Après la mort d’une manifestante antifasciste lors du rassemblement à Charlottesville le 12 août dernier, le site Vice News a dévoilé un reportage édifiant qui vous emmène au cœur de l’extrême droite américaine. Enquête sur cette revanche blanche révélée par le phénomène Trump.
« Charlottesville : Race et Terreur »
Ce titre résume toute l’affaire. L’Histoire refait surface en rappelant la question raciale. Le retrait prévu d’une statue de Robert E. Lee, chef militaire des sudistes durant la guerre de Sécession, a servi de prétexte pour une véritable démonstration de force. « Race » encore car elle est à l’origine des affrontements violents entre suprémacistes blancs et antifascistes. Le documentaire s’ouvre sur des images de néonazis brandissant des torches en scandant « Les juifs ne nous remplaceront pas !» Face à eux, des manifestants antiracistes clament « No nazi ! No KKK ! No fascist USA ! »
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« Terreur » car la mort a frappé. Elle a secoué la tranquille ville démocrate de Virginie qui n’avait rien vu venir. À sa tête, un maire juif et un chef de police noir. Une multiculturalité qui n’est pas au goût de tous. En témoigne Robert Ray, néonazi et fondateur du site The Daily Stormer, « cette ville est gérée par des communistes juifs et des nègres criminels » Une terreur qui fait trembler l’Amérique. Qui expose ses profondes fissures déjà révélées par l’élection de Trump. Une victoire que personne n’avait vu venir. Et pour l’extrême droite, une chance à saisir.
Les hommes blancs en colère contre « la destruction de l’American way of life »
Ce mini-documentaire réalisé par les équipes de Vice plonge au cœur de la machine infernale de l’Alt Right. La journaliste Elle Reeve part à la rencontre des figures emblématiques du groupe Unite the Right. La droite alternative cherche à défendre une supposée race blanche menacée par le multiculturalisme, le politiquement correct, le féminisme et la justice sociale. Composée de divers mouvements, des néonazis au Ku Klux Klan, l’Alt Right a voulu marquer les esprits. C’est chose faite quand la manifestation vire à la tragédie. Au cœur du reportage figure la scène brutale où une voiture fonce dans la foule de militants.
La force du discours identitaire est frappante dans le documentaire. La peur du grand remplacement est omniprésente. Ces Angry White Men cherchent à protéger leur existence menacée par la « cette classe parasitaire de vermine anti-blanc », ces « dégénérés » poursuit Robert Ray.
« Redonnons sa blancheur à l’Amérique » Le slogan présidentiel résonne ainsi aux oreilles de Toni Morrison, romancière noire américaine, lauréate du Prix Pulitzer et du prix Nobel de littérature. Un appel à redonner le pouvoir aux blancs. Pour comprendre, elle affirme qu’il faut observer l’Histoire. A la conquête de l’Ouest, les immigrés originaires de Pologne, d’Italie ou de France ont un point commun leur permettant de se sentir américains : ils sont blancs. Cette force unificatrice paraît remise en question depuis l’ère Obama. Un phénomène nouveau caractérise le combat des suprémacistes : la lutte contre le « Black privilege » Dorénavant, l’homme blanc incarne la victime. L’ancien dirigeant du Ku Klux Klan, David Duke, en atteste « Nous disons la vérité, nous parlons du nettoyage ethnique de l’Amérique et de la destruction de l’American way of life » L’Alt Right n’est pas seul à dénoncer cette décadence de l’Amérique. Être néonazi n’est pas nécessaire pour participer à cet élan réactionnaire.
Suicides, drogues, alcools … la descente aux enfers de l’Amérique profonde
Automne 2015, les professeurs Deaton et Case publient un article retentissant. Ils révèlent l’envolée des « morts du désespoir » : un demi-million d’Américains blancs peu éduqués sont concernés entre 1999 et 2014. Le taux de mortalité augmente particulièrement parmi les 45-54 ans. Les raisons ? Une surconsommation d’alcool et de drogues associée à une augmentation exceptionnelle du taux de suicide.
Quand le rêve américain devient cauchemar. Le Prix Nobel d’économie et son épouse exposent le sentiment de déclassement éprouvé par les Poor White Trash. Héritiers des ouvriers industriels blancs, grands bénéficiaires du rayonnement de l’Amérique d’après-guerre, impossible d’accéder au même statut que leurs parents. Du fait de la désindustrialisation, cette aristocratie en col bleu a disparu. Laissés pour compte, ils vivent cette déchéance comme une injustice.
« Le carnage s’arrête ici et maintenant » proclame Trump lors de son discours d’investiture en janvier. Une formule empruntée à l’Alt Right. Ces pauvres blancs se sentent enfin entendus. Leur pays aurait renoncé à sa grandeur en succombant à la mondialisation. En promettant de ramener les emplois industriels à la maison, le Président rallie les voix de l’électorat ouvrier qui votaient autrefois démocrates. Et si le vote Trump était l’autre face de la médaille du désespoir ?
« Trump a déculpabilisé l’extrême droite aux Etats-Unis »
« Des torts des deux côtés » Le 12 août, le Président a choisi de mettre sur le même plan l’extrême droite et ses opposants. Transgression sans précédent, cette phrase choc est-elle un coup de folie ou une stratégie électorale réfléchie ? Steve Bannon, ancien conseiller sulfureux du Président, a joué sur ces thèmes nationalistes lors de la campagne. Sa méthode : cristalliser le discours sur la question raciale. En un mot, « diviser pour mieux régner ».
Selon Philip Golub, professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris, « Trump a déculpabilisé l’extrême droite aux Etats-Unis ». Il est devenu le nouveau dirigeant historique des extrêmes droites réunifiées. Galvanisées par cet élan soudain, elles exposent au grand jour une Amérique profondément divisée. Cependant, l’universitaire interprète leur résurgence comme une réaction à leur déclin inévitable. Ces groupuscules demeurent minoritaires et désorganisés. Les petits hommes blancs en colère auront du mal à prendre leur revanche.