Dans son premier long métrage, Mehmet Akif Büyükatalay explore un duel entre amour et morale religieuse à travers le conflit intérieur du personnage d’Oray. Nous avons rencontré le jeune réalisateur qui nous aide à approfondir les enjeux d’un film aux dimensions à la fois psychologiques et sociales.
L’histoire d’un homme, Oray
Oray, sorti au cinéma ce mercredi 27 septembre, raconte l’histoire d’Oray, un jeune marié d’origine turque et de confession musulmane vivant en Allemagne. Suite à une dispute futile avec Burcu, sa femme, Oray lui répète trois fois le mot talâq sous le coup de la colère, ces mots signifient dans la loi islamique la répudiation. L’imam de sa ville lui impose une séparation de trois mois, il décide alors de s’installer à Cologne où il se construit une nouvelle vie auprès d’une communauté d’autres jeunes hommes musulmans. L’imam de cette nouvelle communauté qui adopte une observance plus rigide de la religion l’informe que cette incantation entraîne une séparation définitive. Oray se retrouve ainsi tiraillé entre son amour pour sa femme, Burcu, et sa ferveur religieuse.
C’est ce personnage qui porte tout le récit du film, transportant le spectateur dans le duel intérieur et profondément intime d’un jeune homme partagé entre sa dévotion à l’Islam et l’amour qu’il porte à sa femme. Mehmet Akif Büyükatalay exprime l’importance du focus sur ce personnage dans son film, qui porte tout le film sur ses épaules « C’est un personnage tellement complexe qu’il fallait concentrer l’attention sur lui afin que le spectateur comprenne au mieux sa situation . »
Oray présente une réelle connexion entre le spectateur et le protagoniste sous le portrait du conflit interne religieux, entre le bien et le mal, en toute complexité et ambivalence. Son charisme s’accompagne d’un déchirement intérieur, qui en fait un personnage à la fois fort et vulnérable, le tout dans un récit mélodramatique.
Une dualité religieuse
Oray est plongé tout au long du film dans un conflit interne entre son mariage et le respect de la loi islamique qui lui impose le divorce. Est ainsi représenté un réel déchirement du personnage que l’on peut suivre tout au long du film qui peine à accepter la vérité des conséquences de son incantation.
Car si Oray a été sauvé de son passé de délinquant grâce à l’Islam, la religion peut également l’aliéner de sa liberté et le rendre prisonnier de » simples mots « , une situation propre à la spiritualité religieuse. « Tu crois que dieu veut séparer deux amoureux ? » dit un ami d’Oray au protagoniste, ces mots marquent toute l’ambivalence du duel interne religieux du personnage, entre morale religieuse et les complexités des sentiments et vécus humains.
Mehmet Akif Büyükatalay a voulu ici mettre en scène les défauts humains face à la religion, lorsque le bon croyant devient pêcheur et se retrouve face à la difficile association de la pratique stricte de la religion avec les vécus de chacun. » Oray navigue entre le bien et le mal, et je l’ai représenté comme quelque chose d’inévitable et presque normal. Il y’a une illusion de la pratique parfaite de la religion, d’ailleurs cet idéal d’un point de vue musulman ne doit pas exister car sinon on devrait créer une nouvelle humanité où le pêché est impossible. Notre échec réside dans le péché et celui-ci est programmé . »
Une autre forme de dualité vient intégrer une dimension sociale au film de Mehmet Akif Büyükatalay. « On peut trouver d’autres formes de dualisme que celui qui est religieux. On a du mal à accepter tout ce qui est intermédiaire par exemple le fait d’être allemand mais d’origine turque, vivre une double culture c’est aussi être partagé dans un duel, être un entre deux« . Oray traite aussi d’un enjeu social et post-migratoire à travers la représentation d’une communauté musulmane.
La représentation des communautés musulmanes post-migratoires
Au début du film, le personnage d’Oray s’enflamme dans un discours sur les situations compliquées de cette génération issue de l’immigration en Allemagne qui rejoint indirectement toute une jeunesse post-migratoire européenne. « Il n’y a que l’Islam qui peut nous discipliner « , « Pour les gens comme nous, c’est soit l’un ou l’autre, soit l’Islam soit rien, le paradis ou l’enfer « . Ces déclarations toujours sous le thème de la dualité, portent des tons provocateurs et fatalistes reprenant finalement les clichés des représentations cinématographiques et médiatiques des communautés musulmanes.
