Alors que les négociations des partenaires sociaux pour fixer les nouvelles règles de l’assurance chômage viennent d’échouer, les grands médias sont unanimes pour relayer en chœur la pensée des néo-libéraux consistant à dire que l’assurance chômage est en déficit car le système français d’assurance chômage est trop généreux pour des français qui ne peuvent plus se le permettre pendant une crise économique qui dure depuis plus de huit ans. Mais cette explication si séduisante aux premiers abords cache une vérité bien plus complexe qu’il n’y parait.
Le romancier québécois Harry Bernard expliquait que « rien ne ressemble plus à un mensonge que la vérité ». C’est bien le problème que nous subissons aujourd’hui. A force d’être noyés sous la masse d’idées économiques néo-libérales dans la grande majorité des émissions télévisées grand public, nous n’arrivons plus à nous défaire de cette idéologie funeste et à légitimer toute pensée contraire au dogme de certains pseudo-spécialistes. Le jargon économique qui servait, au départ, à étayer les résultats d’une méthode de réflexion dite « économique », est devenu avec le temps une force incantatoire pour imposer une idéologie préjudiciable aux citoyens. Il fixe des solutions simples et souvent présentées comme uniques à des problèmes complexes en imitant les raisonnements scientifiques des sciences naturelles pour marginaliser au maximum la critique. Les journalistes économiques et les experts néo-libéraux se sont octroyé la quasi-totalité des ronds de serviette des émissions à succès parlant d’économie (C dans l’air, les matinales radios, les JT…) pour partir en croisade contre les derniers défenseurs d’alternatives.
Ces enfumeurs viennent de récidiver sur la question du déficit de l’assurance chômage en utilisant leur stratégie bien connue de la tragédie en trois actes pour pousser au fatalisme n’importe quel citoyen peu avisé s’intéressant à l’actualité économique.
Acte I : La dramatisation
Rien de mieux qu’un gros chiffre global pour apeurer les citoyens. Emmanuel Macron n’hésite pas mettre le sujet sur la place publique dès le 12 octobre 2014 dans le JDD : « Il ne doit pas y avoir de tabou ni de posture. L’assurance chômage est en déficit de 4 milliards d’euros ; quel responsable politique peut s’en satisfaire ? ». Le déficit de l’assurance chômage dépassera 4,2 milliards d’euros en 2016. Il est évident que ce chiffre est une information mais il ne suffit pas à comprendre l’état actuel de l’assurance chômage, et le ministre de l’Economie ne fait pas le travail de pédagogie qui s’impose. En effet, Bruno Coquet du Think Tank, l’institut de l’entreprise proche du patronat, explique que « le problème [de l’assurance chômage] est que la dette n’est pas créée par l’activité d’assureur. L’activité d’assureur c’est les cotisations. On pourrait dire 34 milliards d’euros environ. Aujourd’hui, les prestations représentent 34 milliards aussi. Ça n’est pas en déficit. » a-t-il expliqué sur I Télé dans le grand décryptage. Le régime général de l’assurance chômage n’est pas en cause. Il est à l’équilibre. Par conséquent, un déficit global regroupe des situations disparates. Le déficit provient des politiques publiques financées par l’assurance chômage et des régimes spéciaux d’indemnisation du chômage comme les intermittents. Or, lorsqu’on parle du déficit de l’assurance chômage, on ne parle que du déficit global ce qui peut tromper le citoyen sur la solution à adopter.
Acte II : la simplification
Après la peur, la simplification du débat.
La solution de facilité consisterait à penser que la France serait trop généreuse avec tous ses chômeurs. Le Premier Ministre Manuel Valls va même plus loin en orientant le débat sur cette question. Le 6 octobre 2014 à Londres, il s’insurge : « la question de l’assurance-chômage doit être reposée tant sur le plan du montant de l’indemnisation que de sa durée ». La solution est donc toute trouvée : il faut réduire le montant des allocations des chômeurs et la durée de versement. Mais cette solution de facilité n’est absolument pas logique. Comment expliquer aux français du régime général qu’ils devront payer plus que ce qu’ils reçoivent ? Bruno Coquet alerte sur ce point : « dès lors que vous parlez de réduire le droit commun, vous parlez de réduire quelque chose qui est excédentaire où les gens payent plus que ce qu’ils reçoivent. »
Acte III : la résignation
Pourtant la dramatisation et la simplification du débat permet de pousser les français à la résignation sur les efforts à réaliser. L’idée qu’une seule solution est possible s’installe. Les citoyens se mettent à penser que le système dans son ensemble est déficitaire et en faillite. Or, c’est une erreur grossière d’analyse qui s’impose dans l’opinion publique. De plus, l’échec des négociations entre le Medef et les syndicats sur l’avenir de l’assurance chômage risque de laisser libre le gouvernement sur son projet de rogner les prestations du régime général d’assurance chômage alors que d’autres solutions sont possibles.
Les solutions alternatives
Bruno Coquet propose plusieurs pistes. « Le déficit est dû au fait que l’Unedic finance un certains nombres de politiques publiques qui dans les autres pays sont financés par l’impôt. Elle assure les 2/3 du budget de pôle emploi. Ça ne veut pas dire qu’il faut donner moins d’argent à pôle emploi. C’est très important. Ça veut dire juste que prendre sur le coût du travail les 2/3 du budget de pôle emploi c’est un problème : 3,3 milliards d’euros par an. C’est déjà la taille du déficit. Après vous avez les droits surnuméraires des intermittents. C’est à peu près d’un milliard par an. Et après vous avez les droits surnuméraires des entreprises d’intérims c’est encore un milliard par an. ».
Une première solution consisterait en une réforme des régimes spéciaux d’allocation chômage des intermittents du spectacle et des intérimaires. Une seconde solution mettrait à contribution le secteur public car « l’assurance chômage française a une spécificité qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Elle ne couvre que les salariés des secteurs marchands. 30% des salariés, tout le secteur public au sens large en sont exclus. Les employeurs publics en tant qu’employeur ne cotisent pas. L’Etat ne verse pas de subventions à l’assurance chômage contrairement à ce qu’il se passe dans tous les autres pays. La combinaison de ces deux choses où le secteur privé, livré à lui-même, pour se protéger contre le chômage concentre le coût sur le travail marchand et du coup c’est très cher. » La dernière solution proposerait par des subventions extérieures provenant par exemple de la fiscalité ou de la taxation des contrats courts de financer l’assurance chômage.
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