[dropcap font= »arial » fontsize= »30″]A[/dropcap]ujourd’hui à Paris, la fête n’a plus lieu dans un vaste théâtre de faux semblants, dans des boîtes de nuit diffusant une musique en carton par le biais d’un système son dont la qualité est inversement proportionnelle au prix d’entrée. Finies ces soirées dotées d’une dépravation naturelle aussi grande que leur aptitude soudaine ! Ces fades entres nocturnes qui nous accablent l’esprit de leur caractère faussement sélectif, emplies de muses vénales et d’idiots plein aux as, ou la pure humanité réduite à son expression la plus pauvre !
Les soirées alternatives envahissent la capitale qui sort enfin de sa léthargie et se mue en une incorrigible noctambule… qui dilate même son champ d’action à sa périphérie et ses agglomérations! Un avant goût du grand Paris? Ce nouveau spécimen de soirée voit le jour grâce aux collectifs ou associations comme la Débrouï-Art, Morning Vibration, La Gouache Family, la Manifart, la Boulognaise- collectif Boubou ou la Cracki qui nous proposent de faire la fête autrement. Il semble difficile de relever précisément le jeu du mécanisme de ces nouvelles bringues.
D’ou viennent-elles ? Que proposent-elles ? Où sont-elles ?
Qu’importe l’heure, Paris s’éveille.
L’imagination des organisateurs s’échauffe pour rassasier l’appétit festif grandissant des jeunes et moins jeunes Parisiens. A petite ou grande échelle, de jour comme de nuit, dans le centre ou en banlieue, en ‘open air’ ou dans des bâtiments désaffectés, mais toujours dans une ambiance agréable et sans trêve musicale, ces nouvelles boums sont le repaire d’une communauté ouverte et non sélective.
La ville-lumière se ‘Berlinise’ et ouvre enfin ses portes : les soirées s’organisent à Bagnolet à la clinique des arts, dans le bois de Vincennes, à Boulogne dans un hôtel particulier laissé à l’abandon, à Asnières dans une ancienne imprimerie, à Saint Denis au 6B, à Nanterre dans la ferme du bonheur, à Ivry sur Seine au Culture Palace, à Bobigny…
Les clubs Parisiens se ‘décalent’ aussi : Les Frigos de la BNF, la plage du Glaz’art, le Dandy et son appart’…
Flyer de la ferme du bonheur avec la Mamie’s crew
Des raves en mutation
Loin d’être iconoclastes, ces nouvelles festivités reprennent certaines traditions des années 90s où les Raves ou Free Parties, soirées rares mais prolongées au maximum, offraient des plaisirs clandestins.
L’appel au sortilège des Spiral Tribe date des années 90s.
Spiral Tribe, aka Spi, est le sound system elektro Londonien qui a diffusé les Free Parties au-delà des campagnes anglaises et commencé à faire lever les bras un peu partout en Europe.
Cette tribu a prouvé que l’on pouvait faire beaucoup de choses avec des enceintes de 4000 watts et un petit camion. La musique électronique – acid house, hardcore, breakcore, tribe, drum and bass, jungle, speedcore, acidcore – diffusée par un mur de son pouvait rassembler 20 000 personnes en quelques heures et pour plusieurs jours de danse frénétique.
Ces Free Parties étaient organisées en banlieue ou à la campagne, dans des lieux – secrets jusqu’au début de la fête et révélés par infoline – où le son pouvait résonner intensément et librement (champs, grottes, bâtiments désaffectés… ). Et l’accès était évidemment gratuit.
Un exemple concret de ce genre de Bacchanale à Paris serait évidemment la piscine Molitor du 16ème arrondissement laissée à l’abandon plus le plus grand plaisir des organisateurs de ces Raves enflammées.
Cultiver le meilleur et lutter contre le pire
Les années 2000 marquent la fin de ces Rêves prohibées et fortement sanctionnées par les autorités. Un ras le bol collectif émane de l’instabilité de ces soirées devenue trop dangereuses, et les mélomanes accros à la musique électronique se retrouvent donc dans clubs parisiens.
Dix ans plus tard, il semble qu’on ait tiré des leçons du passé : les nouveaux évènements sont plus faciles d’accès et plus calmes, ce qui permet aux participants de festoyer ensemble au lieu de ‘s’éclater’ chacun de son côté.
Néanmoins, les fantômes des années 90 hantent encore les esprits : le lieu reste mystérieux (il est donné sur l’invitation par mail ou communiqué sur la page de l’évènement au dernier moment) et insolite, ce qui génère la diversité et l’originalité de ces folles bringues. De plus l’art est au centre des attentions, avec la musique en première place. En cela, les line up et les DJs constituent la base fondamentale de la soirée.
Quand Cut’art et Beat à l’air font la fête.
Ces joyeuses célébrations ont vocation à promouvoir les jeunes talents, notamment les collectifs de DJ’s voulant simplement faire la fête au lieu d’être mûs uniquement par l’appât du gain, comme la Mamie’s crew, le Panier, SEML, Pouvoir Magique, Beat a l’air, Cut’art, Vue sur la Mer, le Marchand de sable…
Des capharnaüms de créativité, l’art tout azimut.
De la même façon que les Rêves des nineties présentaient des jongleurs ou des cracheurs de feu et affichaient une décoration plus que singulière (structures métalliques, sculptures, totems, murs tagués ou graphés, jeux de lumières) les bringues des années 2010 mettent en avant la culture, l’art, la création et l’expression et semblent même aller encore plus loin.
