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Rencontre avec Chérif Fofana Bouna, réalisateur au Centre National de la Cinématographie du Mali

 

Ancien symbole de stabilité, le Mali traverse une guerre sans précédent. Le coup d’état militaire du  22 mars 2012 contre le régime du président Amadou Toumani Touré, accusé d’incompétence dans la lutte contre la rébellion et les groupes islamistes  du nord a révélé des problématiques anciennes au Mali, notamment celles des revendications indépendantistes des Touaregs du MNLA ( Mouvement National de Libération de l’Azawad -une région du nord-Mali-), alliés par intérêts au début du conflit avec le mouvement islamiste Ansar Dine (les défenseurs de l’Islam) ainsi qu’avec des éléments d’AQMI  (Al-Qaida au Maghreb islamique).

Entre le 30 et le 31 mars 2012 ils s’emparent de la ville de Kidal (Nord-Est) puis de Gao et Tombouctou. Le 6 avril 2012 le MNLA proclame unilatéralement l’indépendance de la région de l’Azawad. Le pays est alors coupé en deux entre le nord et le sud. Le 10 janvier les insurgés islamistes progressent vers le sud et chassent l’Armée de la localité stratégique de Konna, cette avancée déclenche dès le lendemain l‘intervention militaire de la France dans le cadre de l’opération Serval.

Rendez-vous est pris avec Chérif Fofana Bouna, réalisateur au Centre National du Mali. Nous sommes début février, les trottoirs sont enneigés, Chérif m’attend devant le foyer des travailleurs d’Ivry-sur-Seine. Une fois les présentations faites nous nous attablons dans le réfectoire, les postes de télévisions, tous branchés sur BFM TV passent en boucle les dernières nouvelles de la guerre. Les conversations sont animées et les regards anxieux bien que l’opération Serval, lancée le 11 janvier soit accueillie avec soulagement.

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« Bonjour Chérif, vous comptez rentrer au Mali afin de filmer cette guerre qui touche votre pays, racontez-nous votre parcours et votre projet. »

« Je suis réalisateur au Centre National de Cinématographie du Mali (CNCM). Je suis à Paris dans le cadre de ma formation en master deux marketing et distribution à la Sorbonne. Je souhaite poursuivre un documentaire engagé lors du dernier putsch. Je souhaite aller questionner les grandes autorités qui étaient au pouvoir avant la chute d’Amadou Toumani Touré (quatrième président du 8 juin 2002 jusqu’au coup d’état du 22 mars 2012 ndlr) afin de comprendre ce qui s’est passé, savoir quels intérêts ont les uns et les autres dans cette guerre. J’ai des images du putsch, des marches et des différentes rencontres politiques. J’ai assisté aux rencontres entre les jeunes des différentes factions politiques au lendemain du putsch. J’ai également des images du QJ des « Kati », des marches, des incendies de véhicules, des tirs de militaires  lors du putsch (suite au coup d’état du mars 2012 contre le président ATT,ancien général parachutiste, ses fidèles, issus du même corps, ont tenté un contre putsch. Les militaires défaits ont été emmenés et emprisonnés  sans procès au camps militaire de Kati, ce camps militaire est leurs QJ ndlr). J’ai filmé cela et je souhaite me rendre au Mali à nouveau pour continuer à filmer et ainsi compléter mon documentaire. Je souhaite notamment me rendre loin de Bamako dans le nord pour essayer de comprendre tout cela. Vous savez, il y a eu trois putschs au Mali, le premier de Moussa Traoré contre le président de l’indépendance Modibo Keita, puis Amadou Toumani Touré fut président du Comité transitoire pour le salut du peuple entre 1991 et 1992, en 1992 c’est au tour d’Alpha Oumar Konaré (réélu pour un second mandat en 1997 ndlr), puis ATT est élu (en 2002 et réélu le 29 avril 2007 avec 70,88% des voix ndlr). Il faut que cela s’arrête! C’est pour informer et aider les générations actuelles et futures sur ces questions et afin que cela ne se reproduise plus que je souhaite poursuivre mon documentaire. Mon rôle de cinéaste c’est d’essayer d’aider la population à ne pas tomber dans l’horreur et cela grâce à la réalité des images. »

