Comédie tendre matinée de drama, Reservation Dogs suit quatre ados amérindiens déterminés à quitter leur réserve.
C’est quoi, Reservation Dogs ? Bear (D’Pharaoh Woon-A-Tai), Elora (Devery Jacobs), Willie Jack (Paulina Alexis) et Cheese (Lane Factor) sont quatre adolescents amérindiens qui ont grandi dans une réserve de l’Oklahoma. Ils ne comptent pas y faire de vieux os : sans perspective d’avenir, ils ne pensent qu’à en partir. Pour réunir suffisamment d’argent, ils se lancent dans une série de délits et se voient attribuer le surnom des Reservation Dogs. En attendant de pouvoir réaliser leur projet, ils naviguent entre traditions et culture de masse, désenchantement et désespoir, amitié profonde et rivalité avec un autre gang.
Avec le titre Reservation Dogs , vous avez déjà un aperçu de deux des principaux éléments de la série diffusée sur Disney +, créée par Taika Waititi (What we do in the shadows) et le réalisateur seminole Sterlin Harjo. D’un côté, la référence au film Reservoir dogs ; de l’autre, le cadre d’une réserve amérindienne. Voici donc une histoire de gangsters dans la communauté des natifs – à ceci près que les gangsters en question sont des adolescents. Et il faut aussi signaler avant d’aller plus loin que l’allusion au long-métrage de Tarantino n’est qu’anecdotique et que hormis une ou deux références explicites compréhensibles même sans avoir vu le film, cela n’a pas d’importance dans l’histoire.
Nous sommes en Oklahoma, dans une réserve indienne déprimante ; entre vieilles bicoques et terrains vagues, il ne se passe rien. Jusqu’au moment où le chef de la police locale (Zach McClarnon) est confronté à des petits délits allant de tags au vol de cannabis thérapeutique en passant par du trafic de chips. Il soupçonne une bande d’ados d’être responsables… et il a raison. Ils sont quatre, unis par une profonde amitié, une tragédie commune et le désir de se tirer au plus vite de cette zone où ils n’ont aucun avenir et aucun espoir. Bear , physique de top model, vit seul avec sa mère ; Elora, la bad ass du groupe, est la plus déterminée à quitter la réserve ; Cheese les accompagne avec nonchalance et Willie Jack complète le quatuor avec son look de garçon manqué.
Partir, d’accord… mais pour aller où et avec quel argent ? En Californie, avec le butin amassé au fil des vols – par exemple piquer un camion pour le revendre à des dealers de drogue. Le petit gang, qui gagne le surnom de Reservation Dogs, est toutefois confronté à plusieurs problèmes, notamment aux scrupules de Bear qui se sent coupable de contribuer au déclin de la réserve, la ténacité d’un chef de la police toutefois débonnaire, ou à l’arrivée sur ce qu’ils considèrent comme leur territoire d’une bande rivale.
C’est cette rivalité qui sert plus ou moins de fil rouge à la série, avec quelques scènes mémorables comme la « fusillade » du premier épisode. Mais au fond, ce n’est qu’un prétexte. Car en réalité, Reservation dogs nous offre une plongée dans la vie de ses quatre jeunes héros, nous immerge dans leur quotidien et nous fait vivre toute leur histoire à travers leurs regards. D’abord celui de Bear puis de Enora ( les deux acteurs sont aussi charismatiques l’un que l’autre), mais aussi au fil des épisodes de leurs acolytes Cheese et Willie Jack, qui restent un peu en retrait au départ.
Le récit est en grande partir choral, avec des épisodes qui s’attachent au quatuor dans son ensemble ; d’autres, plus intimistes, se focalisent sur l’un de ses membres en particulier. Dans le premier cas, la dynamique est réjouissante lorsqu’on suit ces personnages dans leurs déconvenues et leurs mésaventures, qu’on explore le lien qui les unit et en particulier le drame qui les a frappés quelques mois plus tôt. Dans le second cas, on découvre pour chacun un environnement familial, des aspirations, une personnalité peints par petites touches et allusions. Et c’est petit à petit que l’on s’attache à eux, qu’on explore les multiples strates qui constituent leur caractère avec des nuances qui n’étaient pas perceptibles au départ. Ainsi, Enora se révèle moins dure et intransigeante que ce que l’on pouvait penser ; Cheese laisse affleurer une sensibilité immense ; Willie Jack dévoile un peu de sa souffrance ; Bear est partagé entre son désir de partir et son sens moral.
Avec l’un de ses créateurs lui-même issu d’une réserve de l’Oklahoma, la série offre une perspective très personnelle sur cet environnement. Et c’est un regard sans concession, pourtant tendre et poétique. Reservation Dogs aborde des sujets sensibles comme la précarité économique, médicale et sociale, le désœuvrement et le chômage, la misère affective, l’alcoolisme, le délitement de la cellule familiale, et surtout le désespoir de jeunes sans soutien et sans perspective d’avenir. Et pourtant, la série fait sourire et donne la pêche, non seulement grâce au dynamisme de ses héros, mais aussi parce que le drama est la plupart du temps sous-entendu, caché derrière une bonne couche d’humour et de scènes surréalistes.
Situations burlesques, punchlines, séquences oniriques avec par exemple le fantôme hilarant d’un ancien guerrier qui a tout d’un bras cassé, allusions à la pop culture, réalisation inspirée, galerie de personnages secondaires inénarrables : avec tout ça, Reservation Dogs se joue des conventions et des clichés. C’est une série intéressante pour ce qu’elle montre du quotidien de ses jeunes héros dans un environnement souvent ignoré ou caricaturé dans la fiction ; c’est surtout une série drôle, mélancolique, étrangement empreinte de poésie. Une série finalement étrange… dans le bon sens du terme.
Fraîche, sympathique et originale, Reservation Dogs porte un regard amusant mais aussi empreint de mélancolie, à la fois authentique et décalé sur l’histoire de ses héros. Déterminés à quitter la réserve amérindienne dans laquelle ils ont grandi, ils ne semblent pas près d’y arriver : saluée par la critique et le public, la série a été confirmée pour une deuxième saison.
Reservation Dogs
8 épisodes de 25′ environ.
Diffusion en France sur Disney +.