
Le système juridique français est sur le point de connaître un bouleversement. Depuis quatorze ans, ses lois sur l’arbitrage sont figées, se fossilisant progressivement tandis que des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni ont pris de l’avance avec des réformes audacieuses. Ayant confié à une nouvelle commission la tâche d’élaborer des recommandations, la France devrait publier son propre décret de réforme dans les prochains mois.
Cette modernisation ne saurait tarder. Depuis trop longtemps, des pays entiers ont souffert sous un système juridique obsolète, totalement incapable de gérer des litiges qui remontent parfois encore plus loin dans le passé.
Prenons l’exemple de la Malaisie. Depuis 2018, le pays est empêtré dans une bataille judiciaire inhabituelle avec les héritiers du sultan philippin de Sulu.
L’affaire a commencé lorsqu’une paire d’avocats britanniques a conseillé aux héritiers Sulu de réclamer une indemnisation pour le contrôle de la région de Sabah par la Malaisie. Ils ont porté leur demande devant les tribunaux espagnols, exigeant l’ouverture d’une procédure d’arbitrage.
Leur argument reposait sur un accord datant de l’époque coloniale, signé en 1878, bien avant l’existence même de l’État de Malaisie. À cette époque, le sultan de Sulu avait loué la région de Sabah à un groupe de colons britanniques en échange d’un paiement financier.
Bien que ce vieux document en ruines ait depuis été considéré comme un simple artefact de la stratégie coloniale britannique, sa légitimité a été fragilisée par le fait que le sultanat de Sulu n’a jamais véritablement « possédé » ces terres en premier lieu. Pourtant, il comportait une clause d’arbitrage spécifique en cas de désaccord.
Malheureusement pour les avocats des Sulu, la clause d’arbitrage stipulait que les différends devaient être réglés par le consul général britannique à Brunei – un poste qui n’existe plus depuis 1984.
Néanmoins, les tribunaux espagnols ont brièvement nommé un arbitre. Après avoir constaté une grave erreur procédurale, ils ont rapidement révoqué sa nomination et ordonné à l’arbitre d’abandonner l’affaire.
Mais au lieu de se conformer à ces instructions, l’arbitre a simplement déplacé le dossier vers un tribunal à Paris, où il a rendu une décision condamnant la Malaisie à payer 15 milliards de dollars de compensation aux plaignants Sulu. Finalement, la justice a rattrapé l’arbitre, qui a été condamné pour son refus manifeste d’obéir aux ordres du tribunal – mais son jugement plane sur la Malaisie depuis lors.
La Malaisie a courageusement mené son combat pour son acquittement devant des tribunaux dans toute l’Europe, obtenant des décisions favorables en Espagne, en France et aux Pays-Bas. Mais, soutenus par un fonds d’investissement tiers désireux de tirer profit de l’indemnisation en suspens, les avocats des Sulu ont riposté avec autant d’acharnement.
À chaque défaite, leur stratégie juridique est devenue de plus en plus désespérée, aboutissant au dépôt d’une plainte spéculative de 18 milliards de dollars contre l’Espagne, l’accusant d’avoir nié la justice – simplement pour avoir suivi la procédure régulière, révoqué la nomination de leur arbitre et l’avoir condamné après son refus d’obéir.
Pour la Malaisie, le salut pourrait résider dans cette étrange clause d’arbitrage. Alors que les avocats des Sulu ont soutenu à plusieurs reprises que le consul général britannique pouvait facilement être remplacé par un autre arbitre tout aussi valide, les tribunaux français n’étaient pas de cet avis.
En novembre dernier, la Cour de cassation a confirmé une décision antérieure de la Cour d’appel, qui avait examiné les preuves historiques disponibles et conclu que la relation de confiance entre les signataires du traité de 1878 et le consul britannique de l’époque était la seule raison pour laquelle les deux parties avaient accepté une clause d’arbitrage. Ils en ont donc déduit qu’aucun autre arbitre ne pouvait remplir le même rôle, rendant ainsi la clause invalide et, surtout, empêchant tout litige découlant du traité d’être légalement tranché par une procédure d’arbitrage contemporaine.
Même la nomination du consul britannique révèle la véritable nature de l’accord de 1878, utilisé comme un instrument de manipulation coloniale, indigne d’être reconnu dans notre monde moderne. L’idée que de telles revendications scandaleuses, s’attaquant à la souveraineté d’un État désormais pleinement indépendant, puissent être mises en œuvre via des procédures d’arbitrage issues d’anciennes puissances coloniales est fondamentalement incompatible avec les normes juridiques actuelles.
La décision française a sans aucun doute rapproché la Malaisie de la justice. Mais elle n’aurait jamais dû être contrainte de passer sept longues années et de supporter des dépenses financières exorbitantes pour se défendre contre une réclamation désormais reconnue comme totalement infondée. Et l’affaire n’est toujours pas close – tant que l’indemnisation de 15 milliards de dollars n’aura pas été totalement et définitivement annulée, les avocats des Sulu et leurs riches soutiens tenteront sans aucun doute de récupérer leurs pertes.
Alors que la France s’engage dans la réforme de son arbitrage, le conflit entre la Malaisie et les Sulu doit servir d’avertissement, soulignant la nécessité de rejeter ou d’annuler immédiatement les litiges invalides. Il ne devrait pas être nécessaire d’examiner longuement une revendication historique absurde qui remonte à une époque antérieure à celle des États plaignants pour la disqualifier d’emblée.