Shane Meadows exorcise ses démons dans The Virtues, mini-série déchirante, qui montre la difficulté mais aussi la nécessité de se confronter à des traumatismes refoulés.
C’est quoi, The Virtues ? Joseph (Stephen Graham), qui vit à Sheffield, traverse une mauvaise passe. Ex-alcoolique à la vie chaotique, il bascule lorsque son ex-compagne lui annonce qu’elle part en Australie avec leur fils. Brisé et désespéré, Joseph perd pied et plonge dans une profonde dépression qu’il tente de noyer dans l’alcool. Dans un sursaut,, il décide de retourner dans son Irlande natale pour renouer avec sa sœur qu’il n’a plus vue depuis des décennies. Mais le voyage est aussi l’occasion de partir sur les traces de son enfance, de reconstituer un passé refoulé qu’il soupçonne d’être à l’origine de sa souffrance et peut-être, de trouver une forme de paix.
Disons-le d’emblée : récompensée par le Grand Prix et le prix du meilleur acteur lors l’édition 2019 de Séries Mania, The Virtues est une fiction à couper le souffle. Une mini-série déchirante, créée et réalisée par Shane Meadows, qui a toujours mis énormément de lui-même dans son travail. Dans This is England par exemple, il revenait sur son appartenance à un groupe de skinheads alors qu’il avait onze ans. Désormais disponible sur ARTE.TV, The Virtues est une œuvre encore plus personnelle : avec l’aide de son collaborateur habituel Jack Thorne à l’écriture du scénario et de son ami Stephen Graham dans le rôle de son alter ego, il y exorcise les traumatismes qu’il a subis à neuf ans, lorsque sa sœur et lui ont été placés en famille d’accueil.
The Virtues condense l’histoire en quatre épisodes d’un peu moins d’une heure, correspondant chacun à une phase. Le premier se focalise sur l’auto-destruction de Joseph, la violente crise personnelle qui le frappe de plein fouet après un choc psychologique. La descente aux enfers est glauque et douloureuse : à l’acmé de son mal-être, on le voit se battre, frôler le coma éthylique, manquer de s’étouffer dans son vomi. Joseph trouve toutefois une échappatoire : retourner dans l’Irlande de son enfance, à la recherche de réponses susceptibles d’expliquer son indicible souffrance.
C’est là que nous le retrouvons dans le deuxième épisode, quand il renoue avec sa sœur qu’il n’avait pas revue depuis des décennies. Anna (Helen Behan) est mariée et mère de trois enfants ; sa vie heureuse et équilibrée est en quelque sorte une base à partir de laquelle Joseph va tenter de se reconstruire. Dans le troisième épisode, il va replonger dans son passé en foyer d’accueil, exhumer les souvenirs refoulés constitutifs du traumatisme originel ; le dernier épisode représente l’ultime acte de ce chemin de croix, lorsque Joseph est désormais conscient des raisons de son mal-être et doit choisir si sa rédemption passera par la vengeance ou le pardon.
En parallèle, Joseph croise la route de Dinah (Niamh Algar), une jeune femme aussi perturbée que lui – quoi que pour d’autres raisons. Hantée par un passé douloureux, elle se lance également dans une quête personnelle afin de se réapproprier son histoire et réparer ce qui peut l’être. Leurs souffrances entrent en résonance ; murés dans leur douleur, c’est en s’ouvrant l’un à l’autre qu’ils trouvent la main tendue dont ils ont désespérément besoin.
Le sujet est délicat, a fortiori lorsqu’on en connaît la teneur cathartique intime et autobiographique, et cette authenticité se ressent intensément. Réaliste et sans concession (notamment dans les réactions des personnages), c’est une série pesante, éprouvante à regarder psychologiquement et même parfois physiquement. Le récit est étouffant dans le crescendo des émotions et de la tension, à mesure que les personnages se rapprochent des secrets qui leur pourrissent la vie. C’est un Patrick Melrose sans l’humour noir ni le détachement désenchanté et ironique du personnage ; il ne reste que les pleurs, la douleur, la souffrance.
A lire aussi : Patrick Melrose, les traumatismes d’un Benedict Cumberbatch en état de grâce
Mais The Virtues est aussi empreinte d’une délicatesse qui évite tout misérabilisme complaisant. Magnifiée par la bande son signée PJ Harvey, entre morceaux rock et musique atmosphérique, la série alterne récit au présent, flashback sépia filmés au caméscope, dialogues et longues plages de silence qui en disent parfois tout autant parce qu’elles traduisent le ressenti et les pensées de Joseph, lorsqu’il erre seul sur la route.
Tous les acteurs sont excellents mais Stephen Graham porte littéralement The Virtues sur ses épaules. L’acteur est tellement magistral qu’il est difficile de trouver les mots pour exprimer à quel point il nous bouleverse. C’est sans le moindre doute la meilleure performance de sa carrière, il est tout simplement exceptionnel.
Le moindre de ses gestes, de ses mots, de ses regards est à la fois déchirant et d’un naturel saisissant. Graham ne surjoue jamais ce personnage pourtant extrême, ne se vautre jamais dans la souffrance de Joseph qu’il rend pourtant palpable (sa crise de panique, lorsqu’il se souvient, est à la imite du soutenable). Il nous émeut, nous brise le cœur sans qu’on le prenne en pitié ; on l’accompagne et on souffre avec lui, impuissant face à la douleur de cet homme détruit par quelque chose d’extérieur à lui. Et on sent aussi, avec lui, une bouffée d’espoir et de gratitude lorsque apparaît une lueur d’espoir, au terme de ce chemin si personnel.
The Virtues n’est pas faite pour tout le monde, il faut s’accrocher pour endurer cette histoire déchirante. C’est pourtant un bijou où tout ou presque est parfait – écriture, réalisation, musique et l’interprétation. Aussi atroce que belle, The Virtues possède surtout une puissance et une force émotionnelle rarement égalées. C’est l’illustration brutale d’une horreur traumatique mais aussi une histoire délicate d’amour et de rédemption ; un récit qui part des ténèbres les plus sombres pour aboutir à la clarté.