La série australienne Wakefield nous plonge dans un hôpital psychiatrique où la souffrance psychique n’est pas l’apanage des patients.
C’est quoi, Wakefield ? L’Hôpital psychiatrique de Wakefield, en Australie, accueille des patients atteints de diverses maladies mentales. On y soigne des gens en souffrance, incapables de se contrôler et qui doivent être surveillés en permanence car ils représentent un danger pour eux-mêmes ou pour les autres. Nik (Rudi Dharmalingam) y travaille comme infirmier ; plein d’empathie, il s’efforce d’aider au mieux les résidents. Or, lui-même souffre d’un grave traumatisme qu’il a complètement occulté, mais qui ressurgit régulièrement à travers diverses manifestations physiques et psychologiques, en particulier à travers les grands tubes pop des années 1980…
Si les scénaristes australiens savent nous surprendre, c’est par leur capacité à infléchir légèrement des genres déjà largement exploités. On pense à l’excellente série carcérale Wentworth ou au road movie endiablé Wanted, séries auxquelles vient s’ajouter Wakefield. Présentée dans le cadre du festival Séries Mania, cette fiction aborde le sujet délicat de la maladie mentale, d’une manière aussi habile qu’intrigante.
Située dans le cadre idyllique des Blue Mountains près de Sydney, Wakefield est une institution psychiatrique où se côtoient les patients, leurs familles, les infirmiers et les médecins. C’est tout un univers en soi, un peu à part et quasiment en vase clos. Les résidents et les soignants interagissent sans cesse, chacun des huit épisodes prenant pour point de départ un patient et sa problématique spécifique.On découvre alors son histoire, la manière dont se manifeste son trouble, son passé, les raisons de son internement et de sa souffrance psychique, son traitement et la manière dont il prend le chemin de la guérison (ou pas).
Mais dans le même temps, Wakefield entremêle différents points de vue, nous montrant les événements à travers le regard d’un des patients ou d’un des soignants. Les épisodes sont ainsi subdivisés en trois ou quatre segments d’une quinzaine de minutes, immédiatement identifiables grâce à un code visuel propre à chaque personnage. Ce sont presque des chapitres différent racontés non pas en parallèle mais en superposition ; les différentes versions ne convergent pas à la fin, elles se chevauchent et se répondent continuellement, voire se contredisent.
Ce changement continu de perspective permet à la série de montrer de manière déstabilisante mais étonnamment efficace ce qui passe dans la tête de tous ses personnages, y compris des soignants. Et c’est là que surgit l’une des questions centrales et récurrentes de Wakefield : où se situe la frontière entre santé et pathologie mentale, entre trouble anodin et pathologie grave ? Même si la scène d’ouverture a déjà semé le doute, au départ la ligne séparant les patients et les soignants semble nette : les premiers sont fous, les autres sains d’esprit. Les médecins et infirmiers en blouses blanches ou bleues s’occupent de ceux qui traînent en robe de chambre, le regard vide, dans les couloirs.
Sauf qu’on en apprend vite davantage sur le personnel médical,. L’infirmière en chef (Mandy McElhinney), une femme rigide et austère, souffre de problèmes de gestion de la colère et d’une addiction au jeu. À la tête du service, le Dr Kareena Wells (Geraldine Hakewill) est un excellent médecin, mais elle est instable émotionnellement en raison d’une vie personnelle compliquée.
Et puis il y a notre héros, Nik Katira (fantastique Rudi Dharmalingam qui démontre ici un immense talent de comédien… et de danseur). Cet infirmier est très empathique, attaché à ses patients dont il prend soin et qu’il cherche à aider quitte à s’impliquer personnellement. Or, lui-même souffre d’un grave traumatisme d’enfance qu’il a complètement refoulé mais qui, petit à petit, remonte à la surface à travers des visions, des pertes de contact avec la réalité et des hallucinations de plus en plus fréquentes qui commencent à l’inquiéter. En particulier une sorte de fantasme lié au tube Come on Eileen des Dexys Midnight Runners, qui ne cesse de résonner dans sa tête et qui s’accompagne d’une chorégraphie aussi brillante que déroutante… Comme dans un Zoey’s extraordinary Playlist où le héros aurait conscience que quelque chose ne tourne pas rond dans sa tête.
Dans le registre de la comédie, Crazy Exgirlfriend a parlé des troubles mentaux avec humour et brio ; Wakefield fait la même chose du côté du drama. La grande force de la série, c’est surtout la façon dont elle traite d’une grande variété de problèmes psychiatriques et psychologiques- dépression post-partum, bipolarité, automutilation, catatonie, addictions,etc. – avec beaucoup de sensibilité et en évitant habilement tous les clichés, sans stigmatiser les pathologies ou juger les malades. Au contraire, elle tente d’expliquer les raisons qui ont conduit ses personnages dans cette institution, les causes de leurs troubles et les répercussions sur leur vie et sur celle de leurs proches.
Cette approche empathique permet en outre à Wakefield de sensibiliser le public à diverses pathologies, cet aspect étant renforcé par un dispositif trans-média très efficace : chaque trouble traité dans la série fait l’objet d’une vidéo disponible sur internet, dans laquelle une infirmière (personnage secondaire de la série) décrit les symptômes, explique à ceux qui pourraient en souffrir ce qu’il convient de faire et à quels interlocuteurs s’adresser pour obtenir de l’aide. La démarche n’est pas anodine. Malgré plusieurs rejets successifs avant que ABC ne donne son feu vert, la créatrice de la série Kristin Dunphy s’est battue pour que Wakefield voie le jour : entre autre parce que c’est une histoire très personnelle pour elle, qui a souffert d’une grave dépression. D’où peut-être le regard particulier, tendre mais honnête et sans concession, de la série.
Wakefield est une série surprenante : intrigante, riche, émouvante et sensible, elle aborde un sujet aussi délicat que les troubles mentaux avec une immense humanité et beaucoup de finesse. C’est tout un univers d’ombre et parfois de lumière, de douleur mais aussi d’espoir, que l’on découvre à travers le regard des patients et des soignants. Et en particulier de Nik, ce personnage incroyable qui nous emporte dans ses fantasmes.
Wakefield.
8 épisodes de 55′ environ.