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Salles de shoot : La France risque t-elle le Bad Trip ?

La ministre de la santé, Marisol Touraine, a indiqué le 21 Octobre dernier, qu’elle espérait lancer l’expérimentation des salles de consommation de drogue avant la fin de l’année. Si la plupart des acteurs sanitaires voient l’initiative d’un bon œil, d’autres craignent « une incitation à se droguer »

Sur les murs blancs du cabinet, des affiches et des slogans. Certains dénoncent les dangers inhérents à la consommation de drogues, tandis que d’autres blâment une société qui marginalise les dépendants, les laissant lutter seuls dans un combat bien souvent perdu d’avance. Derrière le bureau, une femme. Sur le bahut, des boites en carton, qui regorgent de préservatifs et de seringues propres. Ces petits objets ne sont pas simplement des éléments de décor. Ils incarnent le rempart contre la drogue et la maladie, responsables de la descente aux enfers du toxicomane.

 L’hygiène, mais aussi la dignité 

Brigitte Buffet est éducatrice spécialisée dans un centre de soin et de prévention des addictions à Aix-en-Provence. Chaque jour, elle reçoit dans son cabinet des consommateurs accros à l’alcool, au crack et à l’héroïne. La souffrance physique, le tiraillement psychologique, les doutes, la maladie, elle connaît, et elle les combat. Le terme « salle de shoot » est prononcé. Elle s’emballe : « Je refuse que l’on utilise cette expression ! ». Pourquoi ? Est-ce pour ne pas choquer les sensibilités ? Le terme « shoot » est-il trop violent ? « Oui, en partie pour ça, mais pas seulement, explique l’intéressée. Je préfère le terme « salle de consommation » pour deux raisons : déjà parce qu’elles n’accueilleront pas seulement des consommateurs d’héroïnes, mais aussi des fumeurs de cannabis. Mais également parce-que le mot « shoot » a une connotation ultra-péjorative. On ne cherche pas à stigmatiser les toxicomanes, mais plutôt à redorer leur dignité ».

La dignité. Le maître-mot est prononcé. Pour Brigitte, la dimension psychologique a été largement occultée par les politiques : « La ministre de la santé a surtout mis l’accent sur les meilleures conditions d’hygiène qu’offriront les salles de consommation. Mais il ne faut pas oublier, qu’aujourd’hui, les drogués sont considérés comme des délinquants. Leur tendance à l’isolation provoquée par l’injection de drogue ira en s’aggravant si on continue à les stigmatiser ». Alors si offrir des conditions d’hygiènes satisfaisantes aux toxicomanes est une priorité – notamment pour réduire les risques d’overdose et de contractions de maladies comme le VIH et l’Hépatite C – l’accompagnement psychologique doit occuper une part prépondérante dans le projet. Un projet, en faveur duquel Brigitte milite depuis longtemps, mais qui à l’orée de sa concrétisation sur le plan politique, ne manque pas de détracteurs.

 Des expérimentations qui appellent à la prudence

« Ouvrir des salles de consommation de drogues, c’est banaliser l’usage et légaliser la consommation des drogues les plus dures et cela aux frais des contribuables! ». L’invective est lancée par l’UMP, le 22 octobre dernier, alors que le coût du projet – 300 000 à 1 Millions d’Euros par salle – venait d’être annoncé. En réalité, l’argument de l’incitation à la drogue revient régulièrement dans le discours des opposants. Et au regard du bilan des expérimentations à l’étranger, la crainte peut prendre de la consistance.

Vingt-six ans après l’ouverture, à Berne, de la première salle d’injection, il en existe aujourd’hui plus de quatre-vingts dans une dizaine de pays. Le nombre de consommateurs a t-il baissé pour autant ? Au regard des chiffres, certainement pas. En, Allemagne, entre 2010 et 2011, si le taux de décès par overdose a diminué de 15%, le nombre de consommateurs a augmenté de 20%, indique Le Figaro. Même constat pour les Pays-Bas, qui compte une quarantaine de sites dans quinze villes. Au final, si les rapports concluent souvent à une amélioration de l’état de santé global du toxicomane, les effets pervers des salles de shoot sont passés sous silence. Joséphine Baxter, vice-présidente de la Fédération Mondiale contre les drogues, indique pour Le Figaro que ces salle de shoot « entretiennent la dépendance aux drogues au lieu d’aider les gens à s’en débarrasser. Sans oublier que les consommateurs utilisent la présence du personnel médical comme une assurance contre les risques d’expérimenter des dosages plus forts d’héroïne  ». Puis, elle évoque un effet « pot-de-miel », constaté à la suite de l’implantation de salle d’injection :  « les dealers se regroupent à la porte de ces centres de consommation pour vendre leur drogue aux acheteurs ».

« Observer les effets sur le long terme »

 Mais aux yeux de Céline Hadlof, militante au sein de l’association Bus 3132 à Marseille, ces arguments n’ont aucune valeur : « Les chiffres ne sont pas contestables, or les conclusions, elles, le sont. ». Pour la jeune femme, il est courant – et surtout inévitable – d’observer une hausse du nombre de consommateurs après l’ouverture des salles de shoot. Selon elle, « certains usagers étaient cachés et donc non comptabilisés parmi les toxicomanes. Ils sont sortis du bois après la mise en place de ces salles ». Alors si les chiffres parlent, ils ne disent pas tout. Pour Céline Hadlof, « il faudra attendre plusieurs années pour juger de l’efficacité de la mesure ». Puis, quant on lui parle de cet « effet pot-de-miel » évoquée par Joséphine Baxter, vice-présidente de la fédération mondiale contre la drogue, Céline sourit : « c’est n’importe quoi. Les dealeurs n’ont pas besoin de venir chercher les acheteurs à l’entrée et à la sortie de ces salles pour refourguer leur came. Au contraire, ils attendent qu’ils viennent à eux. Visiblement, cette femme ne connaît pas vraiment le marché de la drogue ».

A Marseille et à Paris, des salles sont déjà prêtes à ouvrir, et attendent toujours le feu vert du gouvernement. Alors, à court terme, peut-on craindre une augmentation du nombre de consommateurs ? Sans doute. Mais Brigitte et Céline y voient surtout l’occasion de bouleverser les mœurs d’une société stigmatisante et arriérée.

 

 

Tristan Molineri

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