Treize ans après la diffusion du dernier épisode, un téléfilm de deux heures met un point final à Deadwood, une série magistrale. Welcome the f*ck back !
C’est quoi, Deadwood (le film) ? Nous sommes en 1889 et les années ont passé, à Deadwood comme ailleurs. Devenu marshall, Seth Bullock (Timothy Olyphant) mène une vie rangée de bon père de famille ; Sol (John Hawkes) et Trixie (Paula Malcolmson) attendent un enfant ; Al Swearengen (Ian McShane) gère toujours le Gem Saloon, mais son état de santé précaire inquiète Doc Cochran (Brad Dourif). L’intégration de Deadwood dans l’état du Dakota du Sud est l’occasion d’une grande célébration, qui ramène notamment sur les lieux Calamity Jane (Robin Weigert) ou Alma Garret (Molly Parker), mais aussi George Hearst,(Gerald McRaney). Désormais sénateur, il compte en profiter pour acheter le terrain de Charlie Utter (Dayton Callie) afin d’y installer des lignes téléphoniques. Le retour de cet homme cruel qui a bouleversé la vie de Deadwood rouvre de vieilles blessures et réveille des tensions et rivalités jamais vraiment éteintes…
Lorsque HBO a annulé Deadwood en 2006 après trois saisons, le dernier épisode était à bien des égards frustrant, laissant des pans de l’histoire en suspens. Si l’on évoquait régulièrement la possibilité d’un film qui clôturerait ce récit inachevé, le projet avait des allures de chimère. Concilier les emplois du temps des acteurs semblait difficile, et on imaginait mal que le film puisse se faire sans David Milch. Or, on connaît la personnalité maniaque et perfectionniste du créateur et showrunner de la série, et sa tendance à ré-écrire continuellement son scénario… Et encore ignorait-on qu’il était atteint de la maladie d’Alzheimer, comme il l’a confié récemment. Pourtant, Deadwood – le film est aujourd’hui devenu réalité. Mieux : diffusé début Juin sur HBO et aujourd’hui disponible sur OCS, ce long-métrage de près de deux heures est une vraie réussite qui ravira les fans.
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Treize ans ont beau s’être écoulés, il suffira d’une poignée de minutes à ceux-là pour retourner à Deadwood et y retrouver les personnages qu’ils ont aimés… ou détestés (et les acteurs exceptionnels qui les incarnent). Dès que Calamity Jane s’arrête au sommet d’une crête pour contempler la ville, les souvenirs affluent et le temps semble presque être aboli. Pour qui n’a jamais vu un seul épisode, il est toutefois envisageable de regarder le film. On y perd quelques subtilités et on passe à côté de certaines allusions, mais l’histoire peut parfaitement se suivre, notamment grâce à de brèves images de la série qui resituent le contexte ou les relations entre les personnages (par exemple, la liaison entre Alma et Bullock).
Par bien des aspects, Deadwood est la même. On replonge dans cette atmosphère familière et cet esprit de pur western sauvage. Tout y est : les lieux que l’on connaît (l’hôtel, le bordel, le saloon) ; les fusillades et règlements de compte sanglants ; les vieilles chansons de l’Ouest au son du piano mécanique ; la corruption et l’intimidation exercées par des puissants sans scrupule. On retrouve aussi une Calamity Jane alcoolique mais émouvante, les « cocksuckers » de M. Wu, les remarques désabusées de Doc Cochran, la soif de vengeance d’une Trixie déterminée, un Seth Bullock droit dans ses bottes. Et ce bon vieux fils de p… de Al Swearengen, avec ses répliques ponctuées de fuck et autres joyeusetés dont la série a fait l’une de ses caractéristiques. Encore la vulgarité est-elle moins marquée ; restent toutefois les réparties spirituelles et souvent drôles, les phrases marquantes et les échanges enlevés. Les 110 minutes sont aussi parcourues de scènes fortes. En vrac : celle où Jane demande conseil à Charlie pour renouer avec Joanie ; le moment où Wu apporte du thé à Al ; la vente aux enchères enfiévrée remportée par Alma ; la scène où Bullock s’attaque à Hearts lorsqu’il cherche à obtenir justice pour Charlie ; le mariage de Trixie…
Mais Deadwood a également changé. Le temps a passé, les personnages ont évolué. Ils sont restés à Deadwood ou y reviennent (comme nous) ; ils ont mûri, ont prospéré, ont fondé une famille ou se sont laissés dépasser par la marche du temps, incapables de s’adapter. Car la ville est entrée dans la modernité, jalonnée de poteaux électriques, desservie par le chemin de fer et les lignes téléphoniques.
Surtout, Deadwood fait désormais partie de l’État du Dakota du Sud (sujet prégnant dans la série). Officiellement intégrée aux États-Unis, la voilà soumise à l’autorité fédérale, à la justice et au droit. Le thème de la naissance de l’Amérique et de la construction d’une civilisation, sous-jacent dans la série, atteint ici son point d’orgue. Deadwood n’est plus une zone de non-droit, il y a maintenant des règles, et il n’y a plus de place pour des brutes implacables et tyranniques comme Al Swearengen. C’est la fin de son règne et – pouvait-il en être autrement ? – c’est donc à lui qu’échoit la parfaite dernière réplique. La neige tombe sur la ville et les ténèbres sur Al Swearengen ; il est l’heure de dire adieu à Deadwood et à tous ses habitants.
Arrêtée brutalement au terme de la troisième saison, Deadwood s’achève treize ans plus tard avec ce film. L’attente en valait la peine. Reprenant l’atmosphère et le ton de la série, voilà une conclusion très satisfaisante et même touchante, qui referme définitivement tous les arcs narratifs et met un terme au parcours chaotique de ses protagonistes. Dénouement de l’histoire, hommage aux personnages et cadeau empreint de nostalgie aux fans : Deadwood – le film fait office d’enterrement de première classe. Notre père qui êtes au Cieux… Non, décidément, laissons-le où il est. Putain, qu’il y reste !