A la fois comédie, drama et thriller, la série d’Amazon Patriot continue de se distinguer par son originalité et embarque le spectateur dans un voyage délicieusement improbable.
C’est quoi, Patriot (saison 2) ? L’agent secret John Tavner (Michael Dorman) avait une mission : apporter à un contact luxembourgeois une valise contenant 11 millions d’euros, afin d’influencer les élections présidentielles iraniennes. Ayant perdu l’argent, confronté à des ennemis aussi redoutables qu’excentriques, traqué par une inspectrice de police, entouré d’incapables et de plus en plus dépressif, John a lamentablement échoué. Son père Tom (Terry O’Quinn), par ailleurs chef des services secrets, reprend alors les choses en mains avec un nouveau plan : l’assassinat du candidat iranien favorable au programme nucléaire, lors d’un sommet à Paris…
Dix-huit mois après la diffusion d’une première saison atypique et enthousiasmante, Patriot revient poursuivre l’histoire de John Tavner, espion américain dépressif. Avec une saison 2 plus courte (à la fois par le nombre et la longueur des épisodes), la série de Steven Conrad maintient le même niveau de qualité et la même originalité – avec, au passage, un nouveau générique rythmé par le génial Sure Shot des Beastie Boys.
L’action reprend exactement où on s’était arrêté. C’est-à-dire sur un quai de gare, où John doit faire un choix cornélien : récupérer l’argent perdu, ou l’abandonner à la commissaire Agathe (Aliette Opheim) pour aller libérer son frère, incarcéré après s’être présenté nu dans un commissariat… Dans le même temps, le père de John échafaude un nouveau plan : il charge son fils de tuer le candidat à la présidentielle iranienne favorable au nucléaire, lors d’un sommet à Paris. John peut compter sur de nouveaux alliés, comme son meilleur ami autoproclamé Dennis (Chris Conrad), son ex-femme Alice (Kathleen Munroe) ou sa mère et haute personnalité du gouvernement américain (Debra Winger) ; mais de nouveaux adversaires se mettent aussi en travers de sa route, dont un trio de flics aux airs de pieds nickelés ou un inspecteur français prétentieux. Entre désir de liberté, fidélité familiale et devoir envers la patrie, John accumule les erreurs et sombre encore davantage dans la dépression. Et évoque toujours ses déboires dans des chansons folk délirantes qui illustrent ce qui passe à l’écran et dans sa tête, parlent des secrets d’état… et de doigts amputés !
Ça va, vous êtes toujours là ?! Alors accrochez-vous. Pour résumer, Patriot est impossible à résumer. Pas seulement à cause de l’intrigue, mais aussi en raison de sa mise en œuvre. Avec huit épisodes se déroulant presque exclusivement à Paris, ce nouveau chapitre de l’histoire de John mélange drama, thriller d’espionnage et comédie absurde avec la même conviction et la même habileté. C’est violent, rythmé, triste, lent, émouvant, ridicule, hilarant. Plus sombre que la plupart des dramas, plus drôle que la plupart des comédies. Un mix de Homeland, Jack Ryan, Killing Eve, Kidding et Fargo. ; un amalgame de séquences dramatiques et de moments plus légers, de scènes d’action haletantes et de discussions totalement stériles.
Parsemée de nombreux flash-back, flash-foward et digressions, avec une imbrication constante de tons, de personnages et d’intrigues, la narration est toujours aussi difficile à suivre. C’est presque une expérience en soi, et il convient d’aborder Patriot en gardant l’esprit ouvert pour en apprécier toute sa stimulante étrangeté. L’effort est largement récompensé : Patriot jongle avec tous ces éléments et embrasse avec la même fluidité un vrai suspense et une réelle violence dans le thriller d’espionnage, un surréalisme déconcertant dans certains arcs narratifs, un humour fait de situations grotesques et d’ironie acerbe, une dualité magnifique avec un héros tragi-comique aussi touchant que ridicule.
Steven Conrad, qui a écrit et réalisé tous les épisodes, ne cesse de se jouer des codes : il détourne les lieux les plus romantiques de Paris pour en faire le cadre froid et triste de son intrigue, frôle la parodie lorsqu’une chanson de John sert de bande-son à la tentative d’assassinat du candidat iranien, désamorce constamment la tragédie grâce aux réactions délirantes de ses personnages (la virée nocturne dans la capitale est hallucinante), déconstruit le mythe du super-espion lorsque John est consolé par sa mère. Même le titre est à prendre à contre-pied : James Bond d’opérette, John est finalement un patriote sacrifié, qui renonce au bonheur et se trouve confronté à l’impossibilité de choisir son propre destin, emporté dans une spirale autodestructrice au nom de la raison d’état, au service d’une Amérique en plein déclin.
Si tous les acteurs sont excellents (notamment Terry O’Quinn), on reste avant tout fasciné par Michael Dorman. Vrai caméléon, il est aussi à l’aise dans le rôle du chanteur folk et du loser hilarant que dans celui de « l’homme triste en costume », blessé autant physiquement au cours de sa mission que psychologiquement par la perversité de ses rapports familiaux. L’ultime scène (qui laisse envisager une suite, mais pourrait tout aussi bien servir de conclusion définitive) est étrangement cathartique :elle se referme sur le regard d’un John fatigué et détruit, mais qui voit s’ouvrir devant lui la possibilité d’un nouveau départ. Et on est bien embêté : d’un côté, c’est tout ce qu’on souhaite à ce personnage attachant ; de l’autre, on espère bien le voir reprendre du service dans une troisième saison.
Cette nouvelle saison de Patriot suit à nouveau son héros, espion dépressif et chanteur folk à ses heures, pour le plonger dans une situation encore plus inextricable. Vrai thriller d’espionnage, vrai drama et vraie comédie, c’est une série exigeante car elle demeure complexe et déstabilisante. Que l’on adhère ou pas à son style atypique, elle vaut en tous cas le coup d’œil : Patriot est définitivement unique en son genre.
Patriot (Amazon Prime)
Saison 2 – 8 épisodes de 50′ environ.
Disponible depuis le 9 Novembre 2018.