Au Sénat, lors d’un petit déjeuner-débat organisé par le Club de l’Hémicycle, experts et industriels se sont intéressés à l’industrie en France face à des normes grandissantes et parfois contraignantes.
C’était un débat autour de l’industrialisation en France qui se tenait ce matin avec le club de l’Hémicycle au Sénat. Depuis plusieurs années, la France affiche sa volonté de redevenir un pays industriel. Pourtant, malgré les annonces et les efforts, le chemin reste long et semé d’obstacles. Lors d’un petit déjeuner-débat, on tente de comprendre pourquoi la réindustrialisation avance si difficilement.
Une industrie qui inquiète les Français
Selon l’étude présentée par Laure Salvaing, directrice générale de Vérian, les Français portent un regard très préoccupé sur l’état de leur industrie. En effet, 62 % la jugent « peu solide ». Ce sentiment traverse tous les âges et tous les territoires. « Ce n’est pas une question de génération, tous sont concernés par la question« , affirme-t-elle. Cette situation repose sur une inquiétude profonde. Les normes constituent des freins autant à l’innovation qu’à l’emploi et à la souveraineté du pays.
On ne parle pas d’un sentiment idéologique puisqu’il est largement partagé par les citoyens.


Un mur normatif au cœur du blocage
Au fil des échanges, un mot est revenu avec insistance : les normes. Pour Philippe Duclos, président d’Antheus Advisors, la France a construit au fil du temps un véritable « mur normatif », un empilement de règles qui finit par désorienter les entreprises. Les contraintes s’accumulent, les injonctions se multiplient, et beaucoup d’industriels peinent à savoir comment investir ou recruter dans un environnement aussi instable.
Dans de nombreux secteurs, cette réalité freine directement les projets. Muriel Roques-Etienne, qui représente la Smart Building Alliance, a rappelé que moins de 1 % des collectivités françaises ont mis en place une stratégie globale de transformation énergétique de leurs bâtiments, alors même que les solutions technologiques existent déjà. Les réglementations, souvent mal pensées ou trop complexes, ralentissent leur déploiement et, paradoxalement, freinent la transition écologique qu’elles sont censées encourager.
Les Français, pourtant, ne sont pas hostiles aux normes environnementales. Ils reconnaissent leur utilité, mais estiment qu’elles gagneraient à être davantage construites en tenant compte de la réalité économique des entreprises. Une majorité considère d’ailleurs qu’elles fragilisent les emplois, et un tiers juge que la transition écologique avance trop vite pour les capacités actuelles des sociétés.
À lire aussi : La France à la croisée des chemins : pourquoi la réindustrialisation est un impératif national ?
Les normes paralysent des fillières
L’industrie des pompes à chaleur illustre parfaitement cette situation. Technologie clé de la transition énergétique, elle peine à se déployer. Pour Eric Pellerin, directeur général de Mitsubishi Electric France, les changements trop fréquents de réglementation découragent les investissements et ralentissent toute une filière pourtant prête à accélérer. Même constat du côté des fabricants de machines et de biens d’équipement. Olivia Poitau, secrétaire générale d’Evolis, observe que la modernisation des sites et l’adoption de technologies matures restent trop lentes. Les entreprises veulent avancer, mais les incertitudes réglementaires rendent leurs investissements fragiles et freinent la diffusion des innovations.
Malgré ce diagnostic partagé, les intervenants n’ont pas manqué d’évoquer des leviers. La première consiste à réconcilier les ambitions environnementales et la compétitivité. Il ne s’agit pas de ralentir la transition, mais de l’adapter aux capacités réelles des entreprises, pour qu’elle devienne un moteur plutôt qu’un frein.
Ensuite, la simplification et la stabilisation du cadre normatif apparaissent comme des conditions essentielles. La France ne manque pas de règles, elle manque d’une vision claire et durable de ces normes. 99 % d’entre elles sont d’ailleurs coconstruites avec les professionnels, les collectivités ou les consommateurs. Elles ne sont pas intrinsèquement négatives. C’est leur accumulation et leur instabilité qui posent problème.
Laure Salvaing insiste enfin sur la nécessité de restaurer la confiance dans le débat public. Les normes ne doivent plus être élaborées de manière déconnectée, mais discutées collectivement, en associant ceux qui produisent, ceux qui innovent et ceux qui achètent. Sans cette confiance, aucune stratégie industrielle ne pourra s’imposer durablement.