Alors que les mouvements qui s’opposent au projet de loi mené par la garde des sceaux Christiane Taubira se répètent quotidiennement dans les rues de la capitale, j’ai décidé de me fondre dans la masse chaque jour plus nombreuse des « anti », pour voir de mes yeux le vrai visage d’un mouvement qui n’a pas fini de faire parler de lui malgré la récente accélération du programme demandée par le gouvernement.
C’est donc vers 19h que je me suis rendu à Sèvres Babylone, lieu de rendez vous des opposants au projet de loi du « mariage pour tous » donné tous les soirs de la semaine par l’organisme : La Manif Pour Tous. Les slogans anti-gouvernementaux fusent rapidement, et les bruits des sifflets, des trompettes et mêmes des casseroles se répandent dans les petites rues adjacentes au Boulevard Raspail et à la Rue de Sèvres qui résonnent un mécontentement qui semble s’éterniser.
Sous les yeux ahuris des touristes perchés aux balcons du luxueux Hotel Le Lutetia, le convoi décide de partir en direction de l’Assemblée Nationale. Il est 19h30, le cortège se lance dans la rue de Sèvres d’un pas déterminé mais surtout « plus expérimenté » me confie Éloi, jeune étudiant en droit de 19 ans, qui m’assure ne pas avoir raté une seule occasion de défendre ses idées dans la rue.
Applaudis par certains riverains, hués par d’autres, l’ambiance traduit parfaitement cette division qui règne autour de la question du mariage homosexuel et des possibles déviances qu’engendrerait la loi (adoption, PMA, GPA). C’est en effet ce que m’explique Georges, jeune trentenaire non pas gêné par l’union entre deux personnes de même sexe mais plus par « ce que ce projet de loi inflige aux enfants qui n’auront plus de repères ».
Le ciel s’assombrit. A la vue de la coupole dorée des invalides qui reflète les dernières lueurs du jour, l’excitation est à son comble : l’Assemblée Nationale n’est plus très loin. Sur les Panneaux, on peut lire : « Made in Papa + Maman » mais aussi des slogans plus recherchés comme celui qui brandit Marine, étudiante elle aussi : « On Taubira pas ! ».
Le speaker, situé à l’avant du cortège, se tient debout sur une camionnette sur laquelle défilent des élus, eux aussi révoltés par la politique gouvernementale et par l’ « ignorance perpétuelle du peuple de France ».
Les CRS, bien en place (bloquant pratiquement chaque intersection de rue), assistent au dernières revendications d’une manifestation qui a pris pour coutume à chaque fin de mobilisation de chanter la marseillaise suivit de l’hymne de la Manif Pour Tous inspiré de la fameuse chanson d’Edith Piaf : « Non, je ne regrette rien ».
« Dispersez vous la Manifestation est terminée à demain ! »
C’est donc aux alentours de 21h45 que les organisateurs donnent l’ordre de rentrer chez soi. Certains groupes semblent néanmoins déterminés à rester sur place. J’entends au loin un jeune qui passe le message suivant : « Pour ceux qui souhaitent rester, rejoignez les « veilleurs » sur la pelouse des Invalides ».
Au même moment une bronca retentie du côté du barrage situé au croisement de la rue de l’Universités. Certains jeunes, le visage masqué par des écharpes ou drapeaux sans doute pour éviter les gaz lacrymogènes semblent prêts à en découdre avec les forces de Police. Devant les caméras des grandes chaines de télévision, ce groupe de jeunes (une quarantaine) scande des slogans moins contenus comme « dictature socialiste » mais aussi « La sodomie doit rester un hobbies ».
Quelques projectiles volent et les renforts arrivent rapidement sur place, en entourant fermement les manifestants remontés contraints de rejoindre le métro. Moi même tombé dans les mailles du filet, je dois présenter un justificatif pour quitter le guet-apens. Scandalisées, les personnes jusqu’à présent restées spectatrices semblent choquées par l’intervention très musclée des forces de l’ordre sur un groupe qui certes provoquait reconnaît Edouard mais qui n’est pas aller au contact physique.
