De retour sur le sol américain, Homeland passe de la série d’espionnage au thriller politique, sans rien perdre de son effrayante acuité.
C’est quoi, Homeland (saison 6) ? Suite aux évènements survenus à Berlin, Carrie Mathison (Claire Danes) a quitté la CIA. Rentrée à New York où elle élève sa fille Frannie, elle travaille comme consultante pour un cabinet d’avocats assurant la défense de ceux qui sont arrêtés à tort sur des soupçons d’islamisme. De son côté, Peter Quinn (Rupert Friend) est hospitalisé dans un état physique et psychologique précaires ; diminué et traumatisé après les tortures qu’il a subies, il végète dans un hôpital et refuse obstinément l’aide de son ancienne partenaire. Dans le même temps, la nouvelle présidente Elizabeth Keane (Elizabeth Marvel) est sur le point de prendre ses fonctions ; mais sa politique, plus conciliante et moins agressive, se heurte à l’hostilité des services de renseignements…
Créée par Howard Gordon et Alex Gansa d’après une série israélienne (Hatufim, de Gideon Raff), Homeland a connu quelques périodes de flottement depuis ses débuts. Elle avait plus ou moins réussi à se renouveler après la mort d’un de ses personnages principaux, mais nonobstant des scènes d’action efficaces et surtout des intrigues prenantes et pertinentes dans le contexte géopolitique, la série tournait parfois en rond et répétait des histoires similaires en changeant simplement de décor. C’est paradoxalement en revenant à ses origines – New York, et le terrorisme sur le territoire national – que Homeland parvient à se réinventer et à se surpasser, en s’éloignant de la série d’espionnage pour se muer en thriller politique.
Après des années passées à l’étranger, entre Moyen-Orient et Europe, Homeland est donc retour au pays. Certains de ses personnages ont notablement évolué, à commencer par Carrie. Désormais apaisée, l’ex-agent de la CIA bipolaire s’est métamorphosée : autrefois Jack Bauer en jupons, intransigeante et obsédée par une attaque sur le sol américain, la voilà qui brandit la liberté d’expression pour défendre un jeune arabe accusé de faire l’apologie de l’islamisme sur son site internet ! Quant à Peter Quinn (magnifique Rupert Friend), qui a miraculeusement survécu à un gaz mortel, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Malgré le soutien de Carrie qui le prend en charge, il connaît une véritable descente aux enfers. Atteint physiquement, mentalement et psychologiquement, il sombre dans l’instabilité, la toxicomanie et la paranoïa. Mais n’oublions pas que même les paranos ont des ennemis…
En revanche, d’autres protagonistes sont restés fidèles à eux-mêmes, comme un Saul Berenson (Mandy Patinkin) idéaliste par conviction mais méfiant par nécessité et un Dar Adal (F Murray Abraham) machiavélique et inflexible. Une opposition qui les contraint à s’allier ou s’affronter, selon les circonstances. En l’occurrence, ils se rejoignent sur leurs réticences face à la stratégie envisagée par la nouvelle présidente élue. Conseillée dans l’ombre par Carrie, mais contre l’avis des services de renseignements et au grand dam de nos deux agents, Elizabeth Keane opte pour une nouvelle approche contre le terrorisme en assouplissant la politique internationale des Etats-Unis envers le Moyen-Orient. A partir de là, les différentes trames vont se rejoindre, entremêlant espionnage, terrorisme, thriller politique et conspirationniste.
Le thème du terrorisme islamiste, omniprésent dans la série depuis ses débuts, est certes toujours d’actualité ; mais cette saison, il passe au second plan et sert de prétexte à une plongée alarmiste dans les dessous de la politique américaine. Pour la première fois dans Homeland, l’ennemi est intérieur, enraciné dans un système où les tenants de la ligne dure face au terrorisme usent et abusent de leur influence, de la désinformation et des mensonges pour manipuler les faits et nourrir la terreur et la colère du peuple. Comme un écho à Designated Survivor ou à la scène finale de la saison 4 de House of Cards, Homeland déplace la guerre contre le terrorisme sur le terrain de la politique, où s’affrontent le gouvernement, la présidence, l’armée et les services secrets.
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Le point fort de Homeland a toujours été de s’inscrire, saison après saison, quelque part entre la liberté de la fiction et un contexte géopolitique réaliste sous-tendu par des allusions plus ou moins voilées à l’actualité. Et souvent avec une acuité effrayante : dans une conjoncture complexe et imprévisible, Homeland se plaît à imaginer le pire… et l’anticipe malheureusement, par exemple avec la montée en puissance de l’Iran ou les attentats de Berlin, plusieurs mois avant les faits. Homeland ne pouvait évidemment pas faire l’impasse sur l’élection de Donald Trump ; elle ne l’avait pourtant pas pressentie, misant plutôt sur la victoire annoncée d’Hillary Clinton à travers le personnage de la présidente Keane. Pourtant, cette divergence a finalement permis aux scénaristes de s’inscrire dans l’actualité en sondant, en creux, la radicalisation de la politique internationale américaine. Et ce n’est pas un hasard si le dernier épisode de la saison s’intitule America’s First – slogan-phare du discours d’investiture de Trump, prononcé deux mois plus tôt…
Homeland n’a sans doute jamais aussi bien porté son titre : le mot désigne les services de sécurité intérieure chargés de la lutte contre le terrorisme, mais il peut aussi se traduire par « patrie ». Cette dualité cruciale est au cœur de la saison 6, qui dénonce la perversité et les distorsions du système et remet en cause le tabou intouchable de la sécurité nationale. La série devrait normalement s’achever en 2019, au terme de sa huitième saison ; en théorie, Trump sera encore au pouvoir. Quelle sera alors l’analyse de Homeland ? De quelle manière les faits vont-ils nourrir la fiction ? C’est un euphémisme de dire qu’on a hâte de voir comment Carrie et ses acolytes se positionneront dans un contexte encore largement incertain.
Homeland – Showtime / Canal Plus.
Saison 6 à partir du 8 Juin.
10 épisodes de 45’ environ