« Il vous manque des moyens pour faire ce reportage ? »

« Oui c’est une question de moyens. J’ai besoin d’aides financières pour réaliser ce film car je n’ai pas de boite de production derrière moi. Je recherche des financements. J’en profite pour lancer un appel à tous ceux qui souhaitent que ce projet documentaire puisse aller de l’avant. Je suis présentement à Paris. »

« On parle d’une guerre sans images, le terrain est extrêmement risqué, les combats sont sanglants. Sous quels angles comptez-vous filmer cette intervention française ? Comment comptez-vous vous déplacer et vous rendre dans le nord étant donné la guerre qui s’y déroule? »

« Je vais tourner ce documentaire entre la France et le Mali, car la France est un acteur  central dans cette guerre. Ma formation est financée par la France et le Mali c’est donc normal que je réalise ce reportage entre les deux pays. Sur place, grâce au CNCM je peux avoir l’autorisation de suivre les militaires. Le Centre National de la Cinématographie du Mali a également un lieu d’archives très important, l’équivalent de l’INA en France, j’ai accès facilement à ses archives. Ce documentaire que je souhaite réaliser est pour moi un devoir de citoyen. Il permettra aux générations actuelles et futures de comprendre l’histoire de mon pays. J’ai besoin des archives, je travaille avec des images historiques. A travers ce reportage je propose des repères et des pistes de réflexion pour les générations futures. J’ai beaucoup voyagé au Mali, j’ai fait les huit régions du Mali. Mon BBC je l’ai fait à Gao, je parle très bien le souareg. Je connais le territoire, les distances. »

« Vous n’avez pas peur des enlèvements ? Vous êtes prêts à partir dans le nord? »

« Oui sur le champ ! Je n’ai pas peur des enlèvements, j’ai des promotionnels qui sont là-bas qui peuvent être des sources d’information. J’ai des points de chute à Gao, à Kidal, à Tombouctou. Je connais beaucoup de gens dans le nord du pays. »

« Une partie de la classe politique, à droite comme à gauche accuse l’opération Serval d’être un retour à la françafrique. Quel est votre ressentiment face à ses accusations ? Cette intervention française suscite-t-elle des interrogations au sein de la communauté malienne française ? On voit pourtant sur les images diffusées par les TV françaises beaucoup de drapeaux français flotter dans les rues de Bamako… »

« Je ne veux pas m’aventurer dans ces visions politiques. Chacun regarde son intérêt politique et économique par rapport au Mali, j’ai cependant l’impression que la droite ne recherche pas l’intérêt du Mali et ne cherche pas à résoudre le fond du problème mais simplement à s’opposer au PS car ses derniers sont au pouvoir.  Le Mali a aidé la France durant la première guerre mondiale mais également durant la seconde. Le Mali était présent au front pour aider la France. C’est au tour de la France aujourd’hui de revenir aider le Mali afin de lutter contre des ennemis qui sont également les ennemis de l’Afrique, de l’Europe, des États-Unis, du monde entier. »

« Une intervention plus large de la communauté européenne vous paraît-elle souhaitable? La France peut-elle rester seule dans ce conflit ? »

« Le Mali fait partie d’une communauté qui est la CDAO mais également de l’Union Africaine qui est là pour défendre les intérêts des pays membres de l’Union. Cette communauté à des règles. Lorsqu’un pays membre est touché, ces autres pays doivent agir. Le Mali est intervenu au Rwanda, actuellement il y a des soldats maliens en Haïti. Mon pays est riche en histoire, en culture, il faut l’aider. »

« D’après les médias, de nombreuses personnes fuient les villages ayant peur d’être pris pour des Touaregs et craignent des représailles. Peut-on craindre un enlisement du conflit dans une guerre ethnique et une division du pays en deux, comme ce fut le cas pour la Côte d’Ivoire ? »

