Tirée de faits réels, Rillington Place expose la personnalité terrifiante d’un tueur en série, à travers les regards croisés de plusieurs protagonistes de l’affaire.
C’est quoi, Rillington Place ? Londres, début des années 1940. C’est dans un appartement d’une modeste maison de Rillington Place que vivent John Reginald Christie (Tim Roth) et sa femme Ethel (Samantha Morton). Vétéran de guerre, Reg est un homme respectable, austère et banal – du moins, en apparence… Son comportement parfois erratique éveille bien les soupçons d’Ethel, mais elle préfère fermer les yeux. Elle est en tous cas loin de se douter que son mari est un redoutable tueur en série qui viole et assassine des jeunes femmes.
Série de la BBC disponible sur Canalplay, Rillington Place raconte l’histoire vraie de John Reginald Christie, l’un des tueurs en série les plus tristement célèbres de Grande-Bretagne. A travers trois épisodes d’une heure, on explore l’affaire selon trois points de vue différents pour découvrir comment une série de meurtres perpétrés dans les années 1940 à Londres a conduit à une erreur judiciaire, qui aboutira à l’abolition de la peine de mort, en 1965. Cette affaire a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations – dont le film L’ étrangleur de Rillington Place de William Fleischer (1971).
Aujourd’hui zone résidentielle huppée de Londres, le Notting Hill des années 1940 est un quartier modeste abîmé par la guerre, aux rues dépravées jalonnées de petites maisons grises et vétustes où les locataires se partagent une seule salle de bains. C’est là, au 10 Rillington Place, qu’emménagent John Reginald et Ethel Christie. Lui, vétéran de Guerre, travaille comme auxiliaire de police ; elle est employée de bureau. Le couple vient de se réconcilier, après que Reginald ait mystérieusement disparu pendant neuf ans.
John « Reg » Christie est un homme insipide et banal, à l’air inoffensif et à la voix éteinte suite à une intoxication au gaz moutarde pendant la guerre. Derrière son apparente normalité se cache en réalité un homme manipulateur et affabulateur qui se prétend médecin, et qui nourrit une obsession malsaine envers les femmes. Discrète et soumise, Ethel lui est entièrement dévouée : elle ignore inconsciemment les zones d’ombre de son mari. Le soir venu, Reg fréquente les maisons closes et les bars sordides ; Ethel le sait mais préfère fermer les yeux. Un jour, Tim Evans (Nico Mirallegro) et sa femme Beryl (Jodie Comer), jeunes parents d’une petite fille, s’installent à l’étage du-dessus. Alcoolique et joueur, Tim délaisse son foyer, et Reg en profite pour se rapprocher de la jeune femme…
La série est construite en trois épisodes, livrant successivement le point de vue de trois des protagonistes principaux : Ethel, Tim et Reg. Le choix est judicieux dans la mesure où il permet de confronter différentes perspectives, à des moments différents de l’histoire, malgré un léger déséquilibre dans le rythme de la narration. Avec une certaine lenteur, le premier épisode (Ethel) introduit le couple Christie et les prémices de l’histoire ; le deuxième (Tim) est plus dynamique et culmine avec le rebondissement qui marque un tournant dans l’affaire ; le dernier (Reg) se focalise sur le meurtrier et conclut le tout, de manière un peu précipitée.
Comme bien des séries de la BBC, Rillington Place se caractérise par son atmosphère : en plus de la reconstitution de l’époque, la série s’appuie sur une ambiance particulièrement sombre et oppressante. Les images ternes, la photographie sous-exposée, les décors blafards avec papiers peints délavés et peintures écaillées, le minimalisme des dialogues… Sans grands effets, la série parvient à donner une sensation d’oppression et de danger permanent, comme une menace invisible planant dans l’air. Il y a quelque chose de fascinant dans la manière dont Rillington Place décrit la personnalité torturée de ce tueur, un homme en apparence si normal et respectable – un peu à la manière de The Fall, quoi que dans un genre radicalement différent.
L’interprétation de Tim Roth est exceptionnelle : outre la ressemblance avec le vrai Christie, l’acteur incarne à merveille ce petit homme effacé à l’allure ordinaire, qui met pourtant immédiatement mal à l’aise. Dans le rôle extrêmement délicat d’Ethel Christie, Samantha Morton joue sur toutes les ambiguïtés d’un personnage insaisissable, entre la soumission envers son mari et une forme de complicité tacite. Nico Mirallegro et Jodie Comer complètent le casting ; dans un rôle pourtant plus limité, la jeune actrice démontre encore une fois l’étendue de son talent.
Difficile d’en dire davantage sans dévoiler les rebondissements de l’intrigue – les multiples meurtres commis par Reg, l’attitude de son épouse, l’acte déterminant qui précipitera la chute de tous les personnages… Il faut pourtant souligner un point capital, qui explique l’enjeu de toute l’affaire : vous êtes prévenus, on va vous spoiler la fin.
Hyper-médiatisée à l’époque, l’affaire a marqué un tournant dans la société britannique : les errements de la police et de la justice ont en effet conduit à une énorme erreur judiciaire. Condamné pour le meurtre de sa femme et de l’enfant qu’elle portait, Tim Evans a été exécuté, permettant à Christie de donner libre court à sa frénésie meurtrière pendant près de dix années supplémentaires. Pire : c’est le meurtrier lui-même qui a témoigné au procès, son apparente respectabilité emportant la conviction du jury… En marge du portrait glaçant de Christie, le dysfonctionnement des institutions est l’autre axe sur lequel s’articule Rillington Place. Et il est tout aussi terrifiant.
Manquer Rillington Place serait presque un crime. Une histoire sordide mais fascinante, une angoisse qui va crescendo, une ambiance oppressante, la finesse des ressorts psychologiques et l’interprétation magistrale de Tim Roth : bienvenue à Rillington Place. Méfiez-vous quand même du voisin du rez-de-chaussée…
Rillington Place (BBC)
3 épisodes de 55′ environ.
A partir du 18 Juin sur Canalplay.