Russell Crowe incarne, dans The Loudest, Voice Roger Ailes, président de Fox News dont la carrière a été anéantie suite à des accusations d’agressions sexuelles.
C’est quoi, The Loudest Voice ? En 1996, le consultant politique Roger Ailes (Russell Crowe) est contacté par le puissant homme d’affaires Rupert Murdoch qui lui confie la direction de Fox News. Entre les mains de Ailes, cette nouvelle chaîne d’information délivre un point de vue conservateur ; elle s’écarte de l’éthique journalistique en s’appuyant sur la manipulation de l’information et le sensationnalisme, et elle surpasse rapidement CNN. Mais Ailes est un personnage sulfureux : outre le parti pris qu’il impose au sein de la chaîne et ses méthodes discutables, le magnat est accusé de harcèlement sexuel…
1996 : Roger Ailes devient le premier PDG de la toute jeune chaîne Fox News, créée par Robert Murdoch, Génie de la communication, Ailes va faire du réseau d’information un outil au service de ses opinions politiques conservatrices. Magnat tout-puissant, aussi adulé que détesté, il règne sur la chaîne en véritable despote. Jusqu’à ce que son Empire s’effondre à la suite des accusations de harcèlement sexuel.
Deux ans après la mort de Roger Ailes, artisan du succès de Fox News, The Loudest Voice (sur Showtime aux États-Unis et en France sur Canal Plus) retrace les moments les plus emblématiques de sa carrière et raconte son ascension et sa chute, d’après le livre éponyme du journaliste Gabriel Sherman. La série commence avec sa mort en 2017 et remonte vingt ans en arrière, chacun des sept épisodes retraçant alors une année de sa vie : sa nomination à la tête de la toute jeune Fox News, l’essor de la chaîne au moment des attentats du 11 Septembre et de la guerre en Irak, ses prises de position contre Obama puis en faveur de Trump, et enfin sa démission.
Ailes est interprété par un Russell Crowe méconnaissable, métamorphosé par des prothèses. Au-delà de la transformation physique (qui apparaît du reste parfois un peu artificielle), l’acteur est fantastique dans la peau de ce type détestable, terrifiant mais aussi fascinant ; il interprète magnifiquement cet homme brillant et visionnaire, mais mégalomane, misogyne et qui ne recule devant rien.
The Loudest Voice est précisément terrifiante dans la manière dont elle montre comment un homme est parvenu à faire d’une chaîne d’information un outil de… désinformation, un instrument de manipulation des masses, voire de propagande. Expert en communication, conseiller auprès d’hommes politiques (dont Nixon, Reagan… ou Jacques Chirac en 1995), il a transformé la chaîne en tribune pour manipuler l’opinion et imposer ses idées ultra-conservatrices. Fake news, allégations, rumeurs, propos sortis de leur contexte ou même inventés… Ailes est parvenu à introduire une approche dévoyée de la notion d’information au service de sa vision de la politique. Et il a ainsi favorisé la réélection de George W. Bush, justifié la guerre américaine au Moyen-Orient après le 11 Septembre, dégradé l’image de Barack « Hussein » Obama par des allusions racistes, contribué à porter Trump au pouvoir. Roger Ailes est une des raisons expliquant l’essor du Tea Party et la renaissance du parti républicain.
Le second aspect de la vie de Ailes repose sur son comportement de prédateur sexuel. C’était un secret de polichinelle : il abusait de sa position pour satisfaire sa libido, faisait pression sur les femmes de son entourage professionnel en promettant de faire leur carrière ou en menaçant de la défaire. Il se livre à des attouchements sur la journaliste Gretchen Carlson (Naomi Watts) ou contraint sa collaboratrice Laurie Luhn (Annabelle Wallis) à pratiquer une fellation. En marge du harcèlement et des actes sexuels coercitifs, c’est aussi une culture d’entreprise et une misogynie latente qui sont mises en cause – lorsque Ailes fustige la même journaliste qui s’est montrée à l’écran sans maquillage, critiquant ses « conneries de fémi-nazi ».
Et c’est Carlson qui portera les premières accusations, libérera la parole des autres victimes et conduira à une action judiciaire – puis à la démission de Ailes. Si ce dernier a toujours nié, son cas n’en est pas moins pertinent parce qu’il marque le point de départ d’une série de révélations sur le harcèlement sexuel au sein de grandes sociétés médiatiques ; la chute de Ailes précède celles de Harvey Weinstein ou du président de CBS (société mère de Showtime…) Leslie Moonves.
En montrant l’instrumentalisation de Fox News et la violence sexuelle de Ailes, The Loudest Voice se révèle brutale, choquante et effarante. Mais – et c’est peut-être le reproche que l’on peut faire à la série – elle trace un portrait de Ailes à travers le « comment » au détriment du « pourquoi ». C’est-à-dire qu’elle montre que son comportement de prédateur assouvit une soif de domination, qu’il néglige sa femme (Sienna Miller), que sa démarche propagandiste est motivée par sa haine de la gauche, son racisme, sa peur du déclassement et une forme de paranoïa… Par contre, l’origine de ces motivations n’est jamais clairement abordée. Ce choix enlève certainement des nuances au personnage ; reste cependant un homme indéniablement sincère dans ses convictions, admirable dans son génie et détestable dans tout le reste…
Roger Ailes donne la clé de Fox News lorsqu’il affirme dans le premier épisode : « Les gens veulent voir leurs croyances réaffirmées et amplifiées (…) ; les gens ne veulent pas être informés, ils veulent avoir le sentiment d’être informés » Fort de cette idée, le magnat des médias a fait de la chaîne l’un des outils de propagande les plus efficaces de l’ère contemporaine, et a influé sur l’Histoire des États-Unis (et donc du monde) en imposant au public sa vision politique. The Loudest Voice raconte l’ascension fulgurante de cet homme – et sa chute, à cause des accusations de harcèlement et agressions sexuelles dont il a fait l’objet. Sans concession et sans nuance, le récit est passionnant, peut-être d’autant plus fort et édifiant.