Alors qu’Eric Ruf s’apprête à prendre ses fonctions d’administrateur général de la Comédie-Française, il apparaît que sa nomination ne soit pas le fruit du hasard. Sur fond de conflits d’intérêts, la succession de la Comédie-Française, haut-lieu de notre patrimoine culturel, révèle des tensions qui démontrent que la culture et la politique ne font pas toujours bon ménage…
Dans quelques heures, ce sera la fin d’un long suspens : le président de la République, François Hollande, fera d’Eric Ruf le nouvel administrateur général de la Comédie-Française sur proposition de la ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti.
Il s’agit donc bien d’une décision purement politique. Il serait légitime de se demander au nom de quoi le gouvernement vient s’immiscer dans l’élection de la personne qui sera à la tête de la Comédie-Française. La raison est simple : ce célèbre théâtre national, de renommée internationale, est sous la tutelle du Ministère de la Culture. Il appartient donc à l’Etat. Rien d’étonnant d’un point de vue historique puisque, depuis sa création ordonnée par Louis XIV en 1680, le Français a toujours été une institution publique. D’ailleurs, en 1812, l’empereur Napoléon Ier, en pleine campagne de Russie, a décidé de le réorganiser en signant le 15 octobre, le décret dit « de Moscou ». Celui-ci comporte 87 articles et reste, à quelques détails près, le statut encore en vigueur aujourd’hui. On peut notamment y lire que « Le Théâtre-Français continuera d’être placé sous la surveillance et la direction du Surintendant de nos spectacles ». Ce « Surintendant de nos spectacles » n’est autre, de nos jours, que notre Ministre de la Culture, Aurélie Filippetti.
Voilà donc pourquoi le théâtre, qui est le plus célèbre de France, et le gouvernement sont liés. Ce n’est donc pas une surprise si l’administrateur général de l’établissement doit correspondre à quelques conformités d’ordre politique. Or, il s’avère que Muriel Mayette-Holtz, l’ex première administratrice générale de la Maison, ne pourra pas renouveler son mandat en dépit de sa volonté. Et pour cause : élue en 2006 sous la présidence de Jacques Chirac, elle ne répond pas à ce fameux critère de sélection qu’est l’appartenance politique, bien qu’elle soit proche de Christophe Girard, ancien adjoint à la culture de Bertrand Delanoë (PS). D’ailleurs, il était question de son renvoi dès juillet 2012…
De facto, sa candidature pour renouveler son mandat en tant qu’administratrice générale de la Comédie-Française était vouée à l’échec. Le choix de François Hollande se portait donc bien davantage sur Stéphane Braunscweig, directeur du Théâtre national de la Colline soutenu par Aurélie Filippetti, et Eric Ruf, sociétaire de la Comédie-Française. Ce dernier a reçu, dimanche 13 juillet, la visite de Manuel Valls, le premier ministre, lors d’une représentation de Lucrèce Borgia à la Comédie-Française. Lundi 14, c’est Aurélie Filippetti qui s’y est rendue. Quant à François Hollande, il l’avait personnellement reçu en juin dernier. Le destin d’Eric Ruf est dorénavant scellé.
Qu’est-ce que cet évènement prouve ? Que des considérations politiques et artistiques pèsent lourd dans cette nomination. La réputation du premier théâtre de France ne risque-t-elle pas d’être entachée par tant de polémiques et de luttes d’influence ayant pour but de « faire gagner » un candidat au nom du parti politique dont il se revendique partisan ?
Eric Ruf, l’ami d’un ami
Stéphane Braunschweig avait pourtant toutes ses chances. Soutenu par Aurélie Filippetti qui voyait en lui un homme « neutre », sans lien apparent avec la Comédie-Française, il aurait pu avoir les capacités d’apaiser l’ambiance tendue qui régnait dans la trouple depuis plusieurs mois. Il aurait pu apporter ses talents de metteur en scène, et proposer un programme qui aurait redynamiser le théâtre. Il avait la volonté de faire repartir la Maison du bon pied.
Mais cette ambition, il la partageait aussi avec son principal concurrent : Eric Ruf. Un concurrent de taille, dont l’élection finale pourrait être en partie due à l’influence de l’amitié entre François Hollande et Denis Podalydès, un grand sociétaire qui avait soutenu la campagne présidentielle de ce dernier. Certains ont même prétendu que le candidature d’Eric Ruf n’était que celle, déguisée, de Denis Podalydès. L’intéressé de démentir. Mais le népotisme a déjà fait son effet.
Qui est Eric Ruf ?
Eric Ruf est entré à la Comédie-Française en 1993, alors qu’il était élève au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Né en 1969 à Belfort, il s’est orienté vers le théâtre, comme son frère, le metteur en scène Jean-Yves Ruf.
En 1998, Eric Ruf est devenu le 498ème sociétaire de la Maison. A la fois acteur, metteur en scène et scénographe, il est à l’origine des décors du Misanthrope de Molière, et de Lucrèce Borgia, de Victor Hugo. D’ailleurs, cette dernière œuvre qui a fait salle comble à la Comédie-Française ces dernières semaines, est dirigée par Denis Podalydès… Les deux hommes ont effet souvent travaillé ensemble…
Eric Ruf est décrit comme un bâtisseur, capable de fonder sa propre compagnie, Edwyn, comme de transformer une école en maison de vacances dotée d’une salle de répétition, ou encore de changer sa loge au Français en atelier de décors. Naturellement autoritaire, cultivé et talentueux, il devra bâtir à la Comédie-Française un empire culturel d’une nouvelle ère dont Molière lui-même aurait été fier.