« Je connais des personnes qui sont au nord, qui ont peur de la réaction des populations du sud à leurs égards alors qu’ils n’ont pas du tout participé à ces exactions. Les ethnies sont différentes au nord: il y a des tamachèques, des berbères, des arabes qui occupent un peu Kidal. A Gao il y a des souaregs qui eux-mêmes parlent un souareg différent de celui de Tombouctou. Cela dit il faut relativiser : je connais un Tamachèque qui a marié une noire sudiste au Mali, ils ont eu des enfants et sont très heureux, lui qu’a-t-il à voir avec cette guerre ? Toutes ces problématiques sont autant de matière que je peux exploiter pour mon reportage. Il faut préparer la population à l’après-guerre, il faut informer et vite afin d’éviter les rancœurs, les crispations communautaires. Il faudra être vigilent, éviter les rancunes, la manipulation politique. Il est facile pour la classe politique de dresser les uns contre les autres. Certains ont un intérêt personnel à diviser les gens. C’est mon rôle de cinéaste de créer du dialogue entre les communautés afin d’éviter une guerre fratricide comme celle qui a eut lieu en Côte d’Ivoire. Ca peut être intéressant de ce rendre dans les pays limitrophes tels que  la Côte d’Ivoire, interroger des personnes, il ne faut pas oublier cet exemple, il faut absolument éviter de tomber dans ce piège d’une manipulation des ethnies. Cela serait une catastrophe. Une bonne part des islamistes ne sont pas des maliens ! Il y a des gens venus d’ailleurs, d’Algérie, de Lybie, de Mauritanie et qui voient leurs intérêts, c’est à dire les trafics d’armes et de drogues! Biensûr il y a des nordistes mais ils sont minoritaires. Cependant je pense que cette guerre il faut la faire jusqu’au dernier des guerriers, ensuite nous nous mettrons à table pour parler. C’est pour cette raison que je remercie la France, la communauté internationale, l’ONU, la CDAO, qu’ils continuent à soutenir le Mali pour dégager ses djihadistes !

Un autre problème est celui des rebelles du MNLA. Lorsqu’Alpha Oumar Konaré a essayé d’intégrer les rebelles dans l’armée ça  été un échec. Certains rebelles ont eu des postes sans avoir de réelles compétences. Le président ne s’est toujours pas exprimé par rapport à cela. Où Alpha Omar se trouve-t-il aujourd’hui ? Il a une part de responsabilité dans cette crise! Les touaregs  sont peu mais cette guerre n’est pas neuve. Elle remonte à 1945, il y a eu des accords en 2006 à Alger, cette accord perdure encore aujourd’hui ( Les Accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, sont des accords fixant les modalités du développement du Nord Mali. Ils permettent un retour à une normalisation des rapports entre la 8ème région du Mali la zone de Ménaka et l’État malien. Ils font suite au soulèvement touareg du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka. Ils ont été conclus à Alger le 4 juillet 2006 et signés entre les représentants de l’État malien et les représentants de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement. Ils ont été négocié sous la médiation de l’Algérie ndlr) Il y a un problème dans le nord avec le pétrole. C’est ce pétrole qui les intéresse mais lorsque ce pétrole sortira du sol il ne faudra pas dire que c’est le pétrole du nord mais que c’est le pétrole du Mali! »

« Si vous aviez un conseil à donner à la jeunesse malienne qui est présente en France et au Mali ? »

« Il faut se donner la main, laisser la politique de côté pour le moment. Mener cette guerre ensemble, soutenir notre armée et après il faudra se mettre à table tous ensemble et parler, refonder une démocratie pour que le Mali de demain soit un Mali de paix, un peuple, un but et une foi. On s’occupera ensuite du problème de la corruption. »

« Les djihadistes mettent à profit les moyens économiques dont ils disposent pour mener une propagande de fond auprès de la jeunesse. Pensez-vous que les jeunes du Mali soient réceptifs à cette propagande? »

