En racontant l’obsession amoureuse d’un psychopathe, You détourne les codes de la comédie romantique pour en tirer un thriller psychologique original.
C’est quoi, You ? Propriétaire d’une vieille librairie new-yorkaise et passionné de littérature, Joe Goldberg (Penn Badgley ) rencontre par hasard Beck (Elisabeth Lail), lectrice aspirant à devenir écrivain. Lorsqu’elle pousse la porte de sa boutique, il devient immédiatement obsédé par la jeune et jolie blonde. Il commence à la suivre, l’espionne sur les réseaux sociaux, épie ses moindres faits et gestes. Persuadé qu’elle est la femme parfaite, et qu’il est l’homme idéal pour elle, Joe est déterminé à entrer dans sa vie. Et il est prêt à tout – vraiment tout – pour y parvenir…
C’est le producteur Greg Berlanti (à qui l’on doit notamment Riverdale et tout le Arrowverse) qui s’est emparé de You (Parfaite, en français), best-seller publié en 2014 par Caroline Kepnes, pour en tirer une série. Écrite par Sera Gamble (scénariste sur les sept premières saisons de Supernatural et showrunner de The Magicians), la première saison a d’abord été diffusée sur Lifetime avant d’être reprise par Netflix. A noter qu’une deuxième saison a d’ores-et-déjà été commandée : elle se déroulera à Los Angeles et sera basée sur Hidden Bodies, suite du premier roman.
On n’a pas trouvé meilleure définition que celle proposée par notre rédacteur en chef, Alexandre Letren : You, c’est Dexter Morgan dans une comédie romantique. Si au départ, l’histoire reprend en effet tous les codes du genre, c’est pour mieux les détourner ensuite. Ainsi, dans la première scène, le charmant Joe suit des yeux, fasciné, la jolie Beck : il en est sûr, elle est faite pour lui , et il est fait pour elle. Mais immédiatement, quelque chose déraille… Dans un monologue intérieur, Joe analyse et interprète chaque geste et chaque mot de Beck, devient obsédé par elle, commence à la traquer sur les réseaux sociaux, décortique le moindre aspect de sa vie, la suit, l’épie lorsqu’elle est chez elle… Et décide de la « sauver » d’une vie qui, selon lui, ne lui convient pas. Ce qui implique d’écarter, un à un, tous ceux qui se mettront en travers de son chemin – du petit copain à la meilleure amie Peach (Shay Mitchell), en passant par le prof de littérature ou le psy (John Stamos). Dans l’esprit d’un psychopathe, on vous laisse deviner le sens que peut prendre le mot « écarter »…
On a évoqué Dexter ; la comparaison s’impose rapidement. D’une part, parce que comme le tueur de Miami, Joe possède un double visage : derrière la façade du libraire sympathique et équilibré se cache un psychopathe sans remords ni culpabilité, qui justifie ses actes par sa conviction qu’il agit pour un Bien supérieur. D’autre part, la voix off du tueur se teinte du même mélange d’ironie, de touches d’humour noir et de distanciation froide et clinique. Joe s’adresse directement à Beck, relate à sa manière les événements et tout ce qui lui passe par la tête. Mais ici, c’est un narrateur peu fiable, dont l’interprétation des faits entre en contradiction avec ce que nous voyons à l’écran. On saisit rapidement l’étendue de sa folie : Joe est inquiétant, sinistre, malsain ; il n’y a aucune histoire d’amour, si ce n’est dans son esprit perturbé. Penn Badgley (Gossip Girl) est du reste surprenant, magnétique mais dérangeant dans le rôle.
Retracée de manière linéaire à partir du moment de la rencontre initiale, l’histoire s’enrichit de quelques flashbacks éclairant le passé traumatique de Joe et contextualisant son état mental. Tous ces éléments mettent le spectateur dans une place à la fois privilégiée et inconfortable. Privilégiée, parce qu’elle le plonge directement dans ce que Joe veut bien montrer de son histoire; inconfortable parce qu’en le forçant à adopter son regard, le récit fait presque de lui le complice involontaire de ses stratégies perverses pour conquérir Beck. Pour autant, You brouille aussi habilement la perception que l’on peut avoir du personnage, lorsqu’elle esquisse certains aspects positifs qui atténuent le portrait de l’anti-héros absolu. Par exemple, sa relation avec son jeune voisin, qu’il tente de protéger d’un beau-père violent, modifie radicalement le regard que l’on porte sur lui : il n’est plus uniquement un psychopathe harceleur que l’on ne peut que rejeter…
Intelligemment, la série trace de Beck un portrait tout aussi complexe. Elisabeth Lail (Once upon a time, Dead of summer) incarne parfaitement cette proie vulnérable qui croise le chemin de Joe et se retrouve peu à peu piégée dans la toile d’araignée qu’il tisse autour d’elle. Pleine de doutes et de contradictions, la jeune femme manque de confiance en son talent d’écrivaine, scrute le nombre de « J’aime » et d’abonnés sur les réseaux sociaux, est piégée dans une relation toxique avec sa meilleure amie et une situation familiale à l’origine de toutes les failles qui ont pesé sur ses relations amoureuses. Autant de faiblesses que son harceleur saura parfaitement exploiter…
Chargée d’une tension constante, entre moments de violence physique , manipulation psychologique et emprise mentale, You force parfois le trait. Dans une certaine mesure, la mécanique peut aussi sembler un peu facile : pour simplifier, chaque épisode fait surgir un nouvel obstacle dans la relation idyllique fantasmée par Joe, et celui-ci s’emploie à l’éliminer – à sa manière… Mais la dynamique fonctionne et, malgré quelques passages moins réussis (notamment un épisode porté par la voix off de Beck, qui a quelque chose d’incongru bien qu’il permette d’entrevoir son ressenti) et parfois une certaine outrance, You est efficace et on se laisse très vite prendre au jeu.
Comédie romantique pervertie en thriller psychologique, parfaitement construite, avec des personnages charismatiques et une histoire forte, You est une belle réussite. Un pur divertissement, qui s’avère vite addictif malgré quelques points faibles. Attention : You pourrait bien devenir votre obsession, en ce début d’année…
You (Lifetime)
10 épisodes de 45′ environ.
Disponible sur Netflix depuis le 29 Décembre.
Parfaite de Caroline Kepnes – édité en France chez Pocket.