Jusqu’ici, je n’avais été témoin d’aucune violence du côté des manifestants. Compressée contre les lourds boucliers des CRS, une femme tente désespérément de rejoindre son mari hors des mailles mais, impossible, elle est projetée dans l’escalier du métro. Effarés, les spectateurs crient « libérez nos camarades » avant que la police ne charge créant un mouvement de panique dont je n’avais jamais été témoin jusqu’ici.
Une violence démesurée ?
« Nous faisons notre travail, on exécute les ordres d’en haut » me confie un CRS peu convaincu de la nécessité de pareils moyens.
Il est 23h, tout semble retrouver son calme et je décide de suivre un jeune couple qui marche en direction de la pelouse des Invalides. Au loin, j’aperçois un attroupement de personnes assises éclairées à la bougie. Sur les pancartes couchées sur le sol on peut lire « Les veilleurs pour la Famille ». C’était donc eux !
Assis en silence, on peut voir parmi les veilleurs des adolescents, des étudiants, des parents mais aussi des retraités. Je décide alors de jouer le jeu jusqu’au bout et m’assois donc avec eux. Lorsque je m’apprête à interroger mon voisin de devant sur les raisons qui l’ont poussé à intégrer ce groupe, on m’ordonne de me taire et de respecter le silence qui est leur arme. Surpris, je tend l’oreille aux divers discours des jeunes qui témoignent au mégaphone quand soudain le leader, un grand brun s’exclame : « Vous êtes plus de 800, merci ! ». Pas d’applaudissements, les veilleurs applaudissent comme les sourds-muets : en secouant leurs mains levées.
Captivé par ce spectacle, j’en suis venu à oublier ce qui se passait à l’extérieur du groupe et à ma grande surprise, les CRS nous avaient encerclés, casques sur la tête, matraques à la main. Alors que les veilleurs entonnent le chant de « l’espérance », la sonnette d’alarme retentit : « Première sommation, pour ceux qui veulent rejoindre le métro c’est maintenant » s’exclame alors un officier de Police. Ma surprise est d’autant plus grande quand je vois que seulement une dizaine de personnes se lèvent pour quitter un cercle qui se renferme de plus en plus. « On ne juge pas ceux qui souhaitent retrouver leurs familles » dicte le mégaphone.
A 23h45, la deuxième sommation est proclamée. Un sentiment de crainte me bloque, je reste figé, immobile, impuissant, la peur se fait ressentir, nos bras s’entrelassent naturellement et le calme reste maitre du jeu. Mon cerveau bouillonne d’interrogations : Pourquoi une telle intimidation ? Quel délit ? Comment la Police va-t-elle s’y prendre ?
La suite, vous la connaissez. A la troisième sommation, des CRS se lancent sur le groupe et arrachent deux à deux chacun des veilleurs. Pendant plus d’une demi heure j’assiste à un spectacle saisissant, avec parfois des excès de la part des forces de l’ordre qui ne se privent pas de donner des coups sur des hommes comme sur des femmes qui ne souhaitent pas être séparés du conjoint ou de la sœur. Les premiers sont dirigés et jetés à l’intérieur du GAV-Bus (surnom employé par certains veilleurs), le reste attend dans le calme sous les menaces des CRS. Lorsque minuit et demi sonne (heure de fin de veillée), les veilleurs qui n’ont pas eut le temps d’être expulsés faute de temps, à cause du nombre, se lèvent dans le silence et sont conduits fermement vers le dernier métro archicomble.
En toute objectivité, mon témoignage relate les faits dont j’ai été le témoin. Bien loin du débat « pour ou contre » ce projet de loi, c’est ainsi que j’ai vécu cette expérience aux côtés des opposants.