Au terme d’une première saison brillante, avec un parti pris visuel magnifique et audacieux, Euphoria s’impose comme l’une des séries de l’année.
C’est quoi, Euphoria ? Affectée depuis son enfance par des troubles psychologiques, Rue (Zendaya) consomme de la drogue de façon récurrente pour étouffer son anxiété chronique et sa dépression. Après une cure de désintoxication suite à une overdose, l’adolescente rentre chez elle auprès de sa mère (Nika King) et sa sœur (Storm Reid). Mais Rue ne compte pas rester clean, et elle retombe immédiatement dans ses addictions. Autour d’elle, ses camarades de lycée sont aussi en souffrance à des degrés divers et cherchent un exutoire dans des fêtes alcoolisées, la drogue ou le sexe…
C’est sans conteste l’une des séries de l’année : Euphoria, (série de HBO diffusée en France sur OCS ) a rapidement séduit les critiques autant que le public, et ses audiences n’ont cessé de progresser (avec une augmentation de 146% entre le premier et le dernier épisode !) Dès le départ, on sentait que Euphoria était un teen drama différent : une fiction plus sombre, plus agressive et perturbante, originale et inspirée, dont on pressentait les possibilités. Et la série n’a pas déçu, allant même jusqu’à dépasser les attentes, semaine après semaine.
Bien au-delà des scènes explicites qui ont fait parler d’elle et du nombre de pénis à l’écran, la série créée et réalisée par Sam Levinson est un choc, à plus d’un titre. Un choc visuel, pour commencer. Avec sa bande-son puissante signée par le britannique Labyrinth et son parti pris esthétique, Euphoria a créé un style unique. Jouant sur les couleurs, la lumière et les mouvements de caméra, elle instaure une atmosphère envoûtante, presque kaléidoscopique, qui sublime chaque épisode. A titre d’exemple, on citera toutes les scènes de la fête foraine (épisode 5) ou les fantasmes et trips de Rue, qui déforme les faits et plonge dans des délires hallucinés à cause des drogues qu’elle consomme.
Ces images extraordinaires, la série s’en sert pour construire un récit dense, intense, aussi passionnant que douloureux à suivre. Globalement, les épisodes reposent sur une structure similaire : un montage de plusieurs minutes, porté par la voix off de Rue, dessine le portrait d’un des protagonistes ; le récit bascule au présent, en mêlant les points de vue et les histoires des personnages; s’insèrent au milieu des séquences oniriques ou atmosphériques. Au cours des huit épisodes, on découvre ainsi successivement les traumatismes de Rue, Jules, Nate, Maddie, Kat, Chris, Cassie… et on sonde leur personnalité et leur mal-être à travers leurs expériences et leurs comportements, le spectateur s’immergeant peu à peu dans leur vécu.
Tous les personnages affrontent des problématiques distinctes ; à y regarder de plus près, ils ne sont pourtant pas si différents les uns des autres. Au bord de l’abîme, avec une faible estime d’eux-mêmes, ils souffrent d’anxiété et d’insécurité, subissent la pression sociale ou familiale. Et tous ont besoin de contrôler quelque chose – leurs émotions, leur couple, leurs pulsions ou leurs corps – et tentent de le faire par des comportements autodestructeurs (sexe, alcool, drogue, violence) qui, tragiquement, ne font qu’aggraver la situation : l’addiction de Rue, les rapports d’une nuit de Jules avec des hommes plus âgés, la relation toxique de Nate et Maddie, la sexualité de Kat ou Cassie.
Brutale dans ce qu’elle montre, Euphoria est une série sombre, aux scènes souvent dérangeantes – pensons à l’agression de Maddie, l’overdose de Rue en début de saison, la crise de nerfs de Nate. C’est aussi une série touchante, pleine d’acuité lorsqu’elle analyse certains mécanismes psychologiques (l’auto-mutilation, la masculinité toxique, les relations familiales, la recherche d’une identité à travers le sexe). Malgré la lourdeur des sujets abordés, elle sait aussi se montrer étonnamment drôle (les remarques désenchantées mais lucides de Rue, le cours magistral sur les dick pics, la séquence où elle se fantasme en enquêtrice) et même empreinte d’une légère touche d’optimisme, comme dans le dernier épisode où certains personnages féminins tentent de rompre avec leurs anciennes habitudes ou comportements.
Certes, Euphoria grossit le trait, exagère (espérons-le !) le vécu des adolescents. Mais elle saisit aussi quelque chose de cet âge de doutes où joies et souffrances sont exacerbées, où l’on se cherche et où l’on évolue sans avoir encore renoncé à ses rêves – comme le montre le superbe échange des héroïnes, lors du bal de promo. Et l’empathie avec les personnages est d’autant plus facile que tous les acteurs sont brillants. Citons par exemple Jacob Elordi (dans le rôle extrêmement délicat de Nate) ou Barbie Ferreira (le superbe personnage de Kat.)
On retiendra toutefois plus particulièrement les noms de Zendaya (Rue) et Hunter Schafer (Jules). D’abord, parce que les deux actrices possèdent un charisme fou et incarnent à merveille leur personnage respectif ; ensuite parce que leur relation, entre amour / amitié et soutien inconditionnel, est l’un des moteurs de l’histoire et certainement l’un des aspects les plus touchants de la série, de la première à la dernière scène. Une dernière scène à voir ci-dessous (attention, spoilers) qui est à l’image de la saison : une magnifique chorégraphie au son de All For Us, bouleversante, fascinante et absolument sublime à regarder. Nous n’en dirons pas davantage, d’autant que tout l’intérêt de cette dernière séquence réside dans les différentes interprétations qu’on peut en faire…
Sans surprise, HBO a renouvelé Euphoria pour une deuxième saison – indispensable, ne serait-ce que parce que le dernier épisode laisse plusieurs arcs narratifs en attente de résolution et s’achève sur une scène sujette à interprétation. Mais aussi parce que Euphoria est un peu plus qu’une série : c’est une histoire choquante et émouvante, et c’est aussi quasiment une expérience. Un voyage sous psychotropes entre trips enivrants et recrudescentes brutales, vécu à travers les yeux d’adolescents en souffrance dont elle fait entendre la voix.