Que faire si l’Etat Islamique (EI) remportait la victoire finale ? Que faire si la coalition arabo-occidentale en Irak et en Syrie était mise en déroute ? Que faire si l’Etat Islamique devenait un véritable Etat ? La perspective d’une victoire de l’EI est évidemment loin d’être réjouissante mais, malheureusement, loin d’être improbable. En effet, au vue de l’inaptitude de l’armée irakienne à mener une véritable contre-offensive (inaptitude notamment due à l’échec de l’entrainement dispensé par l’armée américaine aux irakiens) et du manque d’unité et de solidarité entre les Etats arabes de la région face à cette menace terroriste, une victoire de l’Etat Islamique semble possible.
Que faire si l’EI remporte la victoire finale, garde le contrôle de ses territoires et devient une véritable Etat ? Selon Barry Posen, professeur au prestigieux MIT, l’Occident devrait réactualiser une politique qui date de la Guerre Froide : l’endiguement (containment en anglais) qui visait à stopper l’extension de la zone d’influence soviétique au-delà de ses limites atteintes en 1947 et à soutenir tous les États non communistes.
L’EI : UN ACTEUR LIMITÉ
Malgré son extrême violence et ses pratiques sanguinaires, l’EI ne fait pas partie de la catégorie des puissants acteurs mondiaux. Effectivement, le seul mérite de ce groupe terroriste est d’avoir réussi à attirer environ 25 000 jeunes marginalisés à travers le monde. Recruter 25 000 sur une population totale de 7 milliards de personne, cela n’a rien de réellement significatif. De plus, une grande partie de ces jeunes recrues reviendront dans leur pays d’origine en ayant vu le vrai visage de l’EI : sanguinaire, macabre, violent et injuste. Ces derniers seront donc à l’origine d’une propagande anti-EI, tandis que les recrues les plus fidèles de l’EI seront désormais isolées.
En outre, l’EI ne représente qu’une infime fraction du monde musulman. Il ne semble pas capable de convaincre beaucoup plus de musulmans de le rejoindre, notamment à cause des exactions commises contre des musulmans. Si l’EI devient un véritable Etat, sa capacité de nuisance sera limitée à des actions terroristes et il ne pourra s’étendre que parmi les populations sunnites de l’ouest irakien et de l’est syrien.
FAIBLE POTENTIEL ECONOMIQUE ET FIN DE L’EFFET DE SURPRISE
Le territoire contrôlé par l’EI ne possède que peu de ressources et a un faible potentiel industriel. Son armée, quant à elle, n’égale même pas celles des puissances régionales bien qu’elle soit dirigée par des militaires compétents. On le voit bien aux difficultés rencontrées par le groupe terroriste de s’étendre dans des régions qui ne sont pas majoritairement sunnites (Kurdistan ou Bagdad a majorité chiite) dans lesquelles il ne peut pas s’appuyer la rancœur de la population contre Bagdad ou Damas.
L’EI est né du chaos post-intervention occidentale en Irak en 2003 et post-guerre civile syrienne. C’est grâce au mariage inattendu entre un Islam radical et d’importants dirigeants Baasistes qui savaient comment diriger un Etat policier que l’EI a connu autant de succès (sans oublier la corruption et le manque de fiabilité de l’armée irakienne). Mais maintenant, nous savons à quoi nous en tenir et tout sera fait pour éviter la création d’un groupe similaire.
L’ETAT ISLAMIQUE PEUT-IL DEVENIR UN ETAT RECONNU PAR LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ?
L’EI se comporte déjà comme un véritable Etat : il lève des taxes, contrôle ses frontières, construit une armée, coopte certains groupes sociaux … Et certains Etats voisins reconnaissent tacitement cette situation en laissant l’EI effectuer la contrebande qui lui permet de survivre. Mais si cela continue, combien de temps il faudra pour que la communauté internationale reconnaissent l’EI comme le gouvernement légitime d’un Etat de facto ?
Il faut bien se rappeler que la communauté internationale à toujours essayer d’ostraciser les mouvements révolutionnaires avant de les reconnaître, à contrecœur, comme légitimes après la stabilisation de leur pouvoir et de leur contrôle territorial. Rappelons nous que les Etats occidentaux ont refusé de reconnaître l’Union soviétique après la révolution de 1917 (les Etats-Unis l’ont reconnus en 1933) et que les Etats-Unis ont établi des relations diplomatique avec la République Populaire de Chine qu’en 1979, 30 ans après sa proclamation.
COERCITION ET CONSTRUCTION ÉTATIQUE
Toutefois, on peut penser que le comportement barbare de l’EI (torture, esclavage, décapitation …) l’exclu pour toujours de la communauté internationale. Mais rappelons nous des massacres commis pour aboutir à la création du Royaume-Uni. Rappelons nous des massacres d’amérindiens qui ont permis la création des Etats-Unis. Rappelons nous des millions de morts qu’il a fallu pour entériner le pouvoir des Bolcheviques en URSS et des Maoïstes en Chine. La création d’un Etat est bien souvent une entreprise brutale qui dure des siècles … Ainsi, si ce qui était acceptable il y quelques siècles est devenu intolérable aujourd’hui, il ne faut pas oublier que certains mouvements qui avaient des comportement barbares sont progressivement devenu légitimes, car ils ont réussi à rester au pouvoir assez longtemps pour établir un Etat de facto.
Cependant, pour être définitivement accepté au sein de la communauté internationale, les mouvements radicaux ou révolutionnaires doivent progressivement renoncer à leurs pratiques les plus brutales en reconnaissant qu’elles sont contre-productives et qu’elles menacent leur survie sur le long-terme. Ils doivent comprendre que leurs grandioses ambitions idéologiques ne se réaliseront pas et qu’ils devront accepter les normes internationales pour passer du statut de paria à celui de partenaire. Mais ce processus de socialisation est long et difficile.
Ainsi, si l’EI arrive à se maintenir au pouvoir, à consolider sa position et à créer un véritable Etat de facto, les Etats de la région devront travailler ensemble afin de lui apprendre les normes et les valeurs de la vie au sein du système international.