Après Downton Abbey, Julian Fellowes nous raconte une période charnière des débuts du football dans The English Game, entre faits historiques et fiction romanesque.
C’est quoi, The English game ? En 1879, les Écossais Fergus Suter (Kevin Guthrie) et son ami Jimmy Love (James Harkness) sont recrutés par le club de football anglais du Darwen FC. Composée de travailleurs d’une usine textile, l’équipe espère se qualifier pour les demi-finales du championnat – ce qu’aucun club de la classe ouvrière n’a jamais fait. Le football est alors dominé par les aristocrates, qui sont à la tête des instances dirigeantes. Parmi eux Arthur Kinnaird (Edward Holcroft), marié à Alma (Charlotte Hope) et sur le point d’avoir un enfant, est lui-même le joueur vedette des Old Etonians. La rivalité sur le terrain s’accompagne de mouvements sociaux, mais aussi de la vie privée des joueurs, entre amitié et rivalité, loyauté et trahisons.
Mini-série de six épisodes disponible sur Netflix, The English Game est la nouvelle série de Julian Fellowes, le créateur de Downton Abbey. Pour nous raconter les débuts du football en Angleterre à la fin du XIXème siècle, la série s’appuie sur des événements et personnages réels, mais s’accorde la liberté qu’offrent la fiction et les zones d’ombre de l’Histoire officielle pour accroître la portée dramatique du récit.
The English game se concentre principalement sur le parcours de Fergus Suter et Jimmy Love, deux footballeurs Écossais qui ont commencé leur carrière au sein du Scottish Partick avant de jouer en Angleterre pour l’équipe de Darwen (en fait, Love a été engagé avant Suter). Dans la fiction, ils rejoignent ensuite les Blackburn Rovers ; en réalité, on ignore si c’est le cas de Love dont on perd la trace, et la série imagine alors ce qui a pu lui arriver. On suit aussi le personnage de Arthur Kinnaird, un Lord travaillant dans la banque familiale et surtout un brillant joueur, qui deviendra plus tard président de la ligue de football anglaise.
Les fans de football trouveront évidemment un intérêt particulier à The English game. Les scènes sur le terrain sont plutôt réussies et placent le spectateur au cœur de l’action ; la série s’intéresse à des aspects techniques, avec la mise en œuvre d’une tactique moins frontale et plus défensive ou l’apparition des passes aériennes.
The English game consacre aussi une partie de son intrigue à la question de la professionnalisation du sport. Jusque là, les joueurs n’étaient pas payés – issus des classes aisées, ils n’avaient pas besoin de salaire. Mais lorsque des équipes formées par des ouvriers ont été créées, certains ont avancé l’idée d’une rémunération – en totale violation des règles alors édictées par la ligue. Et Fergus Suter, héros de la série, est considéré comme le premier footballeur professionnel de l’Histoire.
Cela dit, même si vous n’êtes pas un adepte du ballon rond, The English game vaut la peine que vous lui donniez une chance. D’abord, pour le soin accordé à l’esthétique, avec décors et costumes d’époque, qui contribuent à recréer cette atmosphère du XIXème siècle, entre intérieurs cossus, usines et quartiers prolétaires. Mais surtout parce que si le football occupe une grande place, il sert aussi de prétexte pour se focaliser sur les relations entre les protagonistes et aborder bien d’autres sujets : honneur et loyauté, appât du gain et sacrifice, amitié et trahisons, romance et lutte des classes.
Le principal défaut de la série vient sans doute des intrigues secondaires amoureuses ou familiales. Qu’il s’agisse de la romance de Love avec la serveuse Martha (Niamh Walsh), des tensions entre Kinnaird et son père (Anthony Andrews ), des rapports familiaux complexes de Suter qui tente d’aider sa mère et sa sœur de fuir un père tyrannique, et surtout de l’arc narratif autour du personnage de Betsy et son bébé, aucune ne suscite vraiment l’émotion. Maladroitement intégrées à l’histoire centrale, elles restent finalement anecdotiques voire superfétatoires.
En revanche, The English Game est beaucoup plus intéressante lorsque ce qui commence comme une série sur le football devient une fresque sociale avec ces travailleurs défendant leurs droits face aux baisses de salaires, malgré la prise de conscience de certains de leurs employeurs (Kinnaird, notamment) L’image est parfois caricaturale, avec des personnages entiers et sans zones de gris, mais on se rapproche quand même d’une sorte de récit à la Germinal qui mêlerait compétition sportive et lutte des ouvriers du textile.
C’est sur le sport que se cristallisent les conflits sociaux, lorsque se créent des clubs dans les quartiers les plus pauvres, face aux équipes de la gentry et de l’aristocratie. Dans un contexte de crise économique, un football élitiste se répand parmi une population plus modeste et offre aux ouvriers un moyen de s’évader d’un quotidien difficile, de se retrouver autour d’une équipe qui les venge sur le terrain.
The English game raconte aussi une période charnière dans l’Histoire du football, dont on voit encore les répercussions aujourd’hui : la professionnalisation des joueurs, cette rivalité toujours prégnante entre clubs de prolétaires et équipes associées aux plus riches (par exemple, dans l’opposition entre les supporters de Manchester City et de United), ou simplement l’engouement autour de ce sport. Mais croyez-en quelqu’un qui ne comprend toujours pas la règle du hors-jeu : qu’on soit fan de football ou non, The English Game ne manque pas d’attrait.
Série historique telle que les Anglais savent si bien les faire, The English game souffre d’intrigues secondaires un peu faibles mais s’avère plus convaincante dans la manière dont elle exploite le contexte des débuts du football au XIXème siècle pour dessiner une fresque sociale. Entre professionnalisation des joueurs et démocratisation du sport, le football est le prolongement sur le terrain de la lutte des ouvriers pour leurs droits. Filons la métaphore footballistique : le jeu de Fellowes n’est pas parfait, mais c’est quand même un beau match.