A l’approche de la diffusion de la quatrième et dernière saison de Halt and Catch Fire, retour sur une série injustement méconnue.
C’est quoi, Halt and catch fire ? Au début des années 1980, Joe MacMillan (Lee Pace), ex d’IBM, a fondé sa propre entreprise et tente de créer le premier ordinateur portable. Plus versé dans les relations publiques que dans la programmation, il contacte Gordon Clark (Scott McNairy), ingénieur visionnaire mais dont le talent n’est pas exploité, et Cameron Howe (Mackenzie Davis), jeune informaticienne rebelle. En s’inspirant des produits de la concurrence, ils vont tenter de mener à bien ce projet complexe. Mais tandis que le secteur de l’informatique est en pleine expansion et révolutionne le monde moderne, les problèmes personnels et les rivalités vont mettre à mal leur collaboration.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, sans doute convient-il d’éclaircir un point important : qu’est-ce que ça veut dire, Halt and catch fire ? N’entrons pas dans des détails techniques abscons pour tous ceux qui, comme l’auteure de ces lignes, n’ont jamais dépassé le stade du ctrl+alt+suppr : l’expression désigne un bug informatique supposé qui, sur les premiers IBM, provoquait une surchauffe bloquant le processeur. Voilà le premier coup de génie de la série : un titre auquel on ne comprend rien, qui parle déjà du cadre de l’informatique et du parcours des personnages, qui ne cessent de se réinventer au fil de leurs échecs successifs. Mais n’anticipons pas…
La série s’inscrit dans une période charnière : le début des années 1980, où l’informatique se tourne vers le grand public et où des ingénieurs inspirés et individualistes inventent de nouvelles technologies au sein de petites structures indépendantes. C’est le début d’Apple , les balbutiements d’internet et des réseaux sociaux, les premiers pas des jeux en ligne. Joe MacMillan se lance en solo pour créer le premier ordinateur portable. Sans les compétences techniques nécessaires, il se rapproche de Gordon Clark, brillant ingénieur psychologiquement instable qui accumule les échecs professionnels. Également sollicitée, la punkette asociale mais programmatrice de génie Cameron Howe finit par embarquer dans l’aventure. Le trio sera rejoint ultérieurement par l’épouse de Gordon, Donna (Kerri Brishé), qui s’est consacrée à son foyer après une formation d’ingénieur, et John Bosworth (Toby Huss), commercial truculent capable de vendre n’importe quoi à n’importe qui.
A lire aussi : Halt and catch fire, les pionniers de l’informatique
Diffusée en 2015, la première saison se centrait sur le tandem MacMillan / Clark, l’histoire se focalisant sur la relation entre les deux hommes et avec leurs partenaires respectives. D’un côté se noue une liaison passionnée mais vouée à l’échec entre Joe et Cameron ; de l’autre, Gordon s’implique totalement dans le projet au point de négliger sa famille. Bien écrite, la série manque toutefois de nerf, avec des intrigues correctes mais sans réel relief. En revanche, elle se distingue déjà par des acteurs formidables (et particulièrement Mackenzie David) et surtout l’ambiance des années 1980 qui lui servent de cadre : informatique désuète (Ah, le bon vieux sifflement d’un modem qui met des plombes à se connecter !) , problématiques sociales de l’époque, esthétique, et bien sûr bande son punk et new wave, jubilatoire (Dinosaur Jr., Bad Religion, Echo and the Bunnymen, Siouxsie and The Banshees, ou Cocteau Twins)
En saison 2, la série redémarre en mode sans échec. L’action reprend un an et demi plus tard, en 1985. S’étant éloignées de MacMillan, Donna et Cameron unissent leurs forces pour développer une nouvelle entreprise : Mutiny. Ce qui n’est au départ qu’une plate-forme de jeux en ligne va évoluer pour devenir un monde virtuel, embryon de réseau social. Joe poursuit son parcours en solitaire, Gordon se consacre à ses enfants tandis que sa femme travaille. Halt and catch fire se réinvente en donnant plus d’ampleur aux rôles féminins et en bouleversant des relations de plus en plus complexes entre ses personnages. MacMillan, plus vulnérable, doit choisir entre réussite professionnelle et impératifs moraux ; Gordon lutte contre une maladie mentale qui met en péril sa carrière et sa vie familiale ; Donna prend son envol dans un univers dominé par les hommes ; Cameron se cherche, entre ses déconvenues sentimentales et la perte de contrôle sur son entreprise.
Certes, la série nous parle toujours de cette époque passionnante, où une informatique en pleine expansion est sur le point de révolutionner nos vies grâce à des hommes et des femmes brillants qui ont encore tout à inventer. Et si l’on ne nous épargne pas des termes techniques incompréhensibles pour les béotiens, on s’en fiche ! Tout comme on se fichait de ne rien comprendre au jargon médical du Dr House… Car l’essentiel repose sur les relations qui se font et se défont, au gré des alliances, des collaborations et des trahisons. Chacun doit faire face à des situations particulières, pour décider au final quel prix il est prêt à payer pour concrétiser un rêve ou rester fidèle à des idéaux. Le tout dans une atmosphère d’ébullition permanente faite d’excitation, d’enthousiasme et d’émulation, mais aussi de rivalité, de déception et d’amertume, ressenties d’autant plus durement que nos héros (en particulier Cameron) ont du mal à assumer des sentiments qui, à leur grand désespoir, sont impossibles à coder en 0 et en 1…
Dans la saison 3, l’action se déplace à San Francisco et s’étend jusqu’aux années 1990. On s’intéresse à Joe, une nouvelle fois obligé de se réinventer en partant de zéro, et surtout au devenir de Mutiny, que Cameron dirige conjointement avec Donna. La tension entre les deux femmes est l’un des principaux ressorts de l’action, alors qu’elles doivent relever de multiples défis pour assurer leur expansion. Et tandis que chacun prend des décisions personnelles et professionnelles délicates, on assiste à la naissance des ancêtres d’EBay, Amazon ou Facebook. La série maintient la qualité de la saison précédente, avec des arcs narratifs bien construits et aboutis, mêlant avec fluidité l’aspect technique et la dynamique relationnelle et faisant monter la tension crescendo au fil des épisodes. On n’en dira pas davantage : il vous reste quelques jours pour vous connecter avant de découvrir la suite… et la fin.
Halt and Catch fire est un peu lente au démarrage : malgré une saison 1 plus que correcte, il faut attendre la saison 2 pour que le feu prenne vraiment. Déplaçant subtilement son centre de gravité, la série gagne en profondeur et en intensité, en approfondissant la dynamique relationnelle dans le cadre, ésotérique mais néanmoins passionnant, d’une véritable révolution informatique. La saison 4 sera la dernière : il reste donc 10 épisodes à Halt and Catch Fire pour conclure en beauté. Et sans bug, s’il vous plaît…
Halt and catch fire – AMC
Saison 4 à partir du 23 Août sur Canal Plus Séries.