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Plus belle la vie : est-ce facile de finir un soap ?

A quelques jours de la fin annoncée de Plus belle la vie sur France 3, on va prendre un peu de distance et se demander si écrire la fin d’un soap est chose facile.

4665 ! Voilà le nombre total d’épisodes tournés pour Plus belle la vie sur France 3 à la date du 18 novembre 2022, le jour de sa fin ! « Petits joueurs » pourraient être tentés de rétorquer les autres soaps. Pour mémoire, Les feux de l’amour en comptent 12 488 (au 8 novembre 2022) et Coronation Street 10 800 (au 18 novembre 2022). Ce n’est pas pour dénigrer la série de France 3 mais pour signaler que les soaps ont pour vocation à durer dans le temps. Longtemps !!

D’ordinaire, les séries télévisées ont un début un milieu et une fin, et même si la fin n’est pas toujours actée au lancement, les personnes impliquées savent qu’elle va arriver un jour, la moyenne de vie d’une série étant plutôt courte (ce qui n’empêche pas que certaines comme Unité spéciale par exemple durent plus de 20 ans). Dans le cas des soaps c’est bien plus compliqué ! Imaginés pour fédérer le public de manière quotidienne à de nouveaux médias (comme la radio dans les années 30 ou la télé dans les années 50), ils se sont mis à durer dans le temps, décennies après décennies. Comme ils coûtent moins chers qu’une production de prime time, ils n’ont pas les mêmes enjeux qui pèsent sur « leurs épaules », notamment en terme de revenus publicitaires. Les chaînes ont été moins amenées à les supprimer. Pour faire simple, un soap joue sa survie dans ses premiers mois d’existence. Passé ce cap, ils peuvent espérer durer dans le temps. Ça ne signifie pas que des soaps n’ont jamais été annulés (Santa Barbara, Sunset Beach, Passions), mais ils résistaient assez fortement à l’épreuve du temps.

Il faut dire que leur concept est simple : s’intéresser à la vie de gens qui peuplent une ville / un quartier / voire même un lieu de travail (comme l’hôpital ou l’école de cuisine). Ce n’est pas le pitch de départ qui dans ce cas fait la série, mais plutôt la capacité qu’auront les intrigues à garder les spectateurs.
Moralité : des enjeux publicitaires moindres, une pression moins forte qui pèsent sur les résultats, les soaps passent entre les gouttes et ce sont souvent les mêmes séries qui continuent depuis les débuts de la télé. Il n’existe donc pas, à la différence des autres fictions télé, d’exemples en nombre de manières de finir un soap car peu d’auteurs y ont été confrontés.

Pourquoi c’est donc difficile de finir un soap ?

De par sa forme, le soap est diffusé chaque jour de l’année (environ 260 épisodes par an), sans saisonnalité. Ainsi, le soap se poursuit encore et encore. La série de prime time est, elle, soumise à cette saisonnalité. Bien ou pas, elle a donc la possibilité à chaque fin de saison, de terminer quelques intrigues et d’aboutir, tant bien que mal parfois, à une forme de fin, au cas où la série serait annulée après coup. Joss Whedon structurait ainsi chaque fin de saison de Buffy comme une fin possible. De plus, même dans le cas où le show ne compte pas un mais plusieurs héros, on dépasse rarement la petite dizaine.

Dans le soap, pour assurer ce nombre important d’épisodes, la série doit comporter un nombre très élevés de personnages principaux (au moins une trentaine, une quarantaine) pour qu’ils se relayent tout au long de l’année. De la même façon, il ne doit jamais y avoir de temps morts dans les intrigues pour toujours maintenir l’attention du spectateur. Les intrigues se mélangent les unes aux autres, se superposent pour former un nœud compacte. Finir un soap – comme on le répète ça arrive rarement – c’est donc s’arranger pour maintenir la tension des spectateurs sans relancer de nouvelles arches, de nouvelles pistes. C’est amener à une fin alors que la structure même de ces séries est de toujours avoir un coup d’avance sur le spectateur. Autre difficulté, il faut aussi amener l’ensemble des personnages principaux vers une fin. Dans le cas de Plus belle la vie, profiter de l’annonce de la fin pour faire mourir le patriarche de la série est une bonne idée. Mais elle n’est pas déclinable à toutes et tous. Dès lors comment faire ?

La meilleure fin est en réalité celle qui ne convient à personne

En faisant le choix de raconter des lieux de vie, le soap opte donc pour un parti pris fort : même sans série, la vie doit continuer. Et elle continue d’ailleurs. La télévision est le judas par lequel le spectateur regarde la vie d’un quartier ou d’une ville. Même si on ne regarde pas ou qu’on cesse de nous dire ce qu’il s’y passe, la vie continue, les personnages aussi continuent. Même si on est habitué avec la majorité des séries à voir le livre se refermer en se disant « c’est bon, on en a fini avec eux« , dans le soap, la vie continue après le dernier clap. Tout comme la vie continue au Cook County d’Urgences, même quand la série est terminée. En se terminant, Plus belle la vie doit donc parvenir à emmener ses personnages vers une nouvelle étape (symbolique ou non) mais ne peut pas les laisser dans une situation non crédible (si on était amené à la reprendre là où on l’a laissé).
La meilleure fin pour Plus belle la vie (et pour tout soap) est en réalité une non fin. Pas celle qui évidemment relance pleins d’intrigues mais celle qui donne l’impression que tout peut continuer.

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Rédacteur en chef du pôle séries, animateur de La loi des séries et spécialiste de la fiction française
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