Annulée après une seule saison, la série Will arrive sur Warner TV. Intrigante, l’idée d’un Shakespeare rock ‘n’ roll dans un XVIème revisité au son des Clash tombe malheureusement à plat.
C’est quoi, Will ? A la fin du XVIème siècle, un jeune tanneur du nom de William Shakespeare (Laurie Davidson) laisse femme et enfants à Stratford pour s’installer à Londres où il espère connaître le succès en tant que dramaturge. Rapidement, il est introduit auprès de James Burbage (le toujours excellent Colm Meaney), directeur d’une compagnie théâtrale. Avec l’aide de la fille de ce dernier, Alice (Olivia DeJonge), qui devient sa muse et dont il tombe amoureux, Will se lance dans la rédaction de pièces historiques ambitieuses. Mais en tant que catholique, Will doit aussi se méfier des autorités protestantes. Entre rêves de gloire, complots et passion amoureuse, le jeune homme découvre les dessous d’une Londres interlope, à la fois sordide et flamboyante, pleine de promesses et de dangers.
Le visionnage de la bande-annonce détrompera immédiatement quiconque s’attendrait à une série historique classique. Will n’en a jamais fait mystère : elle cherche avant tout à revisiter la vie de Shakespeare en la transposant dans un cadre mélangeant époque élisabéthaine et ambiance punk des années 1970. C’est délirant, mais c’est ce qui fait toute son originalité: imaginez un Shakespeare vêtu de cuir dans une Londres décadente et criarde où les prostituées tatouées couvertes de paillettes portent des dreadlocks roses, et où les pickpockets s’enfuient au son des Beastie Boys. C’est à la fois Shakepeare in Love et Moulin Rouge, Still-Star Crossed et The Get Down. Justement, la série a été créée par Craig Pearce, co-auteur des films de Baz Lurhamn (Romeo + Juliet, Moulin Rouge, Gatsby le Magnifique), et il s’inspire clairement de l’univers du réalisateur : explosion de couleurs vibrantes, musique rock tonitruante, costumes glam anachroniques… Le parti pris est audacieux, intriguant, enthousiasmant sur le papier… mais le résultat n’est pas vraiment à la hauteur. Sur la forme, sur le fond, et sur la manière dont les deux aspects se conjuguent, quelque chose ne fonctionne pas totalement dans Will.
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Commençons par la forme. Pleine de bruit, de fureur et de couleurs, Will possède une énergie réjouissante et exaltante. Mais passé l’effet de surprise, le décalage entre l’histoire et la toile de fond anachronique semble totalement incongru. Entendons-nous bien : le procédé est réussi lorsque l’ambiance moderne s’intègre au récit d’époque pour l’enrichir, apporter un éclairage pertinent sur l’époque, l’histoire ou les personnages. Or ici, l’esthétique rock omniprésente semble grossièrement plaquée sur le scénario. La bande-son en est le meilleur exemple : les formidables tubes des Clash, Queen, Lou Reed ou les Sex Pistols tombent comme des aérolites au moment les moins opportuns.
Sur le fond, débarrassons-nous tout de suite de la question de la rigueur historique, inévitable lorsqu’on aborde ce genre de fiction. Avec Shakespeare, le débat a d’autant moins lieu d’être que sa biographie est tellement nébuleuse qu’elle autorise quasiment toute latitude. Globalement cohérente, Will ne s’en prive pas, a fortiori avec son atmosphère décalée et son Shakespeare en rock star sexy. Il est évident qu’on ne se tournera pas vers Will pour un biopic fidèle – à partir du moment où l’auteur se lance dans une rap battle, on comprend bien qu’on dépasse le cadre de la licence qu’autorise la fiction.
Pour le reste, la série est plutôt réussie dans sa construction. Mélangeant plusieurs intrigues variées et bien écrites (belle intrigue amoureuse centrée sur Will, premiers pas sur scène du jeune acteur Richard Burbage, vie de la troupe de théâtre, écriture des pièces, représentations…), la série parvient à les entremêler avec fluidité et à conserver un équilibre. A une exception près : l’intrigue grossière et caricaturale consacrée aux persécutions des catholiques, traqués par de méchants protestants emmenés par le puritain sadique Richard Topcliff (Ewen Bremner), qui torture complaisamment la moitié des personnages. Mais pour le reste, il y a quelques jolies trouvailles dans Will, en particulier dans la manière dont la série se penche sur l’inspiration et le processus créatif du jeune auteur – l’épisode dédié au Songe d’une nuit d’été est formidable.
Cependant, le vrai problème est ailleurs. Le principal défaut de Will… c’est Will. L’interprétation de Laurie Davidson n’est pas en cause, mais le personnage est désespérant de fadeur. C’est un minet terne et naïf à l’air éberlué, pétri de dilemmes moraux qui le rendent particulièrement agaçant. Une série sur Shakespeare qui rend le personnage de Shakespeare inintéressant : avouez que c’est bête… En revanche, la série devient passionnante lorsqu’elle se focalise sur ses personnages secondaires : Richard Burbage (Mattias Inwood) et surtout Christopher Marlowe, auteur de génie contemporain de Shakespeare. Interprété par un Jamie Campbell Bower magnétique, Marlowe devient une icône glam rock bisexuelle sulfureuse, mi-Dorian Gray mi-Marc Bolan. A la fois dramaturge, poète et espion de la couronne (véridique!), c’est un homme submergé par ses démons, qui cherche des réponses partout où il croit pouvoir les trouver – dans la religion, le satanisme, les orgies, la drogue. La construction et l’évolution du personnage sont sans aucun doute la grande réussite de la série, et toutes les scènes où il apparaît sont palpitantes. Au final, on a l’étrange sentiment que Will aurait du s’appeler Chris et parler de Christopher Marlowe…
Un jeune William Shakespeare plongé dans une Londres élisabéthaine revisitée en version punk ? L’idée est séduisante… et la mise en œuvre médiocre. Will est pleine de défauts ; aucun n’est toutefois rédhibitoire et si l’on parvient à faire abstraction de l’incongruité des anachronismes et des faiblesses du scénario, Will est une série divertissante et sympathique. Elle souligne toutefois la pertinence d’une citation de son héros : all that glitters is not gold.
Will – (TNT)
10 épisodes de 45′ environ.
Diffusion sur Warner TV le Mercredi à 20H45.