Oray exprime également la dualité entre l’intégration ou le rejet des communautés et générations post-migratoires dans les pays européens. L’Islam a sauvé le protagoniste de la criminalité, comme la communauté de Cologne l’accompagne dans sa reconstruction après sa séparation avec sa femme. « On ne peut survivre que dans la communauté » exprime un des frères, une façon de dénoncer l’abandon et le dénigrement de ces populations qui peinent à trouver leurs places dans une société qui tend à les repousser.
« C’est l’échec de la société qui n’arrive pas à intégrer les minorités « , explique Mehmet Akif Buyukatalay, lui-même issu d’une immigration turque en Allemagne. « Il y’a une quête identitaire beaucoup plus forte chez les générations post-migratoires. Alors que nos parents ont grandi dans des pays où nos traditions sont beaucoup plus ancrées, il est plus difficile pour nous de trouver notre légitimité. »
Les dualités culturelles peinent encore à réellement être comprises tant elles peuvent être complexes pour beaucoup de jeunes d’une génération post-migratoire. Ici, Mehmet Akif Büyükatalay illustre une ode à ces communautés chaleureuse et solidaires, mais aussi le prix qu’il y’a à payer lorsque la religion en est l’essence. Le bien doit être le moteur principal de ces communautés, et lorsqu’il y’a dérive, il y’a conséquences. La communauté sauve le personnage, mais le contient aussi dans un chemin religieux et spirituel, qui le met en difficulté en vue de la tournure des évènements.
Un film représentatif et authentique
Oray est un film qui explore le rapport personnel et intime à la religion mais aussi l’univers social et collectif des communautés issue de l’immigration en Europe. Il s’infiltre dans la bulle d’une communauté à la fois douce et réconfortante mais aussi source d’angoisses intérieures pour le protagoniste.
Le film offre une représentation fidèle et neutre du vécu personnel d’un jeune musulman issu de l’immigration, plongé dans une quête identitaire et du droit chemin. C’est également à travers le contexte de réalisation du film que s’affirme l’intention de présenter un portrait authentique et non stéréotypé. En effet, Mehmet Akif Büyükatalay est un réalisateur allemand d’origine turque, ce film signifie également pour lui une représentation d’une religion et d’une communauté qu’il connaît personnellement et qu’il souhaite détacher des représentations stéréotypées qui ont pu être illustrées antérieurement et encore aujourd’hui. « Je ne me suis jamais retrouvé dans les représentations habituelles des communautés musulmanes. C’est souvent très stéréotypé à travers l’homme musulman violent qu’il faut calmer et la femme soumise à libérer . » « Dans ce film, j’ai voulu créer une balance entre la biographie d’un personnage et mes expériences personnelles . »
Mehmet Akif Büyükatalay a ainsi tenu à présenter un acteur authentique aux valeurs du film, de sorte à produire une représentation adaptée au contexte social du récit de son long métrage. « Le choix de l’acteur était très important, je voulais quelqu’un d’authentique et pas un acteur qui a reçu sa formation des scénaristes et leurs idées stéréotypées du langage de la rue des personnes issues de l’immigration. » « Zejhun Demirov (l’acteur d’Oray) s’est présenté avec sa clope, son redbull et sa copine à la tenue légère, tout en récitant le coran avec un registre de langage totalement différent, je me suis dit qu’il pouvait refléter la complexité et l’ambivalence du personnage d’Oray.«
Dans un contexte européen notamment français où l’Islam est un sujet de controverse, Mehmet Akif Büyükatalay présente un portrait vivant et vibrant d’un jeune homme musulman qui vit l’ambivalence religieuse mais aussi la poésie complexe de cette génération issue de l’immigration. Loin d’être un film politique portant un message, Oray n’en reste pas moins lourd de sens et de profondeur quant aux questions de foi et de contradictions religieuses et morales entre le bien et le mal.