L’éclectisme des choix musicaux ne se limite pas à l’Electro/Dubstep/Minimale et s’ouvre à tous les styles possibles et imaginables comme l’afro-beat ou le jazz manouche.
De plus, les soirées/journées se veulent culturelles et sont organisées par des musiciens, des graphistes, des artistes qui souhaitent promouvoir de nouveaux talents : peintres, sculpteurs, photographes, tagueurs, chanteurs, musiciens, stylistes, vidéastes… Comme par exemple à la Lav’expo, la Squatt’art ou l’Illusoire.
Les festivités sont donc accompagnées d’art partout, par tous, tout le temps pour divertir de manière constructive les spectateurs des performances tout en permettant aux jeunes artistes de s’exprimer et de se faire connaître.
En cela, l’esprit de ces nouvelles soirées s’apparente à celui un collectif New Yorkais.
Photo de l’Illusoire, happening contemporain organisé par Pouvoir Magique à la Clinique des arts
« L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » : l’héritage de Fluxus, New York, 50’s.
À la fin des années 1950, de jeunes artistes, influencés par John Cage – le seul musicien à atteindre les limites du son en introduisant le silence absolu comme mélodie ultime avec son célèbre 4’33 – veulent révolutionner la vision populaire de l’art, faire exploser les limites des pratiques artistiques et abolir les frontières entre l’art et la vie.
Précurseurs des happenings avec des performances, des concerts de musique contemporaine, des expositions, le collectif prône la démocratisation et la désacralisation de l’art en plus de la fusion de différentes formes d’expression.
Installation au 6B, FAR 2012. Photo : Da Cyberceb
L’art est long et le temps est court.
Rendre le temps plus profond grâce aux performances artistiques et aux prestations musicales? Pas seulement, car ces soirées hors normes peuvent durer jusqu’à deux jours et débuter à 7 heures du matin, 14 heures, ou encore 11 heures du soir, dans le même style que la Concrete, la Sundae ou la Coco Beach. Les participants sont déconnectés de la rationalité de leur vie quotidienne et sont libres de célébrer aussi longtemps qu’ils le souhaitent.
La chambre noire de la Manifart
Les collectifs sont des vendeurs de « rêveries cosmiques ».
Et pour déconnecter toujours plus, les organisateurs de ces darties (party during the day) se démènent. Nous ne sommes pas à Agraba, dans le cimetière de la magie noire, et pourtant, les collectifs semblent agir comme des marchants de sable. Sans prestidigitation et illusionnisme, ils agissent comme un tremplin pour bondir dans des rêveries très lointaines. Ils tissent toute une histoire autour des évènements qui deviennent semblables à des romans fantastiques qui seraient vivants au lieu d’être écrits: on pense au Jumangi ou la mine de la Débrouï-Art.
Teaser de la dernière soirée de Die Natch : les aventures d’Hansel et Gretel
MONTREUIL // UN PLATEAU GÉANT // DES ESCALATORS MAGIQUES // UN KARAOKÉ AUX TOILETTES // ET LA RELEASE DE L’ALBUM D’I:CUBE « M » MEGAMIX
« C’est déjà la dernière » soupire Gretel. « Tant de souvenirs. Tu te souviens ces escalators magiques? »
« Raison de plus pour faire la plus belle fête qui soit! Soyons fou! Invitons nos artistes préférés, créons des salles cachées et mystérieuses, un cache cache géant, un karaoké aux toilettes. Transformons le salon du livre pour enfant en dancefloor géant ».
Gretel sourit à son tour et répond de manière enjouée « On pourrait même fêter la sortie du nouvel album d’I:Cube ?
Tout ça et même plus s’exclame Hänsel.
Le Jumangi de la Débrouï-Art. Photo : Beat à l’air
Des soirées comme à la maison : Quand les troisièmes lieux débarquent en France.
Le concept vient de 1980’s par Ray Oldenburg, un professeur d’université américain. Ce dernier expliquait que les ‘troisièmes lieux’ sont des volets supplémentaires, entre la sphère professionnelle et la sphère familiale, dédiés à la vie sociale et à la communauté. En bref, ce sont des espaces où les individus peuvent se rencontrer et échanger de façon informelle. Des espaces vivants, comme à la maison, des lieux où on est soi-même. Le concept est surtout appliqué aux bibliothèques comme le Fil Rouge au Danemark, mais on le retrouve à Paris sous d’autres formes comme le Comptoir Général quai de Jemmapes (bar/bibliothèque) ou Merci (boutique/café) boulevard Beaumarchais.
Avec leurs canapés et fauteuils dépareillés, leurs cousins orphelins, et leurs espaces récréatifs avec des jeux vidéo, des baby-foot, des tables de ping-pong, des terrains de basket, de volley, des bacs à sable géant, des barbecues… On se sent dans ces soirées comme chez soi, dans une sorte de grande cour de récréation. On pense à la Foire aux Rêves, ou la FAR organisée par le 6B cet été et qui proposait des spectacles de rue, des écoutes de jazz, du body painting, des concerts, des spectacles équestres… Mais il y à aussi la Récré de la Débrouï-Art à Boulogne.
La FAR 2012 au 6B. Photo : Da Cyberceb
La Récré de la Débrouï-Art