Comédie à la fois sensible et délicieusement provocatrice, Mrs Fletcher séduit avec son héroïne en pleine redécouverte d’elle-même.
C’est quoi, Mrs Fletcher ? Lorsque son fils Brendan (Jackson White) part pour l’université, Eve Fletcher (Kathryn Hahn) se retrouve seule et désœuvrée. Mais la solitude et l’ennui vont pousser cette quadragénaire divorcée à se recentrer sur elle-même et à se redécouvrir, notamment sur le plan sexuel. Grâce aux joies de la pornographie en ligne et des applications de rencontres, Eve fait de nouvelles expériences et s’épanouit. De son côté, Brendan tente de s’adapter à la vie sur le campus, non sans difficultés…
Si le nom de Mrs Fletcher vous évoque une gentille vieille dame autrice de romans policiers et enquêtrice à ses heures perdues, vous risquez fort d’être déstabilisé par la nouvelle série de HBO (sur OCS en US+24) car Eve Fletcher n’a rien à voir avec son homonyme de Arabesque. Cette femme de 47 ans, qui redécouvre sa sexualité et reprend sa vie en mains lorsque le départ de son fils la confronte au syndrome du nid vide, sort tout droit de l’imagination de Tom Perrotta. Soit l’auteur du roman qui a inspiré The Leftovers, série de Damon Lindelof à laquelle il a largement collaboré. Et Perrotta a du reste également veillé sur cette adaptation de son Mrs Fletcher ou les tribulations d’une MILF (édité en France chez 10-18), dont il a notamment écrit le pilote.
Tout commence lorsque Eve aide son fils Brendan à emménager dans sa chambre à l’université et se retrouve seule dans leur maison du New Jersey. Divorcée, avec un travail peu épanouissant dans un centre pour seniors, elle s’ennuie dans sa vie quotidienne. Mais livrée à elle-même, en pleine crise existentielle, elle va voir s’ouvrir devant elle un monde de possibilités. D’abord, sur le plan sexuel : via internet, Eve découvre un univers de fantasmes qu’elle ne soupçonnait pas ; comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, elle s’aperçoit qu’elle est une MILF (acronyme de Mother I’d Like to F***) à son insu et que l’âge est loin d’être un obstacle à l’épanouissement sexuel – bien au contraire… Au-delà du sexe, elle va sortir de sa zone de confort, nouer de nouvelles relations et se découvrir sous un jour inédit.
Soyons clair : le sexe joue un rôle essentiel dans l’épiphanie de Eve Fletcher et donc dans la série, que l’on déconseille aux yeux prudes ou innocents. Le sexe, on en parle et on le montre, via des vidéos explicites sur internet ou les expériences de l’héroïne. Mrs Fletcher (la série) n’a pas de tabou et son personnage éponyme va vite balayer ceux qui lui restent. Pour autant, cette comédie de mœurs reste délicate et subtile, flirte avec le sulfureux sans jamais tomber dans la provocation facile, même si le ton et les images sont souvent crus. Et c’est sans conteste l’une des grandes qualités de cette histoire, drôle et délicieusement subversive mais crédible et réaliste.
L’autre atout, c’est la présence de la géniale Kathryn Hahn (vue dans Transparent et dans l’éphémère mais géniale I love Dick), dans le rôle du personnage. Lumineuse, tour à tour touchante et hilarante, elle se glisse parfaitement dans la peau de cette femme qui prend conscience d’elle-même, se redécouvre avec un étonnement mêlé de jubilation, entrevoit qu’une autre vie est possible au-delà de l’univers étriqué auquel elle s’est limitée toutes ces années. Il y a quelque chose d’enthousiasmant, à la voir ainsi s’épanouir avec plus ou moins de facilité sur plusieurs plans – que ce soit à travers une liaison avec un homme beaucoup plus jeune, son fantasme de la fessée, ses tentations saphiques, mais aussi son envie d’élargir ses horizons par exemple dans sa relation avec une collègue de travail, son émancipation vis-à-vis de son rôle de mère, ses rapports avec son ex-mari ou les cours du soir auxquels elle s’inscrit.
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Le parcours quasi-initiatique de Eve est au cœur de la série, mais celui bien différent de son fils Brendan joue également un rôle essentiel. Ce garçon (remarquablement interprété par Jackson White), qui sort de l’adolescence et du confortable cocon familial, se sent prêt à conquérir le monde – en commençant par le campus universitaire. Jeune homme hétéro, cis et blanc, il ne doute pas d’y parvenir ; la réalité est toute autre. Dépassé par les événements, en difficulté dans ses études, Brendan doit aussi remettre en question sa perception du sexe. Sans trop en révéler, c’est toute son idée de la sexualité, son rapport aux femmes et sa conception de la masculinité qui vont se trouver bouleversés (en particulier au terme d’une scène extrêmement choquante car atrocement réaliste, dans le sixième épisode…)
Il y aurait beaucoup à dire, sur cette petite série : en seulement sept épisodes, elle parvient à croiser le parcours de ses protagonistes avec lucidité et finesse, entre drama et humour, subtilité et subversion. Mais l’une de ses idées les plus anticonformistes finalement, réside peut-être dans le renversement de certains stéréotypes liés au sexe. Ce qui lui donne un angle inédit et intriguant, c’est le parallèle entre cette mère qui se libère des carcans et parvient à se réinventer et son fils, arc-bouté sur des certitudes qui vacillent et finissent même par s’effondrer.
Entre comédie de mœurs, satire légère, récit lucide et portrait touchant d’une femme dont la crise existentielle s’exprime à travers la redécouverte de sa sexualité, Mrs Fletcher est une série délicieuse et surprenante. Refusant la facilité, elle trace par petites touches des portraits complexes et attachants, à commencer par celui de son héroïne. Avec une idée réjouissante et réconfortante : il n’est jamais trop tard pour s’épanouir. La vie – d’une femme en l’occurrence – peut aussi (re)commencer après 40 ans.