Retraçant sans concession le drame survenu il y a 35 ans, Chernobyl bouleverse lorsqu’elle se penche sur les drames humains et interpelle par la réflexion qu’elle suscite sur le présent.
C’est quoi, Chernobyl ? Le 26 avril 1986 à 1 h 23, au nord de l’Ukraine, le réacteur n ° 4 de l’usine nucléaire de Tchernobyl explose durant ce qui devait être un simple test de routine. Dans la salle de contrôle où les compteurs s’affolent, le contremaître n’a pourtant pas conscience de la gravité de l’accident. Incrédule, il dépêche ses subalternes au cœur du réacteur sans se douter qu’il les envoie à la mort… Valery Legasov (Jared Harris), brillant physicien, est le premier à alerter les autorités sur l’ampleur de la catastrophe ; il est envoyé sur place avec le vice-Premier ministre Boris Shcherbina (Stellan Skarsgård), chargé de contrôler les dommages et d’en référer aux autorités, qui nient en bloc la gravité de la situation.
La mini-série de Craig Mazin (Scary Movie 3), diffusée en France sur OCS, l’annonce avec son titre : Chernobyl revient sur la catastrophe nucléaire de niveau 7 (le plus élevé) qui a ébranlé le monde entier en 1986. Plus précisément, elle relate en cinq épisodes les heures, les jours et les mois ayant suivi l’événement en racontant les efforts des scientifiques pour en limiter les conséquences, le travail des pompiers et ouvriers qui ont sacrifié leur vie, l’impact sanitaire et écologique sur la population locale, mais aussi la chaîne d’erreurs humaines ayant conduit à ce cataclysme et les tentatives des autorités pour dissimuler la vérité.
Après un bref flash-forward, la série débute au moment de l’explosion dans un premier épisode quasiment en temps réel, avant d’accélérer la narration pour s’achever sur le procès des responsables de la centrale qui s’est tenu à huis-clos en 1987. Entre les deux, la série montre la catastrophe et ses conséquences sous des perspectives différentes : celle des responsables du site, des politiciens, des scientifiques, des sauveteurs, des liquidateurs et des habitants de la ville voisine de Pryp. Au milieu des anonymes émergent trois personnages :Valery Legasov (Jared Harris, toujours formidable), scientifique expert de la commission créée pour faire face à la catastrophe et premier à en comprendre la portée ; Boris Shcherbina (Stellan Skarsgård), vice-président du Conseil des ministres et dirigeant de cette commission, dont la prise de conscience est l’un des moteurs de l’histoire ; enfin Ulana Khomyuk (Emily Watson), physicienne nucléaire et personnage composite fictif que l’actrice définit comme la « représentation des innombrables scientifiques qui se sont mis en danger.»
L’angoisse domine tout au long de la série. Devant l’écran, on ressent un sentiment primitif d’angoisse et d’horreur, comme si nous vivions l’instant avec tous ces personnages qui, contrairement à nous, ignorent ce qui va se passer. Selon Alfred Hitchcock, le vrai suspense ne vient pas des rebondissements mais de l’anticipation de quelque chose de terrible qu’on sait inévitable ; le fait de connaître les événements n’enlève donc pas une once de tension, et le récit vous prend aux tripes sans le moindre répit, en exerçant une sorte de fascination morbide qui vous empêche de quitter l’écran des yeux. Dans l’une des séquences les plus effrayantes, les habitants de Pryp regardent au loin l’incendie, émerveillés par la poussière radioactive qui tombe sur eux comme de la neige.
Sobre voire austère avec sa photographie grise et délavée, sans grands effets ou musique dramatique, Chernobyl raconte parfaitement les événements (notamment lorsque Legasov explique les mécanismes de la fission nucléaire), tout en illustrant le désespoir et la tragédie qui en ont résultés. Reconstruction historique bluffante au point qu’on croirait parfois voir un documentaire, drame humain et thriller politique, c’est aussi une série d’horreur pure, un scénario post-apocalyptique basé sur des faits réels. Il y a ce qu’on nous montre, de manière explicite et parfois à peine soutenable, comme les souffrances des personnes irradiées et la lente agonie des corps brûles dont la chair part en lambeaux. Et il y a ce qu’on suggère : l’atmosphère suffocante au cœur du réacteur ou la froide désolation des zones environnantes, les piles de vêtements contaminés, les oiseaux morts dans une cour d’école, les liquidateurs marchant en silence vers la centrale, les compteurs Geiger qui s’affolent.
Effrayante, la série l’est aussi lorsqu’elle se penche sur la gestion de la crise par les institutions. Dans les bureaux, les responsables nient en bloc la gravité de la catastrophe et refusent même d’en reconnaître l’existence. Certains sont simplement dans le déni, d’autres savent mais cachent l’engrenage d’erreurs humaines et d’incompétences qui ont conduit à la tragédie. Évidemment, on se doute que la série n’a pas été très bien accueillie en Russie, et une série présentant l’histoire d’un autre point de vue est même en préparation… Or, voir dans cette série une critique unilatérale et anti-communiste du système soviétique, c’est passer à côté du propos.
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Chernobyl est une dénonciation d’une corruption idéologique structurelle, dans un système qui se purge des voix discordantes et cherche à maintenir l’illusion du contrôle en étouffant la vérité sous une chape de mensonges. C’est aussi un avertissement, parce qu’elle établit un lien direct avec la vague actuelle de fake news, de mensonges et de manipulations utilisés par certains médias et certains politiciens… Or, la vérité est une bombe à retardement ; comme la centrale de Tchernobyl, elle risque d’exploser à tout instant. Mais à quel prix ?
Chernobyl est un coup de poing dans le ventre, une série crue et perturbante qui provoque à la fois des émotions douloureuses et une réflexion politique. Pénible à regarder, difficile à encaisser, terrifiante dans les souffrances qu’elle montre, elle humanise l’Histoire à travers le destin de ses personnages ; elle pousse aussi à s’interroger sur les manipulations et dissimulations dont, en tant que citoyens, nous sommes susceptibles d’être les victimes. Poignante, terrifiante, intelligente : Chernobyl est magistrale.