de Lost et souffre d'un syndrome de stress post-Breaking Bad
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