Est-ce la photo d’une feuille de papier chiffonnée ? Ce fameux brouillon que l’on jette une fois que les idées sont au propre ?
En réalité, c’est une veste appartenant à la collection ‘’Garments may vary’’ de Nadine Goepfert, designer textile berlinoise. Elle brusque les clichés de la mode et nous fait découvrir sa démarche conceptuelle dans l’art d’habiller. Notre curiosité est piquée.
Le site de la collection ‘’Garments may vary’’ dévoile des créations surprenantes entre innovation, modernité et pragmatisme. Ce projet est un réel travail d’artiste où le vêtement devient une œuvre éphémère. Il est une sculpture abstraite digne des ready-made de Marcel Duchamp, ces célèbres objets du quotidien transformés en œuvres d’art. Lorsque ce dernier déclarait que ‘’c’est le regardeur qui fait le tableau’’, on peut aujourd’hui aussi affirmer grâce à Nadine Goepfert que ‘’c’est le corps qui fait le vêtement’’. Le vêtement crée un personnage et vice versa. De même, ces créations font écho à celle de Franck Schreiner, le chariot de supermarché transformé en fauteuil de salon (fauteuil Consumer’s rest, 1983 Stiletto). Dans ‘’Garments may vary’’, un morceau de mousse rose aux allures de chewing-gum mâché n’est rien d’autre qu’un pull-over.
Nadine Goepfert expose un travail plastique explorant un large horizon d’éventualités dans ses créations et dans ses installations. Elle nous prouve sa maîtrise complète de l’art du textile, tout en respectant les méthodes traditionnelles. Pour prouver l’incessante métamorphose du vêtement, la designer berlinoise utilise des matériaux propres à marquer les traces des mouvements successifs. Un vêtement s’adapte. Les mouvements sont accentués et capturés dans les matériaux du vêtement. Ce sont des matières basiques, humbles et modestes comme la cire ou la mousse.
Ainsi l’originalité du vêtement naît de la fusion avec le corps qu’il habille. Un vêtement devient unique quand il est porté parce qu’il préserve précieusement les empreintes de nos mouvements. Ce projet est idéal pour ces dames qui se décomposent dès qu’elles aperçoivent une personne portant le même vêtement qu’elles. Cette collection choisit d’accentuer le dessin des surfaces et le dessein d’un vêtement.
Un tel projet incite à la réflexion sur la mode et ses enjeux. La citation de Roland Barthes qu’elle intègre à l’introduction de sa collection est un parfait indice de lecture de son propre travail :
« Qu’est-ce que l’essence d’un pantalon (s’il en a une)? Certainement pas cet objet apprêté et rectiligne que l’on trouve sur les cintres des grands magasins; plutôt cette boule d’étoffe chue par terre, négligemment, de la main d’un adolescent, quand il se déshabille, exténué, paresseux, indifférent. »
Comme l’explique Roland Barthes, un vêtement est personnel et unique. Il n’est qu’un bout de tissu tant qu’il n’a pas été choisi et porté par un corps. L’adolescent qui se dévêt et jette son pantalon par terre, lui donne en réalité toute sa dignité puisqu’il s’approprie l’objet. Ce n’est plus la soie ou le satin qui font la noblesse d’un vêtement, mais bien sa capacité à s’adapter au corps qu’il couvre, et à le mettre en valeur.
Que les demoiselles se rassurent, elles n’auront plus peur de froisser leurs nouveaux achats.