Ryan Murphy réécrit l’histoire du Hollywood des années 1950, dans une réalité alternative optimiste et inclusive.
C’est quoi, Hollywood ? Au lendemain de la seconde guerre mondiale, Jack Castello (David Corenswet) rêve de faire carrière dans le cinéma. En attendant, il travaille dans la station service de Ernie (Dylan McDermott), où les jeunes et beaux pompistes remplissent les réservoirs des client(e)s… et comblent les désirs sexuels. Jack va rencontrer plusieurs jeunes gens qui, comme lui, veulent percer à Hollywood : Archie (Jeremy Pope), un scénariste gay et afro-américain ; un aspirant-acteur du nom de Roy Fitzgerald (Jake Picking) ; un jeune réalisateur métis, Raymond (Darren Criss) en couple avec Camille (Laura Harrier), une afro-américaine cantonnée aux rôles d’employées de maison. Ensemble, ils vont se battre contre les préjugés et la discrimination pour porter à l’écran l’histoire de Peg Entwistle, une actrice qui s’est suicidée en se jetant du haut du panneau Hollywood.
Créateur des séries Glee, Nip / Tuck, American Horror Story ou Pose (entre autres), Ryan Murphy a signé en 2018 un juteux contrat d’exclusivité avec Netflix. Après sa satire politique et baroque intitulée The Politician , il livre aujourd’hui sa deuxième série pour la plate-forme : Hollywood. Une mini-série de 7 épisodes qui suit le parcours d’un groupe de jeunes gens en quête de gloire dans le cinéma des années 1950. L’histoire a priori classique de ces outsiders venus chercher le succès à Hollywood réunit un casting alléchant avec des acteurs récurrents dans les séries de Murphy (comme Darren Criss ou le génial Dylan McDermott) et d’autres visages bien connus (Jim Parson, Queen Latifah, Patty Lupone, Paget Brewster).
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Murphy s’était déjà intéressé au monde du cinéma avec Feud, centrée sur la rivalité entre Bette Davis et Joan Crawford. Mais dans cette série flamboyante, il s’appuyait sur des faits réels alors qu’ici, la narration bascule rapidement dans une sorte de fantaisie qui s’éloigne de la réalité. Ne vous laissez pas abuser par le titre, par la reconstitution de l’époque (avec les lieux mythiques, les costumes vintage et la musique jazz) ou par les noms que vous croiserez au fil des épisodes (Vivien Leigh, Hattie McDaniel, l’actrice sino-américaine Anna May Wong, le compositeur Cole Porter, le réalisateur Cecil B. De Mille ou encore l’agent Henry Willson interprété par un Jim Parson surprenant). Et si Roy Fitzgerald alias le futur Rock Hudson est l’un des personnages principaux, ses acolytes sont pour la plupart fictifs, bien que créés à partir de figures authentiques (Ernie, par exemple est basé sur un certain Scotty Bowers , surnommé le « proxénète des stars et la star des proxénètes»).
Loin de la fresque sur l’âge d’or des grands studios, Hollywood nous offre une réécriture à la fois cynique et utopique. Cynique, parce que c’est un Hollywood dominé par des prédateurs sexuels et des mégalomane pervers ; utopique parce que paradoxalement, ce Hollywood va se révéler bien meilleur qu’il ne l’était, avec une poignée de personnages qui vont produire un film à succès mettant en vedette une actrice noire, écrit par un scénariste noir et gay, distribué par un studio dirigé par une femme. Ils vont ainsi battre en brèche le racisme, l’homophobie, le sexisme et le harcèlement sexuel.
Les deux premiers épisodes peuvent laisser perplexe. Ils sont loin d’être mauvais, mais l’histoire ne trouve pas immédiatement son rythme, ne prend pas d’emblée toute son ampleur et toute sa puissance émotionnelle et il faut du temps pour s’attacher aux personnages. L’entrée en matière est surtout déroutante dans la mesure où il faut prendre ses marques dans ce mélange constant entre fantasme et faits, et il est parfois difficile de savoir ce qui relève de la fiction et ce qui appartient à la réalité. Tel personnage a-t-il vraiment existé (ça dépend), les fêtes de George Cukor étaient-elles aussi décadentes que ça (oh oui, elles l’étaient), Tallulah Bankhead et Hattie McDaniel ont-elles eu une liaison (probablement) ?
Pour autant, on finit par se laisser emporter par cette histoire à la fois intrigante, divertissante et émouvante. Et ce qui frappe tout de suite, c’est le côté sordide que dépeint Hollywood : l’homosexualité qui doit rester cachée , les réseaux de prostitution, la discrimination raciale, le harcèlement sexuel, les abus de pouvoir, la misogynie. Il y a du glamour, des strass et des paillettes… et quelque chose de beaucoup plus sombre en coulisses.
Si Hollywood insiste (lourdement) sur cet aspect, c’est pour mieux le détruire en basculant dans le fiction. Elle donne alors les moyens à ses personnages de se rebeller et de révolutionner l’industrie, de contester les préjugés armés seulement de leur courage et de leur foi inébranlable en leurs rêves, et avec l’aide d’une poignée de visionnaires.
Il n’en fut pas ainsi ; c’est pourtant ce que propose Hollywood. Entre mise en abîme, réinvention de la réalité, outrance, critique sociale et références classiques, la série qui est déjà divertissante devient alors une sorte de conte de fées alternatif pervers et subversif, et elle construit un autre monde jusqu’à un happy end très… hollywoodien. Comme le font d’ailleurs ses personnages en portant à l’écran l’histoire vraie de Peg Enwistle, jeune actrice broyée par la machine à rêves qu’est Hollywood.
Hollywood mêle réalité et fiction pour permettre à ses personnages de réaliser leur rêve et de surmonter les obstacles qui jalonnent leur parcours dans l’industrie cinématographique des années 1950. Selon Orson Welles, « tout ce qu’on raconte sur Hollywood est vrai, même les mensonges », et Ryan Murphy réécrit et réinvente l’histoire (la vraie) par la biais de la fiction. C’est un monde utopique d’acceptation, de tolérance et de diversité qui n’a pas existé et qui n’existe pas encore tout à fait… La série le rend possible dans ce rêve d’un Hollywood métamorphosé par une poignée de héros audacieux, transgressifs et courageux.