Basée sur un livre-culte féministe et acerbe, Dietland peine à trouver le même ton incisif. Avec néanmoins des éléments intéressants, la série pourrait réserver quelques surprises.
C’est quoi, Dietland ? Auteure répondant au courrier des lectrices pour un grand magazine de mode féminin new-yorkais, Plum Kettle (Joy Nash) est une femme en surpoids, complexée par ses kilos en trop. Ayant tout tenté pour maigrir, obsédée par les régimes et souffrant du regard des autres, Plum envisage la chirurgie, pour enfin devenir mince et changer de vie. C’est alors qu’elle entre en contact avec une organisation féministe moins inoffensive qu’il n’y paraît, qui lutte entre autres contre les diktats physiques imposés aux femmes…
L’affaire Weinstein, les mouvements #TimesUp et #MeToo sont une des manifestations d’un féminisme en pleine ébullition. Il trouve aussi son illustration dans des séries qui traduisent un sentiment généralisé de ras-le-bol face aux inégalités, au harcèlement, à la culture du viol et aux injustices ressenties par les femmes. C’est dans ce contexte qu’arrive sur nos écrans Dietland (disponible en France sur Amazon Prime Video), créée par Marti Noxon (Unreal, Girlfriends’ Guide to divorce). La série est tirée d’un best-seller de Sarai Walker, publié en 2015. Critique implacable de la dictature de canons de beauté impossibles à atteindre et plus largement du patriarcat et de la misogynie, le roman est rapidement devenu culte auprès des mouvements féministes.
Dietland raconte donc l’histoire de Plum. En surpoids, réservée et peu sûre d’elle, elle n’a aucune relation à l’exception de son meilleur ami Jake (Mark Tallman) et passe ses journées derrière son ordinateur. Elle travaille en tant que ghostwriter et répond aux lettres de lectrices désorientées et en souffrance à la place de la rédactrice d’un célèbre magazine féminin, Kitty Montgomery (Julianna Margulies). Kitty est tout l’opposé de Plum : belle, mince, stylée, charismatique, sexy, sûre d’elle – mais aussi extrêmement froide et cynique.
Plum est grosse. On pourrait évidemment la décrire de bien d’autres manières, mais c’est d’abord ainsi que la jeune femme se définit. Elle est complexée par son poids, obsédée par les calories, a tout essayé pour maigrir – sport, régimes miracles, médicaments, hypnose – et envisage en dernier recours une opération de chirurgie bariatrique. C’est alors qu’elle s’aperçoit qu’elle est suivie par une jeune femme qui va l’introduire auprès d’une organisation féministe radicale.
On nous a vendu Dietland comme « la nouvelle série de Julianna Margulies », la star de The Good Wife. Convaincante dans le rôle de Kitty Montgomery, elle n’est qu’un personnage secondaire. L’héroïne, c’est Plum – une femme drôle et touchante, parfaitement interprétée par Joy Nash, qui jongle habilement entre drama et comédie sans tomber dans le pathétique ou le ridicule. Entre ses interventions en voix off, ses souvenirs en flash-backs et ses fantasmes qui apparaissent en séquences animées, on entre vite en empathie avec cette héroïne sympathique et sensible, mais désespérément triste et solitaire, moquée et jugée à cause de son poids, confrontée à des silhouettes idéales qui lui rappellent sans cesse que son physique la marginalise.
Dans le même temps se met en place une trame criminelle qui (si la série suit le roman) devrait s’étendre pour devenir le cœur de l’histoire : de manière un peu confuse, on évoque ainsi l’enlèvement puis le meurtre de plusieurs figures masculines éminentes perpétrés par une mystérieuse « Jennifer », un enquêteur débarque au siège du journal ; Plum découvre le mouvement féministe Calliope House…
Le problème, pour l’instant, réside dans le ton de la série. Le livre détonne par son style acerbe, son humour satirique et sa violence subversive. Or, ce ton corrosif est assez diffus dans les deux premiers épisodes – à l’exception du générique. Savoureux mais perturbant, il prend la forme d’un dessin animé où Plum escalade une montagne de nourriture, perdant progressivement du poids jusqu’à atteindre la mythique Dietland – mais sous la forme d’un corps décharné et squelettique.
Pour le moment, sans cette approche acide et subversive, le message sous-jacent de Dietland manque de force et tend vers un angélisme naïf : l’apparence physique est secondaire, la vraie beauté est intérieure, le bonheur ne se résume pas à des chiffres sur la balance, il faut apprendre à s’accepter, etc. Des vérités théoriques connues de la plupart des femmes, sans qu’elles parviennent pour autant à les mettre en pratique.
Mais on est en droit de se montrer optimiste. On voit poindre plusieurs thèmes pertinents et actuels qui, bien développés et exploités, sont susceptibles d’enrichir considérablement le propos : l’omniprésence du jeunisme, l’impossible pression et le diktat de la taille 36 auxquels se soumet la plupart des femmes, les agressions et viols, le sexisme rampant institutionnalisé, les violences conjugales… Le tout, à travers ce groupe de justicières auto-proclamées, en croisade meurtrière pour venger les femmes et punir ceux qu’elles tiennent pour responsables de toute la violence misogyne intrinsèque de la société. Avec le risque de résumer le combat féministe à une lutte contre les hommes, en versant dans le manifeste misandre… Heureusement, Dietland compte déjà plusieurs personnages masculins positifs (comme Jake ou l’enquêteur, possible flirt de l’héroïne) et devrait donc éviter cet écueil – du reste souvent reproché au roman…
Encore loin de la subversion du roman original, Dietland semble pourtant prometteuse. Son héroïne attachante, ses personnages intrigants, l’intrigue criminelle qui se met en place et les multiples thèmes esquissés laisse présager d’une satire actuelle, propre à engendrer le débat tout en s’appuyant sur une histoire bien menée. Laissons à la série le temps de s’installer : sans doute saura-t-on dès les prochains épisodes si Dietland est bien la série féministe dérangeante mais pertinente qu’on nous a fait miroiter…
Dietland (AMC)
10 épisodes de 45′ environ.
Disponible en France sur Amazon Prime Video.