« Un constat s’impose, la jeunesse malienne est touchée par le chômage. Ils finissent leurs études et n’ont pas de travail, donc oui la tentation est possible pour certains mais il faut qu’ils sachent que ces extrémistes ont des intérêts économiques, que leurs promesses sont éphémères. Lorsque le Mali sera sortie de cette guerre il faudra de toute urgence s’attaquer à ce grand problème qu’est le chômage. Il faudra s’attaquer à l’analphabétisme. Beaucoup de jeunes ne savent même pas ce qu’est une constitution. Ils se laissent mener par des politiques qui ont des intérêts qui ne sont pas forcément les intérêts des maliens. Des politiques qui étaient au pouvoir sous Moussa Traoré, puis sous Alpha Oumar Konaré et encore il y a peu sous Amadou Toumani Touré! Mon chère Mali a vraiment besoin de changement.  Il faut que cela s’arrête et c’est dans cette perspective que j’envisage mon documentaire, il faut informer les jeunes, il faut informer les populations afin de leur faire prendre conscience. Il est temps que l’on crée  une vrai démocratie et que l’on arrête avec la démocratie de façade. Il y a encore trop de situations au Mali où il faut avoir le bras long pour obtenir des postes, comme par exemple pour l’examen d’entré dans la fonction publique. »

« Vous soulignez l’importance de la résolution du problème du chômage, qu’en est-il de l’éducation ? »

 « 80 % des jeunes qui ont une formation sont au chômage. Je travaille justement sur un scénario, une fiction donc qui traite de la déliquescence de l’enseignement au Mali, il est temps que l’école malienne se réveille! On a besoin de cette jeunesse au Mali afin qu’elle réponde plus tard aux attentes de ses citoyens. Le souci est que ce système corrompu a été intégré par une part de la jeunesse et beaucoup composent avec cela, ils cherchent leurs intérêts, c’est très individualiste. Il est temps que cette jeunesse et que l’école malienne se réveille ! L’avenir d’un pays dépend de sa jeunesse! Cette jeunesse on en a besoin ! Il faut qu’elle soit apte à répondre aux attentes des maliens pour redresser ce pays ! Il faut que les jeunes comprennent l’intérêt du voter car malheureusement le taux d’abstention est fort. L’éducation est un combat prioritaire! »

Quelques jours après  notre rencontre, le 9 février,  les islamistes radicaux mirent le feu à la bibliothèque de Tombouctou, l’Institut Ahmed Baba, lieu où sont conservés les manuscrits les plus importants du continent africain. L’acte est manqué grâce au courage et aux précautions prises par des familles maliennes  qui ont discrètement caché ces trésors de la culture africaine. Parmi ces ouvrages sauvés un recueil de chroniques de la vie quotidienne à Tombouctou au 16ème siècle, le Tarikh el-Fettach, découvert par un certain Bonnel de Mézières, traduit en 1913 par Octave Houdas professeur à l’Ecole des langues orientales de Paris nous éclaire sur une ville en avance sur les Lumières.  Il y est écrit : « Au XVIe siècle, Tombouctou n’avait pas sa pareille parmi les villes du pays des Noirs pour la solidité des institutions, les libertés politiques, la pureté des moeurs, la sécurité des personnes et des biens, la compassion envers des étrangers, la courtoisie à l’égard des étudiants et des hommes de science ».  De même le Tarikh es-Soudan, une autre chronique en arabe sur la vie quotidienne à Tombouctou, rédigée par Abderrahmane Es-Sa’di vers 1650 et découverte par l’archéologue allemand Heinriche Barth en 1853  nous informe que dès le XIVème siècle « des lettrés accourent du Caire pour s’y former« . Cet autodafé  manqué dévoile dans la violence et au grand jour  l’obscurantisme d’un islamisme radical, incompatible avec l’héritage animiste des musulmans maliens et qui  tente de s’imposer par la destruction de l’enseignement et de l’éducation.

                                                                                                                            Maxime François (texte et photo)

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